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— Tu crois qu’il risque de mourir aujourd’hui ?

— Je ne le pense pas. Les docteurs m’ont dit que ses forces étaient encore prodigieuses, même en ce moment. Il peut tenir encore un jour, peut-être même deux ou trois, mais guère plus.

— Et ton frère est avec lui ?

— Mon frère ? » Maximilianus parut surpris. « Tu m’as dit toi-même qu’il était à son pavillon de chasse !

— Il est rentré avant-hier soir. Il a reçu le Grec en audience dans le hall Marcus Anastasius. J’y ai moi-même assisté.

— Non, murmura Maximilianus. Non. Le salaud ! Le salaud !

— L’audience n’a pas duré plus d’un quart d’heure, à mon avis. Il lui a ensuite annoncé qu’il quittait la ville le lendemain matin, mais j’imagine que dès qu’il a appris que ton père était aussi souffrant… » Faustus comprit aussitôt et se figea, incrédule. « Tu veux dire que tu ne l’as pas vu de la journée ? Il n’est pas allé rendre visite à ton père à un moment ou à un autre ? »

L’espace d’un instant, aucun des deux hommes ne fut capable de prononcer le moindre mot.

Maximilianus finit par rompre le silence. « La mort lui fait peur. La vue, l’odeur, l’idée même de la mort. Il ne supporte pas d’être en contact avec quelqu’un de malade. Et il s’est particulièrement appliqué à s’éloigner de l’empereur depuis que celui-ci est tombé malade. De toute façon, il s’est toujours foutu royalement de mon père. C’est tout à fait dans son caractère que de venir à Rome, de dormir sous le même toit que le vieux, et de ne même pas faire l’effort de prendre de ses nouvelles, encore moins d’aller lui rendre visite, et de repartir le lendemain matin.

Ainsi, il ne serait jamais informé que la fin était proche. Quant à moi, je ne m’attendais pas à ce qu’il daigne me contacter pendant qu’il était ici.

— On devrait le faire rappeler à Rome.

— Oui. On devrait. Comme tu peux t’en douter, il est amené à devenir empereur d’ici un jour ou deux. » Maximilianus renvoya à Faustus un regard éteint. La fatigue semblait l’avoir vidé. « Tu veux bien t’en occuper, Faustus ? Rapidement. Pendant ce temps, je vais aller me laver et m’habiller. Le Grec doit attendre qu’on l’emmène en bas, non ? »

Faustus se figea. « Tu veux dire que tu veux y aller maintenant, aujourd’hui ? Alors que… ton père… ?

— Pourquoi pas ? Il n’y a rien que je puisse faire pour le vieux dans l’immédiat, non ? Et ses docteurs m’ont assuré qu’il tiendrait encore un jour. » Une étrange froideur émana brusquement du César. Faustus éprouva aussitôt l’envie d’échapper à cette émanation.

C’est d’une voix perçante et froide que Maximilianus s’exprima : « De toute façon, ce n’est pas moi qui suis censé devenir empereur. C’est à mon frère qu’il incombe d’attendre les rênes du pouvoir, pas à moi. Envoie un messager l’avertir qu’il ferait mieux de se dépêcher de rentrer, et allons prendre un peu de bon temps, toi, moi et le Grec. Ce sera peut-être la dernière fois avant longtemps.

Il était impossible de mettre la main sur l’Hébreu dans un délai aussi court, ils devraient donc se passer de sa précieuse assistance pour la sortie du jour. Cela rendait Faustus nerveux, car se faufiler dans la chapelle de Priape n’était pas sans danger et il aurait préféré avoir le puissant et courageux bar-Heap à leur côté s’ils devaient se retrouver en situation périlleuse. En revanche, cela ne paraissait pas inquiéter Maximilianus. Le prince semblait être de disposition particulièrement impétueuse, chose rare chez lui, surtout à cette heure-ci de la journée. La colère provoquée par l’absence de son frère et le poids de la maladie de son père le rendaient en effet très tendu, on avait là un homme visiblement sur le point d’exploser.

