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Quel précieux comédien pour le théâtre ! Il représenterait admirablement le rôle d'un patricien rabaissé.

Malgré les protestations énergiques du gendre de Veturius méconnaissable, rien n'y fit.

Quelques instants plus tard, une foule grossière et paresseuse les entourait. Des paroles ironiques et impropres étaient vociférées à tout vent.

Humiliés et muets, le corps fatigué et douloureux, Tatien et Celse furent emprisonnés dans un vieux souterrain de l'Esquilin rempli d'esclaves chrétiens et de mendiants malheureux considérés comme des renégats de la société.

Pour Tatien, qui avait les yeux plongés dans la nuit noire, le décor n'avait pas vraiment changé, mais Celse, qui s'accrochait fermement à sa foi, pouvait vérifier, consterné, toute l'angoisse de ces cœurs relégués au labyrinthe des prisons, évaluant toute l'extension de leurs propres souffrances.

Ici et là, des vieillards allongés gémissaient péniblement, des hommes dans un état sordide s'appuyaient à des murs noirâtres couvrant leur visage de leurs mains, des femmes en lambeaux étreignalent des enfants à demi-morts...

Mais par-dessus tous les gémissements se confondant à l'odeur abjecte, des cantiques en sourdine s'élevaient, harmonieux.

Les chrétiens remerciaient Dieu de la grâce de la douleur et de la flagellation, se réjouissant de la victoire de la souffrance.

Celse trouva un doux enchantement dans ces hymnes, et Tatien, entre la révolte et le tourment moral, se demandait quel miraculeux pouvoir détenait le prophète galiléen pour maintenir, au-delà du temps qui passe, la fidélité de milliers de créatures qui le louaient en plein malheur oubliant toute leur misère, leurs afflictions, allant même jusqu'à la mort...

Deux gardes corpulents, pourvus de lanternes et d'arquebuses les conduisirent dans une cellule tout en parlant sur un ton animé.

Heureusement, tous les prisonniers seront éliminés demain — informait l'un d'eux — ; la fièvre maligne est réapparue. Nous avons eu aujourd'hui trente morts !

Je sais — a murmuré l'autre —, les fossoyeurs sont alarmés.

Et, sarcastique, il a souligné :

J'admets que même les fauves refusent tant de pestilence.

Les autorités agissent avec sagesse — a dit l'interlocuteur — ; le spectacle, comme tu le sais, comportera quelques animaux africains, néanmoins, pour que le peuple ne soit pas trop impressionné par les impotents, nous aurons des poteaux et des croix où les invalides seront utilisés comme torches vivantes.

Tatien, désespéré, voulut encore manifester une dernière réaction.

Soldats — a-t-il clamé dignement —, n'y a-t-il pas de juges à Rome ? Est-il possible d'arrêter des citoyens sans juste motif et de les condamner sans examiner leur cas ?

L'un des soldats a immédiatement répondu à sa question en le poussant violemment, les jetant finalement, dans une cellule étroite et humide.

Celse Quint aidé par les faibles rayons de lumière qui venaient de galeries lointaines, a ramassé quelques chiffons qui se trouvaient par terre et, en guise de lit, a supplié son père adoptif de se reposer un peu.

Quelques instants après, un geôlier aux traits sauvages apportait la ration du jour, quelques morceaux de pain noir et de l'eau polluée que le garçon assoiffé a bu à grandes gorgées.

Ils ont longuement parlé tous les deux, alors que Celse se reportait aux impératifs de la résignation et de la patience et que l'aveugle l'écoutait, affecté, comme s'il devait boire le fiel de la plus vive injustice, sans droit à la moindre réaction.

Beaucoup plus tard, quand ils ont jugé que la nuit était là, ils se sont endormis enlacés l'un contre l'autre, marqués par d'inquiétantes perspectives...

Mais le lendemain, Celse s'est éveillé fébrile.

Il avait des douleurs dans tout le corps, il avait soif et il était fatigué.

