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Et de fait, par une nuit froide et nuageuse, elle a soudainement empiré.

L'ancien a compris que la fin était proche et a supplié Tatien de venir rapidement étreindre sa fille pour que le réconfort de la présence paternelle en cette heure extrême ne lui fasse pas défaut.

Depuis qu'il était aveugle, Tatien pensait qu'il ne souffrirait pas autant de la perte de Blandine dont son affection était pour lui un inestimable trésor. Et il se disait : ne serait-il pas plus juste de se réjouir de la voir épargnée du poids de supporter de si rudes épreuves ? Pourquoi la garder prisonnière à un invalide ? Comment se réjouir dans l'attente de la voir asservie à la pauvreté et à la misère ?

Et pourtant, cet appel dans la nuit profonde eut sur lui l'effet d'un coup de poignard

mortel.

Chancelant, il l'a reçu avec angoisse...

Assis sur le bord du pauvre lit et assisté d'Ennio, il a caressé l'agonisante qui n'entendait plus ses paroles d'amour et d'exhortation... Il l'a pressée contre son cœur comme s'il désirait la retenir à son propre corps, et comme si elle n'attendait que sa chaleur réconfortante, Blandine s'est enfin détendue avec la placidité béate d'un ange qui s'endort.

Désespéré, inconsolable, le fils de Varrus a crié toute la douleur qui se perdait au fond de la nuit...

Le lendemain avec le soutien de Pudens, les funérailles ont été organisées selon les désirs de la jeune fille.

Le malheureux père, se soutenant maintenant à son fils adoptif, bien qu'en désaccord profond avec les chrétiens, a accompagné la dépouille de son enfant et est resté dans une pièce adjointe à l'église, sans avoir le courage de retourner chez lui.

Attaché à la mémoire de sa fille, il a ordonné de faire sculpter une plaque en marbre sur laquelle était gravé en bas relief deux cœurs entrelacés avec une belle épitaphe : Blandine vit.

Soutenu par Celse, il voulut lui-même aider à placer ce souvenir sur l'humble tombe puis à la fin du service, il a tâtonné les paroles expressives et comme s'il étreignait la tombe, il a supplié agenouillé :

— Blandine, ma fille chérie ! Où que tu sois, reste ma lumière ! Étoile, allume tes rayons pour que je puisse marcher ! Je suis seul sur terre ! Si une autre vie existe, au-delà de la froide sépulture qui te garde, implacable, aie pitié de moi ! Ne permets pas que les ténèbres m'emportent ! Nombreux sont ceux que j'ai vu partir pour l'étrange labyrinthe de la mort !... Mais, jamais, je n'ai ressenti une telle sensation d'abandon !... Ma fille bénie, ne me laisse pas, jamais ! Libère-moi du mal ! Apprends-moi à résister contre les monstres du renoncement et du découragement !... Montre-moi la clarté bénie de la foi ! Si j'ai commis des erreurs sous la sombre inspiration de la vanité et de l'orgueil, aide-moi à trouver la vérité ! Tu as adopté une croyance pour laquelle je ne suis pas préparé ... Tu as choisi un chemin différent de celui qui était le nôtre, néanmoins, ma fille inoubliable, se peut-il que tu te sois trompée !... Si tu as trouvé le Maître que tu attendais, ranime mon cœur pour que j'aille aussi à sa rencontre !... Je ne connais pas les dieux en qui tu crois, mais j'ai eu le bonheur de te connaître et en toi je confie infiniment !... Soutiens-moi ! Élève mon âme abattue ! Reviens Blandine ! Ne vois-tu pas maintenant que ton père est aveugle ? Tant que tu étais de ce monde, j'étais fier de te guider !... Aujourd'hui, cependant, c'est moi qui mendie ton aide ! Ma fille bienaimée, vis avec moi pour touj ours !...

Sa voix s'est tue dans la petite nécropole, étouffée par un flot de larmes..

C'est alors que Celse l'entoura de ses bras aimants, l'embrassa avec une indicible affection et lui dit confiant :

— Mon père, vous ne serez jamais seul...

S'appuyant à lui, Tatien, écrasé de douleur, s'est éloigné de la crypte, tremblant et hésitant.

Non loin, une petite assemblée entonnait des hymnes chrétiens en des prières vespérales...

