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La jeune fille s'est interrompue pendant quelques instants, a montré les signes d'une indéfinissable allégresse sur son maigre visage amaigri et a continué :

Aujourd'hui, cet après-midi, Livia est venue ici... Elle avait apporté une énorme harpe ornée de rosés de lumière... Elle m'a chanté l'hymne aux étoiles avec la même voix que lors de notre rencontre au bord du Rhône... Elle m'a dit que nous serons tous ensemble très bientôt et que je ne devrais pas vous contrarier si vous n'approuviez pas que je devienne chrétienne maintenant... Elle a assuré que la vie est divine et éternelle et que nous n'avons pas de raison de nous tourmenter les uns, les autres... Elle m'a affirmé que l'amour de Jésus glorifie notre chemin et qu'avec le temps il brillera partout... D'ailleurs cher père, j amais j e n'entrerai dans un ciel où vous ne soyez...

Elle a fixé ses yeux profonds et fulgurants au plafond et s'est exclamée :

Jésus est aussi l'amour qui espère toujours... Le pardon sera pour tous...

Tatien a levé son visage et l'a regardée profondément affligé.

Aurait-il raison de contrarier sa chère fille en cette heure extrême ? Pourrait-il en toute conscience, lui empêcher l'accès à la foi qu'il avait détestée jusqu'à présent ? Pourquoi nier à Blandine le réconfort de son accord sur une question purement spirituelle ? Pour s'être soulagé, il a ressenti un grand remords et étreignant la malade, il lui a dit sincèrement :

Pardonne-moi, ma fille ! Oublie mes paroles... Dis ce que tu veux... Tu peux embrasser le christianisme librement... Notre amour n'est pas une prison de souffrances mais une communion dans la joie parfaite ! Dis, Blandine et j'obéirai !...

Il y avait tant de loyauté, tant de tendresse dans ces phrases que la patiente a souri avec une expression de béatitude et de satisfaction et elle a prié humblement :

Papa, à l'église Saint-Jean, il y a un petit vieux du nom d'Ennio Pudens que j'aimerais que vous appeliez personnellement pour prononcer avec moi une prière et... quand je mourrai, je souhaiterais que vous déposiez mon corps au cimetière des chrétiens... Je sais que là-bas règne la joie dans la certitude de la vie éternelle...

Tatien voulut la dissuader de ces idées. Pourquoi s'inquiéter tant de la mort quand l'espoir leur ouvrait un magnifique avenir devant eux ?

S'efforçant de paraître sûr de lui et serein, il promit d'accomplir sa volonté et se mit à parler d'autre chose.

Il s'est rapporté à la fête que la ville attendait impatiemment et insista sur le fait qu'il avait l'intention de conquérir un beau prix.

Il avait acheté deux vigoureux chevaux, originaires de Cappadoce qui semblaient posséder des ailes invisibles dans les pattes.

Il s'attendait pour autant à un triomphe spectaculaire.

Il était convaincu que, très brièvement, sa fille assisterait fière et jolie aux courses, illuminant ses victoires.

Blandine souriait, satisfaite et réconfortée.

Plus calme, elle s'est reposée dans l'attente du lendemain.

L'esprit lacéré, Tatien vit arriver le petit matin et conformément à sa promesse, il s'est dirigé discrètement à l'église Saint-Jean où il n'a pas eu de mal à trouver le vieillard indiqué.

À l'âge de quatre-vingts ans, courbé et tremblant, Ennio Pudens, celui qui avait été le compagnon de Varrus Quint quand il s'était présenté comme le successeur d'Apius Corvinus, travaillait toujours là. Bien que Jouissant du respect de tout le monde dans sa position de collaborateur le plus âgé de la communauté, c'était un exemple vivant de foi, de service, d'application et d'abnégation.

Il reçut Tatien avec beaucoup d'attention et de bonté se mettant à sa disposition dans ce qu'il pouvait lui être utile.

La simplicité de l'ambiance lui procurait une immense paix intérieure.

