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À Rome, l'oubli et la subversion bafouait toute dignité.

Sur les terres provinciales, l'irresponsabilité et l'indiscipline grandissait.

Tatien, néanmoins, avait bien trop avancé dans son renouvellement intérieur pour s'en tenir au monde extérieur.

Loin des questions politiques et philosophiques qui l'ennuyaient, il se sentait invité par la vie au réajustement de toutes valeurs et conquêtes d'ordre personnel.

De retour à Lyon où la vie se déroulait conformément aux adaptations nécessaires, il n'ignorait pas que des contrariétés imprévisibles viendraient de Rome.

Le suicide d'Hélène et la maladie de son beau-père sans qu'il puisse donner à leurs amis de justes explications, avait provoqué une atmosphère d'antipathie et de méfiance.

Raison pour laquelle, il était d'autant plus seul et angoissé.

Il était arrivé à la villa avec une idée en tête qui l'obsédait et le dominait : — l'affront de Teodul. Il verserait sur lui tout le fiel d'indignation et de dédain qui débordait de son âme. Il l'interpellerait avec fermeté et se vengerait sans miséricorde. Mais à son retour, il vint à apprendre que le représentant d'Opilius avait été appelé par Galba, en toute hâte, et était parti pour la métropole deux jours auparavant.

Il était persuadé que la santé de Veturius déclinait.

Mais se sentait fort excédé de devoir revoir son beau-père.

Emprunt de l'orgueil des vieilles traditions sur lesquelles sa vie était basée, il se sentait étranger à la famille de Veturius qui depuis sa naissance empoisonnait sa vie. Il préférait attendre le mépris et l'hostilité dans le contexte des occupations qui étaient les siennes depuis sa jeunesse.

Craignant l'intromission de Galba, il ordonna de réformer la maisonnette qui avait appartenu à Basil et la fit embellir puisque c'était le seul bien qui était à son nom. Puis il s'y est installé en compagnie de Blandine, de Celse et d'un vieux couple d'esclaves, Servule et Valérie, qui lui étaient extrêmement dévoués.

La vieille servante était un soutien efficace dans le cadre des activités domestiques et son mari s'était converti en un professeur compétent pour les enfants.

Celse Quint, qui avait déjà appris à lire avec Livia depuis son enfance, avait à onze ans une mémoire phénoménale et était doté d'une grande capacité de discernement. Franchement chrétien, il passait de longues heures avec Blandine à lui raconter les histoires des martyrs de l'Évangile et lui communiquait son ardente foi en Jésus.

La fille de Tatien l'écoutait émerveillée, trouvant à ses paroles une grande consolation.

Les souffrances de Livia, la disparition de Basil, la mort d'Hélène avec les pompeuses obsèques qui avaient suivi, la maladie de son grand-père et les graves inquiétudes paternelles la jetaient dans une profonde agitation psychique. Elle pleurait sans raison, souffrait d'inexplicables insomnies et lors de fortes crises, elle restait alitée pendant des jours et des jours souffrant de troubles cardiaques.

Elle avait perdu tous les bienfaits que l'excursion de Néapolis avait pu lui apporter.

Quotidiennement, le matin, elle faisait avec son père la prière habituelle à Cybèle, mais, au fond, elle sentait que sa pensée se mettait à graviter autour de ce Christ aimant et sage qui était le centre de tous les commentaires de son frère adoptif.

N'ignorant pas l'aversion de son père pour les chrétiens, elle prenait soin de s'abstenir en sa présence de tout commentaire tendant à blesser ses principes.

Peu à peu, les idées et les remarques de Celse avaient converti son âme simple et sensible à la nouvelle foi.

Une fois ses études et ses tâches quotidiennes terminées, le garçon trouvait encore le temps de lire de courts passages trouvés dans les archives de Basil que Tatien conservait respectueusement.

Dès lors le bienfaiteur paternel durant leurs entretiens ordinaires que ce soit à l'occasion de promenades dans la campagne ou pendant les repas dans le triclinium, était surpris par les commentaires judicieux et sensés du garçon, même si Celse Quint évitait lui aussi toutes références faites au christianisme de manière directe.