Le malheureux aveugle, bien qu'ayant trouvé là un accueil spontané de la part des disciples de l'Évangile, se disait que son existence ne pouvait se terminer dans ce sanctuaire aux principes différents des siens et en conclut que son destin inexorable le poussait à aller de l'avant...

FIN DE LA LUTTE

Après quelques jours de réflexion passés dans l'annexe de l'église, Tatien partagea avec le vieil Ennio ses décisions, celui-ci l'écouta avec beaucoup d'attention et de pondération.

Bien qu'aveugle, il ne voulait pas être un poids pour l'institution. Il ne savait comment remercier le dévouement de Pudens qui était digne de toute son affection. S'il l'avait pu, il serait resté là à ses côtés à le servir avec dévouement et respect jusqu'à la fin de ses jours sur terre. Toutefois, il n'était pas seul. Il devait s'occuper de l'avenir de Celse Quint et pour cela, il ne devait s'attarder.

Mais il ajouta tristement qu'il ne souhaitait pas retourner à la maisonnette de la forêt. Le souvenir de sa fille lui brisait le cœur. L'absence de Blandine avait provoqué en lui un vide irrémédiable.

De sorte qu'il confierait à Ennio les précieuses archives de Basil et vendrait la résidence, les voitures et les chevaux. Avec le produit de la transaction, il paierait les dettes qu'il avait et partirait avec son fils pour Rome.

La plus âgée de ses filles y vivait. Lucile n'avait jamais été très proche mais ceci ne pouvait la pousser à trahir la voix du sang. Elle était riche et compatirait certainement de la situation dans laquelle il se trouvait. Bien évidemment, elle ne lui nierait pas sa protection quand elle verrait sa pénurie.

Il prétendait ainsi se placer sous son patronage en compagnie de son fils adoptif dont l'âge réclamait toute son attention.

À Rome, avec les relations dont il pensait pouvoir encore disposer, il placerait le garçon dans des conditions honorables pour attendre dignement l'avenir...

Pudens a écouté ses plans et ne s'est pas opposé à leur réalisation.

Néanmoins, il lui a réitéré son amitié et toute son affection lui offrant son aide. Pourquoi se lancer dans l'aventure d'un si long voyage pour recommencer sa vie ? L'église pourrait se charger discrètement de l'éducation de Celse et lui-même, Tatien, ne serait pas sans travail. Il y avait des malades à consoler, tant de tâches à réaliser...

Le veuf d'Hélène, cependant, n'avait pas tout à fait renoncé à l'orgueil de sa classe. Il avait acquis une certaine tolérance mais il se trouvait encore loin du vrai détachement de lui- même.

Il n'exposerait pas Celse au fléau des persécutions périodiques. Il l'aimait beaucoup trop pour le soumettre sans défense à la déconsidération sociale. Il serait plus en sécurité dans la grande métropole.

Il avait à Rome non seulement sa fille qui leur garantirait certainement de quoi vivre, mais il avait aussi de puissants amis dotés d'une forte influence à la cour.

Il comptait sur les liens du passé pour entraîner son fils adoptif dans la vie publique.

Celse Quint était doté d'une grande intelligence. Il éprouvait pour lui les sentiments les plus profonds d'affection et de confiance. Il l'estimait avec beaucoup de zèle et de tendresse... Dès l'instant où il l'avait reçu des mains de Livia à son départ pour les régions des ténèbres, il avait découvert en lui une pierre précieuse pour l'écrin vivant de son âme. Très souvent, il réfléchissait longuement au mystère de la communion sublime et parfaite qui les unissait. Il avait dans l'idée qu'il avait retrouvé un amour céleste que le temps n'avait pas réussi à effacer. À l'entendre, enthousiaste, il jugeait parfois qu'il avait retrouvé la compagnie de son père. Ce bon sens dans l'appréciation de la vie, cette culture polymorphe et cette facilité d'expression propre à la conversation de son fils adoptif, lui rappelaient les inoubliables entretiens qu'il avait eus avec Varrus Quint dans les jardins de la résidence de son beau-père. La grâce et la logique, la compréhension et la sagesse innée étaient si semblables, qu'inexplicablement, il s'est mis à raisonner à la façon du jeune garçon à propos des grands moments de lutte. Instinctivement, il attendait de lui le mot final sur les sujets les plus graves et l'orientation appropriée sur le chemin épineux de la vie. Il l'aimait de toute son âme têtue et sauvage, mais loyale et sincère. Rien que pour lui il voulait vivre et se débattre maintenant dans les luttes amères du monde.