L'âme de Tatien avait soif de tranquillité comme le désert aspire à la bénédiction de

l'eau.

Interpellé par le patricien sur le passé, Ennio l'informa avoir connu les deux Corvinus, le vieux et le jeune homme lui montrant avec plaisir les souvenirs de celui que jamais il n'aurait pu imaginer être le malheureux père de son interlocuteur.

Tatien a observé la chambre où Varrus avait vécu consacré à la charité et à la foi.

Il s'est arrêté à la contemplation du pauvre lit affectueusement conservé et a réfléchi aux peines qui avaient certainement assailli son cœur paternel.

Il n'aurait jamais pu supposer que lui, Tatien, viendrait frapper à cette porte implorant de l'aide pour sa fille malade.

Plongé dans une profonde rêverie, il fut ramené à la réalité par la voix de Pudens qui déclarait être prêt à le suivre.

Ils sont ainsi partis en direction du nid emmitouflé entre les arbres où Blandine a reçu l'apôtre avec joie et révérence.

Le missionnaire connaissait le gendre de Veturius de longue date. Il le savait être un adversaire entêté de l'Évangile et un persécuteur avéré de l'église opprimée. Toutefois, la pauvreté soignée dans laquelle il vivait avec ses enfants, son courage moral face aux revers soufferts dans la vie et la bonne humeur avec laquelle il affrontait les coups de la malchance, inspiraient aux yeux de l'opinion publique la sympathie et le respect envers son esprit mûri.

Un peu gêné au début, peu à peu, il est devenu plus communicatif. Les questions de la petite malade, la conversation judicieuse de Celse et le regard respectueux de son hôte le laissaient plus à l'aise.

Le vieux religieux a réfléchi aux afflictions - ô combien - énormes qui s'étaient abattues sur cet homme tenace qui l'écoutait attentivement, mais vieilli dans l'expérience et dans la douleur, il fit taire les questions qui montaient de son for intérieur pour ne répandre qu'affection, tolérance, bonté et compréhension autour de lui.

Au bout d'une heure d'un sain entretien après avoir répondu aux demandes de la petite malade, le vieil homme a prononcé à voix haute l'oraison dominicale :

— Notre Père qui êtes aux deux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, donnez-nous aujourd'hui le pain de chaque jour, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, mais ne nous laissez pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal, car c'est à toi qu'appartienne la puissance et la gloire pour des siècles et des siècles. Ainsi soit-il.

Muet et ému, le veuf d'Hélène a entendu la prière s'attendrissant de la douce confiance de ses enfants qui la répétaient mot à mot.

Ce fut là son premier contact avec l'inspiration du Christ qu'il n'avait jamais pu comprendre.

Devant ce tableau composé d'un vieil homme qui n'attendait plus rien du monde si ce n'est la paix du tombeau et de ses deux enfants qui se sentaient en droit de tout attendre de la vie sur terre, plongé dans la même vibration de joie et de foi, il n'a pu s'empêcher de verser quelques larmes.

Il a écouté avec un indicible respect chacune des remarques du visiteur et quand Ennio s'apprêtait à partir, respectueusement, il l'a supplié de ne pas oublier ses enfants. Blandine et Celse étaient de fervents chrétiens et lui en tant que père, il ne pouvait contrarier leurs sentiments.

La malade réjouie l'a regardé.

Une indicible sérénité a enveloppé la maison en cette nuit inoubliable. Comme si elle avait absorbé un délicieux calmant, la jeune fille s'est endormie tranquillement. Tatien, à son tour, s'est livré à un sommeil lourd et sans rêves...

Le lendemain cependant, il s'est réveillé avec une indéfinissable tristesse qui l'agitait intérieurement.

Il s'est souvenu de sa fille qui la veille avait assumé un engagement morale avec la nouvelle foi et pour cela, seul maintenant, il est allé chercher l'image de Cybèle qui se trouvait sur un petit oratoire juste à côté de la chambre de Blandine.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, il a répété sa prière habituelle à la Grande Mère sans personne avec lui.