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Des voitures somptueuses, des litières, des quadriges et des biges encerclaient le bâtiment.

Quiconque observant fortuitement un tel colosse qui pourrait immortaliser la gloire d'une race, n'aurait pu soupçonner que là, un grand peuple y cultivait l'oisiveté et l'orgie, la brutalité et la mort.

Un tribun à la physionomie exécrable lut quelques lignes proclamant la sentence des condamnés du jour, alors que des prétoriens au cœur endurci menaçaient les vieillards qui avançaient trop lentement en direction du supplice.

Les partisans de l'Évangile, néanmoins, semblaient extrêmement lointains du tableau qui inspirait la révolte et la souffrance.

Des hommes en lambeaux s'étreignaient heureux et des femmes décharnées embrassaient leurs enfants avec l'enthousiasme de ceux qui vont à la rencontre du bonheur parfait.

Ils n'avaient pas pu chanter sur le parcours qui allait du cachot à l'amphithéâtre, mais dès qu'ils se sont retrouvés tous ensemble dans une énorme cellule d'où ils devaient marcher vers la mort, ils ont entonné des hosannas au Christ avec la joie des créatures élues pour la splendeur du triomphe suprême où ils recevraient la couronne de l'immortalité.

Venant d'autres prisons arrivèrent de nouveaux contingents. Et parmi les derniers arrivants, Celse, heureux, a découvert Éraste Marcelin.

L'ami d'Ennio avait été fait prisonnier dans la nuit de la veille alors qu'il écoutait l'Évangile au cimetière de Calliste.

Ces retrouvailles furent une véritable bénédiction.

Même Tatien, qui restait circonspect et angoissé, a ressenti soudain un certain réconfort.

L'ancien de la voie Ostie disait, plein d'un bonheur qui s'exprimait dans ses yeux, qu'il avait été retenu dans un cachot et réaffirmait sa reconnaissance au ciel pour la grâce de lui avoir permis de recevoir la victoire spirituelle par le martyre.

Face à la curiosité joyeuse de tous ceux qui l'entouraient, il exhiba un petit fragment d'un rouleau usé et lut les belles paroles de la première lettre de l'apôtre Paul aux Thessaloniciens :

« Réjouissez-vous toujours » !

De bonne humeur, il a dit satisfait :

Mes frères, durant mon existence de presque de quatre-vingts ans, ce morceau d'écritures sacrées est tout ce qu'il me reste...

Et il a ajouté :

Réjouissons-nous !... Celui qui vit dans l'Évangile, trouve la divine joie... Parmi les millions d'appelés de ce siècle, nous avons été choisis ! Louons la gloire de mourir comme l'huile de la mèche qui brûle pour que la lumière brille ! Les arbres les plus nobles sont réservés à la formation du verger, le marbre le plus pur est destiné par l'artiste au chef- d'œuvre!...

L'âme prise d'extase, il fit observer :

Les grains les plus sains de la foi vivante se transforment dans les crocs des fauves en une blanche farine pour que le pain de la grâce ne manque pas sur la table des créatures !... Que l'espoir grandisse en nous car il est écrit : « Soit fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de la vie. »25

(25) Apocalypse, chapitre 2, verset 10. (Note de l'auteur spirituel)

Ces remarques provoquèrent une radieuse éclosion de bonheur sur tous les visages.

L'assemblée en lambeaux extatique semblait prise d'un infini bonheur.

Éraste, suscitant la ferveur de Celse avec ses paroles d'encouragement, leva la voix, s'associant aux cantiques d'allégresse.

Tatien, silencieux, se demandait pourquoi il avait été amené au témoignage des chrétiens, car en vérité, il n'avait jamais épousé ces principes...

Quel irrésistible destin l'entrainait-il, ainsi, vers ce Christ qu'il avait toujours fui délibérément ? Pourquoi était-il lié aux « galiléens » d'une telle manière qu'il ne lui restait pas d'autre alternative que de communier avec eux dans leur sacrifice ? Par quelle décision des immortels s'était-il pris d'une telle affection pour Celse Quint qui au fond n'était qu'un jeune à l'origine anonyme, et dont il s'était épris au point de l'aimer comme son propre fils ?

