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Jamais, il n'avait ressenti un tel froid spirituel. Jamais, il ne s'était senti aussi seul pris d'angoisse. Il avait l'impression qu'il était l'unique fidèle vivant dans un temple de dieux morts...

Mais même ainsi, il ne renoncerait pas à la foi pure de son enfance.

Il aimerait Cybèle, se consacrerait à Baco et attendrait Jupiter, le grand maître.

Il ne pouvait changer.

En larmes, il a prié et après avoir embrassé ses enfants, il s'est dirigé vers le cirque où il a préparé son char pour les courses de l'après-midi.

Plus tard, il est retourné au foyer pour prendre un léger repas et bien que remarquant que les souffrances de Blandine s'étaient singulièrement aggravées, il est retourné en ville pour le grand combat.

Au crépuscule naissant, le local régurgitait de monde.

Des litières alignées en file donnaient une idée du caractère aristocratique de la fête. Des biges et des quadriges paradaient de ci, de là rapidement... Des musiciens déguisés en faunes jouaient de la cithare, de la trompette, du luth et du tambourin, animant la foule qui ne se fatiguait pas d'entendre les rugissements sauvages. Des courtisans admirablement habillés et des bacantes exhalant des odeurs perturbantes, des matrones et des vierges de Rome et des Gaules, exaltées et semi-nues, criaient les noms des favoris.

Tatien avait acquis la sympathie générale.

Dès que la ligne de départ de la course fut formée, il fut acclamé par des centaines de voix qui partaient non seulement du peuple mais aussi des galeries d'honneur où était installé le propréteur avec son importante suite excentrique et tapageuse.

Ce jour, néanmoins, le favori de la foule semblait sourd et indifférent.

Les pensées tournées vers sa fille bienaimée à se débattre avec la mort, il n'a pas esquissé le moindre geste de reconnaissance en direction de la masse qui le saluait, délirante...

Au signal du départ, il a lâché les rênes dorées et les chevaux fougueux sont partis. Le candidat à la victoire, néanmoins, ne s'est pas senti sûr de lui comme les autres fois...

Après quelques instants à un galop effréné, il a remarqué que sa tête sur ses épaules perdait l'équilibre. Il s'est efforcé de reprendre rapidement les commandes de la bige à la renverse mais soudainement sa vue s'est troublée. Il a cessé d'entendre les cris de la foule frénétique ayant l'impression que le vide se faisait dans son crâne et, incapable de se contrôler, il s'est penché en avant, se retenant aux bords de la voiture déroutée.

Les animaux complètement déchaînés ont lancé le véhicule contre l'énorme colonne d'un arc ornemental en bord de piste, réduisant son char en morceaux.

Tombé à l'improviste, Tatien a souffert d'une énorme chute et alla se loger dans les morceaux de fer tordus qui heurtèrent son front, blessant sérieusement ses yeux.

Face aux cris de la foule, quelques serviteurs des jeux publics se sont jetés à son secours, le retirant des décombres, ensanglanté.

Le valeureux champion était inconscient. Et alors que deux esclaves bienveillants le reconduisaient chez lui, les mêmes voix qui l'avaient applaudi, le huaient maintenant avec des commentaires injurieux et ingrats.

Désappointés, les joueurs qui avaient perdu d'importants paris se retournaient maintenant contre leur idole de la veille...

Encore incapable de raisonner, bien que pouvant gémir, le patricien fut déposé sur un lit sous le regard angoissé de Celse Quint.

Le garçon fit son possible pour cacher à Blandine les pénibles événements encourus et donna à son père adoptif toute l'assistance à sa portée. Mais se reconnaissant infiniment seul pour prendre une décision quant à ce qui devait être fait, il attrapa son cheval s'empressant de courir au refuge des chrétiens.

Le vieil Ennio a écouté les nouvelles plein de compassion.

Il renvoya Celse à son foyer et prit une voiture pour porter secours au blessé. En un rien de temps, en vertu des circonstances, il assuma la direction de la maisonnette dans la forêt.