Servule n'oubliait jamais de demander aux enfants le juste respect des convictions de leur père et, ainsi, les deux enfants spirituellement proches partageaient le même idéalisme et les mêmes espoirs en leur for intérieur consolidant la foi qui aimantait leurs cœurs.

Nuit après nuit, les habitants de la maisonnette dans la forêt vivaient des heures douces et bénies de musique et de joie.

Comme s'il connaissait les traits psychologiques de Tatien, de longue date, Celse avait une manière toute spéciale de guider la conversation.

Un beau jour alors que le patricien désenchanté se plaignait des tragédies passionnelles de son temps avec affliction et découragement, le garçon fit remarquer subtilement :

Mais, mon père, ne pensez-vous pas que le monde a besoin d'un nouveau mouvement d'idées qui pénétrerait les sentiments des créatures en rénovant leur façon de penser ?

Tatien l'a regardé, étonné.

Que savait Celse des problèmes de la vie ?

Bien qu'admiratif, il lui a répondu fermement :

Je n'en crois rien, mon fils. Nos traditions et nos lois sont suffisantes. Il nous suffit de nous y adapter puisque les grandes lignes sont là. Ne penses-tu pas que les divinités savent conduire nos vies ?

Si mon père — lui dit le petit pensif —, vous avez raison... Et pourtant les dieux semblent bien loin ! On nous dit que Jupiter guide le monde de toute part, que

Cérès est la protectrice des récoltes, que Minerve oriente les sages, niais ne pensez- vous pas que nous avons besoin que quelqu'un vienne au monde, au nom des dieux, partager sa vie avec les hommes dans leurs difficultés et leurs douleurs ?... Les divinités aident les êtres conformément aux sacrifices qu'ils reçoivent dans les temples. Ainsi, la protection du ciel varie en fonction de la position des hommes. Il y a ceux qui peuvent apporter aux sanctuaires des taureaux et des oiseaux, des encens et de l'argent, cependant la majorité des habitants d'une ville est composée de gens pauvres qui ne connaissent que le sacrifice et la servitude... Vous croyez père que les esclaves sont déshérités du ciel ? Que ceux qui travaillent le plus doivent être les moins favorisés ?

Prononcées avec humilité et affection, le fils de Varrus recevait de telles paroles comme des jets de lumière intérieure.

Lui-même était bien nanti, il avait grandi protégé par le prestige de l'or, mais les surprises du destin petit à petit l'avaient dépouillé de tous les avantages et privilèges.

La mort de sa femme et le mécontentement de sa famille le plaçaient au bord de l'appauvrissement économique le plus complet.

Le tout dernier coup viendrait de son beau-frère et gendre.

Peut-être ne tarderait-il pas à connaître la pénible condition des hommes condamnés à la servilité, de subalterne dans l'ombre.

À un tel tournant de la vie sur terre, il ressentait le souffle de l'adversité qui gelait son

cœur.

Aurait-il une foi suffisamment robuste dans les jours incertains qui approchaient ?

Les commentaires de son fils adoptif éveillaient en son âme cette pensée crucifiante.

Il est devenu légèrement livide et lui dit :

Oui, oui, tes remarques sont appréciables mais nous ne pouvons oublier que notre existence reste structurée sur le fondement des classes.

Et se rappelant les sages interprétations d'anciens Romains, il a ajouté :

La société est un corps dont nous sommes une partie intégrante. La tête hissée sur les épaules a pour mission de raisonner et de décider. Les mains et les pieds sont faits pour servir.

Dans l'organisme de notre vie politique, l'aristocratie représente les sens tels que la vision, l'audition et le touché qui assiste le cerveau à examiner et à discerner, alors que les plébéiens sont les membres chargés du travail et de la soumission. Nous ne pourrions pas inverser l'ordre. La naissance et la position, le nom et les conquêtes sont les piliers de notre équilibre.