Concentré, il ressassait le passé, cherchant et cherchant encore...

Cependant, il ne disposait plus de beaucoup de temps pour un monologue mental.

Dehors, la foule s'amassait.

La nuit approchait froide et sans nuages.

Les hurlements commençaient dans la cavea monumentale de l'édifice résonnant dans les fondations

Au fur et à mesure qu'il faisait de plus en plus en plus sombre, la rumeur du mouvement populaire grandissait.

Graduellement s'élevait le tumulte de la masse qui, se mariant avec la musique des luths, des timbales et des tambourins, provoquait maintenant un bruit assourdissant.

Les prisonniers, qui ne devaient apparaître dans l'arène qu'à la fin du spectacle, priaient et chantaient, alors que certains parmi eux plus éclairés, attiraient l'attention des auditeurs avec des exhortations impressionnantes et encourageantes rappelant la gloire de Jésus crucifié et l'exemple des martyrs dans la foi.

Après différents jeux pendant lesquels plusieurs combattants perdirent la vie, vint ensuite le spectacle de danses exotiques, puis le décor fut modifié.

Des poteaux et des croix enduites de substances résineuses furent élevés devant presque cent mille spectateurs en délire.

Les chrétiens malades furent séparés de ceux qui pouvaient prendre part aux exhibitions libres de leurs mouvements et, parmi eux, Celse Quint à l'aspect souffrant fut violemment arraché aux mains paternelles.

D'un regard confiant, le jeune homme a demandé à Éraste de guider Tatien jusqu'au poteau où il serait attaché, et alors qu'un flot des larmes glissaient sur le visage du fils de Varrus, le garçon intrépide lui a recommandé :

— Courage, mon père ! Nous serons ensemble... La mort n'existe pas et Jésus règne pour toujours !...

Après de lourdes minutes d'attente, les prisonniers furent acheminés vers l'arène en fête, mais comme si un étrange pouvoir céleste vibrait dans les cordes de leur âme, ils louaient le Seigneur qui les attendait au ciel.

Des hommes au visage hirsute et des vieux chancelants, blessés et mendiants, des anciens auréolés de cheveux blancs et des femmes dont la maternité se révélait exubérante, des jeunes et des enfants au visage souriant chantaient, heureux, fermement convaincus du sermon prometteur des bienheureux.

Se soutenant à l'épaule fragile d'Éraste, Tatien remarquait en lui même une rénovation inattendue et sublime.

Ces âmes lacérées par l'injustice du monde n'adoraient réellement pas des dieux en

pierre.

Pour inspirer une telle épopée d'amour et de résignation, d'espoir et de bonheur face à la mort, Jésus devait être l'Envoyé Céleste qui régnait souverainement dans les cœurs.

L'âme se trouvait plongée dans une mystérieuse joie...

Oui, finalement il reconnut dans ces instants suprêmes que, tel un orage long et fort, le temps était passé sur sa vie, détruisant les idoles mensongères de l'orgueil et de la vanité, de l'ignorance et de l'illusion...

La tempête de souffrances avait laissé ses mains vides.

Il avait tout perdi.. Il était seul.

Mais dans ces courts instants, il avait trouvé la seule réalité digne d'être vécue — le Christ, comme un idéal d'humanité supérieure vers qui il devait aller et devait atteindre...

Il s'est souvenu de Blandine, de Basil et de LMa, gardant l'impression au fond de son cœur que tous trois se trouvaient là, lui tendant les bras avec des sourires de lumière.

Il s'est rappelé Varrus Quint avec une indicible affection.

Retrouverait-il son géniteur au-delà de la mort ?

Il n'avait jamais ressenti une telle nostalgie de son père et le temps d'un court instant... il aurait tout donné pour le revoir et pour lui affirmer avec toute sa tendresse qu'à cet instant de la mort, sa vie n'avait vraiment pas été vaine !...