Il avait apporté avec lui les remèdes dont il disposait et muni d'un morceau de tissu, il se mit à nettoyer les blessures qui saignaient encore, mais pris d'une soudaine appréhension, il constata que Tatien était aveugle. Le fier patricien que la vie semblait punir lentement le flouant de tous les privilèges qui faisaient qu'il était craint et respecté, était maintenant dilacéré dans son propre corps. Jamais plus, il ne retournerait aux compétitions de l'arène et il lui serait difficile de trouver un travail s'efforçant de répondre aux besoins de ses propres mains.

Alors qu'il réfléchissait, il remarqua que le blessé récupérait intégralement la raison. Les gémissements étouffés augmentaient.

Le vieillard lui a adressé quelques paroles encourageantes expliquant que les ecchymoses avaient été dûment soignées.

Reconnaissant le bienfaiteur, Tatien l'a remercié et lui a demandé d'allumer la lumière car il se sentait dérangé, angoissé, dans cette obscurité.

Le manteau de la nuit était réellement tombé sur ce malheureux jour, mais dans la pièce deux torches brûlaient ardemment.

— Mon Seigneur — lui dit l'ancien profondément désolé —, la chambre est illuminée, mais, vos yeux...

La phrase est restée suspendue en l'air.

Une indicible terreur est apparue sur le visage du blessé.

Le fils de Varrus a alors porté ses mains à sa tête et a compris toute l'extension du désastre.

Ennio et Celse, qui étaient présents, ont cru que le pauvre romain exploserait d'exaspération et de douleur, mais bizarrement le veuf d'Hélène s'est tu... Des orbites éteintes et sanglantes de grosses larmes ont surgi abondantes. Et comme s'il devait dire quelque chose à son fils et à leur ami, il s'est exclamé d'une voix émouvante :

— Je suis aveugle ! Mais les dieux m'accordent, encore, la grâce de pleurer !...

Ensuite, tâtonnant et titubant, il s'est dirigé vers la chambre de Blandine, demandant à Ennio avant d'entrer de laisser la pièce dans l'ombre.

Il s'est approché de sa fille, lui a caressé les cheveux. La malade lui a parlé des douleurs qui la tourmentaient et, dans un suprême effort, son père l'a consolée s'excusant d'avoir autant tardé...

Veillé par les ténèbres, il lui a décrit la fête de l'après-midi. Il lui a raconté que des centaines de femmes étaient apparues avec des costumes originaux d'une grande beauté. Le spectacle avait été magnifique. Il a imaginé de surprenantes nouveautés pour enchanter la patiente qui était habituée à ses récits retraçant les réjouissances publiques.

Blandine lui a baisé les mains et lui a déclaré se réjouir de la présence de Pudens, puis s'est reposée calmement.

Celse et le vieil homme accompagnaient la scène pris d'émotion.

La force morale de Tatien les impressionnait.

Et nuit après nuit, comme s'il revenait de ses activités au cirque, son père étreignait sa fille dans l'obscurité tout en lui parlant longuement, lui laissant l'impression que tout se passait dans un climat de paix et de sécurité.

Pleine d'inquiétudes et d'afflictions, la pénible situation s'est prolongée pendant une quinzaine de jours.

Aucun de ses amis du passé n'est apparu.

Aucun admirateur de l'arène ne s'est souvenu de lui faire la gentillesse d'une visite.

Seul le vieux Pudens cultivait, imperturbable, l'amitié qu'il leur vouait. Se joignant au jeune Celse Quint, comme s'il était un vieil ami, ils se chargeaient ensemble de trouver des solutions à tous les besoins domestiques, soulageant ainsi Tatien autant qu'ils le pouvaient.

Le jeune garçon était dévoué à son père adoptif avec une admirable affection. Il le remplaçait dans toutes les activités de la maison, lui lisait ses livres favoris, lui décrivait le paysage, l'entourait de tendresse...

Avec le consentement du maître de maison, Ennio se mit à dormir dans l'humble résidence, attentif à l'état de Blandine qui demandait une assistance particulière. Cette fleur de bonté et de tendresse se fanait lentement au soupir de la mort.