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Alors, comment le reléguer à un destin incertain à Lyon ?

Ennio s'est dit qu'il ne devait pas le contredire. Le christianisme était encore considéré comme illégal. Les représailles d'ordre politique tombaient invariablement par surprise sur les adeptes. Pour autant, il ne serait pas légitime d'appuyer une solution qui viendrait soutenir son point de vue.

Invité à donner son avis, Celse assura qu'il ne souhaitait qu'une chose : satisfaire son père. Il suivrait Tatien avec la fidélité de toujours.

De sorte que le malheureux patricien passa à la mise en place de son plan d'action.

Il vendit la maison, les biges et les animaux qui lui appartenaient au nouveau propriétaire de l'ancienne Villa Veturius. Mais l'argent reçu d'Alcius l'acquitta juste des dettes contractées. Il lui restait à peine de quoi payer le voyage.

Même ainsi, il n'a pas changé d'avis. Lyon l'asphyxiait.

Blandine lui manquait et sa soudaine cécité martyrisait son cœur. Il désirait s'en aller, avoir de l'espace, se changer les idées et tout oublier.

Pudens, cependant, généreux et prévenant, à l'insu de Tatien, donna à Celse une lettre pour un ami humble mais sincère qui vivait sur la voie Ostie. Le père adoptif prenait trop peu de précautions. Ils auraient peut-être besoin de l'aide de quelqu'un, avant d'entrer en contact avec la veuve de Galba. Ainsi, dans l'éventualité d'une possible complication, ils pourraient faire appel à Marcelin, un vieux chrétien abandonné par sa famille qui s'était réfugié dans la foi vivant entre la résignation et la charité.

Le jeune garçon prit les instructions avec plaisir. Ainsi, il ne serait pas seul pour surmonter les difficultés. Pour ne pas effrayer son père, il a soigneusement gardé la lettre et leurs adieux furent émouvants.

Après avoir quitté Massilia, une légère galère les a laissés à Ostie qui exhibait encore les beaux monuments du port de Trajan.

L'aveugle, se soutenant au garçon, respirait l'air de sa patrie avec une joie évidente.

Les moyens manquaient. Mais écoutant les références que Celse faisait avec enthousiasme sur la belle baie hexagonale que ledit empereur avait fait construire, il demanda à son fils adoptif de trouver la résidence de

Fulvius Spendius, un compagnon de jeunesse qui, selon des informations reçues en Gaule s'était retiré dans une magnifique demeure.

Bien naturellement Spendius accepta de les recevoir.

Il se souvenait de ce personnage imposant participant aux jeux et de la joie spontanée avec laquelle il se livrait aux libations après les concours bien gagnés.

Cette rencontre lui serait précieuse.

Son ami leur ferait certainement l'honneur de les héberger et mettrait à leur disposition un véhicule approprié qui les conduirait confortablement jusqu'à Lucile...

Alors qu'il réfléchissait, se parlant à lui même, Celse, guidé par les indications de plusieurs passants, frappa à la porte d'une gracieuse villa, juste au centre d'un paisible verger.

Un esclave très poli vint les accueillir.

Plein d'espoir, Tatien a pris la parole et a demandé si son maitre était là tout en annonçant sa position de compagnon du passé qui ne l'avait pas vu depuis de longues années.

Quelques instants plus tard, un patricien aux traits moins sympathiques, au bout de la décadence, est apparu boitant et négligé.

Il a longuement dévisagé les visiteurs et après avoir pris une froide expression de dédain qui a gelé Celse Quint, il a demandé irrité :

Que désirent-ils ?

Oh ! C'est la même voix !... — s'est écrié le fils de Varrus tendant instinctivement les bras. — Fulvius, mon ami, me reconnais-tu ? Je suis Tatien, ton vieil allié des concours...

Le Romain a reculé gêné et s'est indigné :

Quelle insolence ! Par Jupiter, jamais je ne t'ai vu !... Je ne m'allie pas avec la

peste...

Trompé par sa confiance, l'arrivant reprenant appui sur l'épaule de son fils, lui dit un peu désappointé :

Tu ne te rappelles pas de nos entraînements chez Veturius, mon beau-père ? J'ai encore l'impression de te voir manipulant ton glaive brillant ou bien encore commandant une bige légère qui volait au galop de tes beaux chevaux blancs...

Tu n'es qu'un vil imposteur ! — lui fit Spendius irrité. — Tatien est un homme de ma condition. Il vit de façon honorable en Gaules. C'est un patricien. Jamais, il ne se présenterait à moi dans cette exécrable misère. Gaulois imbécile ! De toute évidence, tu as abusé de mon ancien compagnon pour lui extorquer des informations, envahir ma résidence et me voler L.Infâme ! Vagabond ! Tu dois être un nazaréen dissimulé amenant jusqu'ici ce jeune voleur !... À la rue ! À la rue !... Filez, dehors !... dehors !...

Fulvius, furieux, leur indiquait la place publique alors que son ami ruiné séchait de copieuses larmes qui coulaient de ses yeux éteints.

Quand la barrière métallique fut fermée par le propriétaire de la maison avec une grande violence, le voyageur désenchanté est retourné sur ses pas d'où il venait...

Devinant sa douleur, le jeune homme l'a étreint avec plus de tendresse comme pour lui assurer qu'il n'était pas seul.

Tout en esquissant de la résignation et de l'humilité sur son visage, le malheureux père de Blandine reconnaissant lui fit observer :

En vérité, maintenant, je n'ai pas d'autre ami que toi mon fils, l'or et la position sociale ont pour habitude de montrer l'amitié, là où l'amitié n'existe pas. Il était impossible que Fulvius ne me reconnaisse pas... Cependant, je ne suis aujourd'hui qu'une ombre au niveau social. J'ai tout perdu... l'argent, la jeunesse, la santé et ma réputation familiale... Sans de tels attributs, je crains que ma propre fille ne me repousse...

Face à cette douloureuse inflexion de voix, le jeune garçon essaya de lui montrer le chemin de l'optimisme et de l'espoir.

Que son père ne s'inquiète pas. Lui, Celse, était jeune et fort. Il travaillerait pour eux deux. Ils ne manqueraient de rien. Quant à trouver un logement pendant quelque temps, il avait sur lui les recommandations de Pudens auprès de l'un de ses vieux amis. Ératus, d'après les informations du bienfaiteur de Lyon, devait vivre dans un endroit tout proche. Si Tatien était d'accord, ils n'auraient pas besoin de faire appel à la protection de la veuve de Galba. Ils vivraient tous deux très simplement. Ils réussiraient à trouver une humble maisonnette où ils pourraient recommencer leur vie. Les relations d'Ennio à Rome pourraient les aider en toute sécurité...

Le père adoptif a approuvé, consolé, expliquant qu'il le suivrait avec le plus grand plaisir, mais il ne pouvait rien dire de définitif, tant qu'il ne se serait pas entretenu avec Lucile pour décider des nouvelles dispositions à prendre.

Il ne serait pas juste de laisser sa fille à l'écart.

Si toutefois il trouvait en elle l'accueil qu'il espérait, ils limiteraient ainsi les caprices de la chance et Celse aurait les maîtres qu'il avait idéalisés dans ses espoirs paternels. Néanmoins, dans l'hypothèse où sa fille se montrerait endurcie et ingrate, ils se rendraient tous deux aux circonstances et recommenceraient leur lutte conformément aux afflictions que le destin leur dictait.

Alors qu'ils parlaient, le jeune homme le guidait tout le long de la route comme s'il fut un vieux coutumier de la voie Ostie.