Tatien, angoissé, a fait appel au geôlier, lui demandant un remède adéquat, mais il n'a obtenu que de l'eau boueuse que le garçon a avalée avec empressement.

Le fils de Varrus, l'âme affligée, a promené sa pensée dans le temps, se souvenant de leur maison bienheureuse et des beaux jours, réfléchissant alors plus intensément aux dures épreuves qui avaient puni ses chers parents. Comment son père avait-il pu survivre pendant tant d'années affrontant les tempêtes morales qui s'étaient abattues sur sa destinée ?

Il ressentit d'immenses remords face aux jours qu'il avait perdus, passés à sublimer l'autel mensonger de la vanité...

Comment avait-il pu se croire supérieur aux autres hommes ?

Il réfléchit alors au martyre de tous ceux qui comme lui étaient retenus dans ces souterrains infects, étranglés par la persécution qu'ils ne méritaient pas...

Et même s'il ne pouvait accepter le christianisme, pourquoi ne s'était-il pas décidé à pénétrer les malheureux paysages de la misère de son temps ? Combien d'esclaves avait-il vus, supportant d'affreuses afflictions auprès de leurs enfants malades ou presque morts ? Combien de fois avait-il prononcé des ordres iniques, tyrannisant des souffrants attachés aux travaux agricoles ? Il eut l'impression que de vieux serviteurs se levaient dans son esprit et riaient maintenant de sa douleur...

La respiration haletante de Celse l'inquiétait.

Pourquoi la fièvre épargnait-elle son corps, préférant son fils cher à son cœur ? Pourquoi n'était-il pas né, lui Tatien, parmi les esclaves miséreux ? La servitude lui aurait été un baume.

Il se serait trouvé alors exempté des terrifiants souvenirs qui affligeaient sa conscience.

Des larmes jaillissant de ses yeux, il caressait Celse, le réconfortant...

Quelques heures ont passé, marquées par l'attente et la torture mentale quand tous les prisonniers ont reçu l'ordre de bouger.

Les grilles ouvertes, ils sont sortis en petit groupe sous les cris des gardes qui crachaient des menaces et des insultes. Les plus forts étaient menottes portant de larges blessures aux poignets, mais pour la plupart il s'agissait de malades fatigués, de femmes sous- alimentées, d'enfants squelettiques et de vieux tremblants.

Même ainsi, tous les prisonniers souriaient, contents... C'est qu'ils retournaient au soleil et à l'air pur de la nature. Le vent frais de la voie publique les ranima...

Celse sentit alors une fabuleuse sensation d'énergies le raviver. Il retrouva sa bonne humeur et guidait son père avec sa tendresse de toujours. Influencé par le sublime espoir qui transparaissait du visage de tous les compagnons, il révéla à l'aveugle la joie rayonnante et générale qui régnait.

Personne n'ignorait ce qui les attendait.

Ils savaient que tel un troupeau acheminé à l'abattoir, ils ne devaient s'attendre à rien d'autre qu'à l'extrême sacrifice. Mais révélant leur certitude en une vie plus élevée, les chrétiens avançaient calmement la tête haute, l'humilité et le pardon s'exprimaient sur leur visage ; vision si étrange face aux paroles narquoises des soldats, véritables bouchers endurcis dans l'antre de la mort.

Après la marche forcée, ils se sont approchés de l'amphithéâtre où l'immonde enceinte les attendait pour le spectacle nocturne.

Ébloui, Celse a balayé l'Amphithéâtre Flavien24 du regard qui s'érigeait imposant après la précieuse restauration réalisée à la demande d'Alexandre Sévère.

(24) N.T. : Le Colisée ou Amphithéâtre Flavien

La façade sur quatre niveaux présentait sur les trois premiers niveaux des demi- colonnes doriques, ioniques et corinthiennes entre lesquelles s'ouvraient des arcades qui abritaient sur les deux étages intermédiaires des statues de toute beauté. Ce monument architectural était emprunt d'une austère grandeur.