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Les Occidentaux doivent être à ses yeux totalement inutiles, songea Faustus. Et il n’a peut-être pas tort.

La discussion ne menait nulle part. Faustus y coupa court en lui annonçant que le prince Héraclius devait arriver dans la soirée.

« Ah, dit Menandros. La situation doit s’arranger sur la frontière du nord. Tant mieux. »

Faustus songea qu’il n’était pas dans ses fonctions de lui expliquer que le César n’avait pas eu le temps matériel de faire l’aller-retour entre la frontière et Rome en si peu de jours, qu’en réalité, il était simplement allé passer quelques jours dans son pavillon de chasse à la campagne. Héraclius serait parfaitement à même de mettre au point un quelconque baratin sans son aide.

Faustus se contenta d’ordonner qu’on serve le dîner. Ils étaient en train de terminer le repas par des fruits et des sorbets, lorsqu’un messager vint leur annoncer l’arrivée du prince Héraclius à Rome, celui-ci sollicitant la présence de l’ambassadeur de Constantinopolis dans le hall de Marcus Anastasius au Palais impérial.

La partie la plus proche de la série de bâtiments vieux de cinq cents ans qui constituaient le secteur impérial n’était qu’à une dizaine de minutes à pied. Mais Héraclius, avec son flair habituel pour le geste déplacé, n’avait pas choisi sa propre résidence, plutôt proche, mais l’immense salle dans laquelle le Grand Conseil se réunissait d’habitude, à l’autre bout de la partie nord du palais, au sommet du mont Palatin. Faustus envoya chercher deux litières pour les emmener au lieu du rendez-vous.

Le prince s’était installé pompeusement au fond de la salle sur le siège qui faisait office de trône pour l’empereur quand le conseil se réunissait. Il était assis, le port impérial, attendant en silence que Menandros fasse l’inévitable et interminable parcours protocolaire à travers l’immense salle, Faustus le suivant, maladroit et bougon. L’espace d’un instant, Faustus se demanda si, à son insu, l’empereur n’était pas mort durant la journée, et si Héraclius n’était pas revenu à Rome pour prendre la place de son père. Mais quelqu’un l’aurait sûrement averti le cas échéant.

Menandros connaissait son métier. Il fit une révérence au prince, tout dans ses gestes étant approprié. En se redressant, il vit Héraclius se lever à son tour et lui tendre la main afin qu’il embrasse son imposante chevalière. Ce que fit Menandros. L’ambassadeur livra ensuite un court discours, bien senti, pour présenter ses hommages et ses vœux de bonne santé de la part de l’empereur Justinianus à son collègue royal l’empereur Maximilianus et à son fils le César Héraclius, sans omettre de le remercier pour l’hospitalité qu’il avait reçue jusqu’à présent. Il remercia chaleureusement Faustus mais – et fort habilement selon Faustus – ne fit aucune mention du rôle qu’avait joué le prince Maximilianus.

Héraclius l’écouta impassiblement. Il paraissait fébrile et lointain, bien plus qu’à l’ordinaire.

Faustus n’avait jamais porté l’héritier royal dans son cœur. Héraclius était quelqu’un de rigide, tendu, mal à l’aise même dans les meilleures circonstances : un homme somme toute complètement inconsistant qui ne possédait en rien l’aisance athlétique de son cadet. Son regard aussi était froid, et ses lèvres perpétuellement pincées, signe d’un manque d’humour évident. Il était difficile de croire qu’il était bien le fils de son père. L’empereur Maximilianus, dans sa prime jeunesse, ressemblait davantage à son homonyme d’aujourd’hui : un beau jeune homme à l’allure élancée, aux cheveux roux flamboyants et aux yeux bleus rieurs. Héraclius, en revanche, avait les cheveux bruns, là où il en avait encore, et des yeux noirs comme la suie qui étincelaient sous d’épais sourcils dans son visage blafard inexpressif.

La rencontre ne déboucha sur rien de concret. Le prince et l’ambassadeur savaient tous les deux que ce n’était pas au cours de ce premier contact qu’il convenait de parler du mariage royal ni de l’alliance militaire entre les deux empires, mais Faustus demeura tout même impressionné par la vacuité de la conversation. Héraclius proposa à Menandros d’assister aux combats de gladiateurs dans la semaine, fit une vague allusion à ses ancêtres étrusques et à leurs croyances religieuses, qu’il avait eu l’occasion d’étudier, et parla brièvement d’une pièce grecque idiote présentée à l’odéon d’Agrippa Ligurinus une semaine plus tôt. En revanche, il ne fit aucune allusion aux hordes barbares qui se pressaient le long de la frontière. Ni à la grave maladie de son père. Ni à son amitié profonde avec Justinianus, rien. Il aurait tout aussi bien pu parler du temps qu’il faisait. Menandros répondait à cette banalité par la même banalité. Faustus savait qu’il ne pouvait rien faire d’autre. Le César Héraclius devait mener le débat, pour le moment.

Puis, Héraclius mit abruptement fin à la discussion. « J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir très bientôt. » C’est ainsi que le prince conclut un peu arbitrairement la visite, d’une manière tellement impromptue qu’elle surprit même le pourtant alerte Menandros, au point que Faustus crut entendre un soupir d’étonnement chez ce dernier. « Je dois, à mon grand regret, m’absenter encore demain. Mais à mon retour, dès que l’occasion se présentera… » Et il tendit de nouveau son anneau pour le baiser protocolaire.

Menandros, une fois dehors pour y attendre leur litière, s’adressa à Faustus : « Cher ami, puis-je vous parler en toute franchise ? »

Faustus s’esclaffa. « Laissez-moi deviner. Vous trouvez le César peu engageant.

— C’est plus ou moins ce que j’allais dire, en effet. Il est toujours comme ça ?

— Oh non, d’habitude il est pire. Si vous voulez mon avis, je pense qu’il a fait un gros effort pour vous.

— Je vois. Très intéressant. Et c’est lui qui est destiné à devenir le futur empereur de l’Occident. Vous savez, la réputation du César Héraclius de n’être guère agréable nous est parvenue jusqu’à Constantinopolis. Malgré tout, je ne m’attendais pas à ça.

— Est-ce le fait d’embrasser sa bague qui vous a dérangé ?

— Non, pas du tout. Lorsqu’on est ambassadeur, on doit s’attendre à faire preuve d’une certaine déférence, au moins devant l’empereur. Et devant son fils, je suppose, s’il le demande. Non, Faustus, ce qui m’a frappé ce serait plutôt – comment dire ? – laissez-moi réfléchir… » Menandros marqua une pause. Il scruta les ténèbres, en direction du Forum et du Capitale de l’autre côté de la vallée. « Vous savez, dit-il enfin, je suis relativement jeune, mais j’ai suffisamment étudié l’histoire impériale de l’Orient comme de l’Occident, et je pense savoir ce dont ne peut se passer un empereur digne de ce nom. Nous avons un nom en Grèce pour cela – charisma, vous connaissez ce mot ? – il ressemble à votre mot latin virtus, bien que son sens soit légèrement différent – il désigne la qualité requise indispensable. Mais il y a différents types de charisme. On peut très bien régner par la force de sa personnalité, un mélange d’intimidation et de crainte que l’on dégage.

— Justinianus en est un parfait exemple, ou jadis Vespasianus, ou encore Titus Gallius. On peut aussi régner en combinant une farouche détermination personnelle et la ruse – comme le faisait le grand Augustus, ou Dioclétianus. On peut aussi faire preuve de grâce et de sagesse – disons, comme Hadrianus ou Marcus Aurelius.