Mais il paraissait adopter un comportement relativement calme tandis qu’il menait le groupe vers la rampe qui descendait aux Bas-Fonds le long des bains de Constantinus jusqu’à la grotte où se déroulaient les rites dédiés à Priape. Le couloir était bas de plafond, les murs suintants d’humidité, provoquant ici et là des traces de moisissure verdâtre. Au fur et à mesure qu’ils approchaient de leur but, l’enthousiasme de Menandros se manifestait de manière de plus en plus puérile, à tel point que Faustus ne savait s’il devait en éprouver de l’amusement ou du mépris. N’avaient-ils donc plus aucun de ces cultes obscurs à Constantinopolis ? Justinianus était-il d’un tempérament à ce point sévère qu’il les avait tous bannis, alors que sa propre femme, Théodora, une ancienne actrice, était, selon les dires, d’une parfaite immoralité ?

« Par ici, murmura Maximilianus, en indiquant une ouverture dans le mur de la grotte, une simple fissure dans la roche. Ceci nous conduira au-dessus de la chapelle, nous y aurons une bonne vue d’ensemble. Mais faites bien attention à ne pas faire de bruit. Si l’un d’entre nous éternue, on sera faits comme des rats, car c’est la seule issue, et ils nous attendrons à la sortie, hache à la main, s’ils s’aperçoivent que nous les avons espionnés. »

Le passage montait subitement en pente abrupte. Il était impossible à des hommes aussi grands que Maximilianus ou Faustus de se tenir debout, Menandros en revanche y arrivait sans problème. Le jeune et agile Maximilianus se déplaçait sans difficulté, mais pour Faustus, plus lourd et donc plus lent, le moindre pas était un calvaire. Il se mit rapidement à haleter et à transpirer. Il en cogna sa lanterne contre le mur, choc dont le bruit résonna dans le couloir, ce qui lui valut un sifflement et un regard lourd de reproche de la part de Maximilianus.

Il leur fallut peu de temps avant d’avoir la confirmation qu’une cérémonie avait effectivement lieu : un claquement de cymbales, des roulements de tambour, les cris stridents des trompettes, les sifflements perçants des flûtes. Lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où l’on était le mieux à même de voir la scène qui se déroulait plus bas, Maximilianus leur fit signe de poser les lanternes afin que l’on ne repère pas leurs lueurs depuis l’autel et installa Menandros là où la vue était la meilleure. Faustus n’essaya même pas de jeter un œil. Il n’avait que trop assisté à ce genre de spectacle : les murs décorés de fresques érotiques tape-à-l’œil, l’imposant autel élevé en l’honneur du dieu du plaisir, et l’effigie de Priape, lui-même assis avec son énorme phallus dressé telle une colonne en travers des jambes. Une demi-douzaine d’adoratrices, principalement, dansaient devant l’imposante statue. Leurs corps peints et enduits d’huile ; une lueur folle se lisait dans leurs regards ; les narines étaient dilatées, les lèvres retroussées dans un infâme rictus, et les poitrines des danseuses se balançaient de ci de là tandis qu’elles dansaient et sautillaient sur place.

Des chants s’élevaient sur des rythmes saccadés :

« Viens à moi, ô Priape, telle la lumière du soleil à l’aube du jour. Viens, ô Priape, et accorde-moi tes faveurs, ta substance, ton élégance, ta beauté, tes délices. Dans les deux ton nom est LAMPTHEN

— OUOTH OUASTHEN

— OUTHIO AMENOTH

— ENTHOMOUCH. Je sais les formes que tu peux prendre : à l’est, celle d’un ibis, à l’ouest, celle d’un loup, au nord, celle d’un serpent, et au sud, celle d’un aigle. Viens à moi, Priape – viens à moi, Priape viens… »