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Les femmes montaient vers l’autel une à une, embrassaient le bout du phallus tout en le caressant de manière lascive.

« Priape, je t’invoque ! Accorde-moi tes faveurs, tes formes, ta beauté ! Accorde-moi le plaisir. Car tu fais partie de moi et moi de toi. Tu portes mon nom et moi le tien. »

Un tonitruant et démoniaque grondement de tambour se fit entendre. Faustus savait ce que cela signifiait : l’une des adoratrices venait de chevaucher la statue du dieu. Menandros, le regard braqué, était un peu trop penché vers l’avant. À ce stade de la cérémonie, il y avait peu de chance que l’un des participants levât la tête en l’air et finît par le remarquer, mais il risquait de glisser et chuter au beau milieu de la mêlée. Ce genre de chose était déjà arrivé. La peine encourue pour avoir espionné les rites des adorateurs de Priape était une mort certaine. Faustus se pencha pour le saisir, mais Maximilianus l’avait devancé et le tira vers lui. Bien qu’une surveillance discrète fut interdite lors de ces rites, les hommes n’en étaient pas exclus pour autant. Faustus savait qu’un certain nombre d’esclaves vigoureux attendaient dans les coulisses. Bientôt la prêtresse de Priape leur ferait signe et l’orgie pourrait alors commencer.

Ils durent pratiquement traîner Menandros pour le retour. Il était accroupi devant l’ouverture tel un jeune garçon prêt à découvrir enfin les secrets les plus intimes de la féminité, et même lorsque les choses en étaient arrivées à un stade qui aurait satisfait plus d’un homme, Menandros voulait en voir toujours plus. Faustus était impressionné par sa soif insatiable. Il n’arrivait même plus à se souvenir lui-même du temps où il trouvait neuf et exotique ce qui se déroulait un peu plus bas, et il était difficile de comprendre la curiosité passionnée de Menandros pour quelque chose d’aussi banal que quelques copulations orgiaques. Faustus songea que la cour de l’empereur Justinianus devait avoir une haute considération des valeurs de chasteté et de propriété. Mais il avait cependant entendu dire le contraire.

Ils finirent par tirer l’ambassadeur de là, et se dirigèrent vers la destination suivante, choisie par ce dernier, le bassin du Baptai. « Je vais vous attendre ici, dit Faustus, alors qu’ils arrivaient devant l’escalier en colimaçon qui plongeait vers le sombre gouffre où se déroulaient les rites de ce culte d’immersion. Je suis trop gros et trop lent pour ce genre de sport. »

Il savait que c’était un endroit envoûtant : avec ses murs lisses taillés dans la roche, parsemés de mosaïques iridescentes en verre blanc, rouge et vert, mises en valeur par quelques touches ici et là de peinture dorée, représentant des scènes de Diane la chasseresse, de colombes lovées les unes contre les autres, de Cupidons se baignant parmi les cygnes, de nymphes voluptueuses et de satyres déchaînés. Mais l’air y était lourd et moite, l’interminable escalier en colimaçon en pierres humides et glissantes serait un calvaire pour ses vieilles jambes. Et le dernier palier épuisant de cette longue descente, celui qui allait de la salle des mosaïques à l’insondable bassin sombre situé au niveau le plus bas, serait sans aucun doute au-dessus de ses forces. Et bien entendu, la perspective de la remontée suffisait à anéantir ses dernières velléités.

Il patienta donc. Un rire perçant remonta jusqu’à lui du fond des ténèbres. Là-bas on vénérait la déesse Bendis de Thrace, un démon vulgaire aux cheveux plats dont les adorateurs étaient tous des dévergondés ; on pouvait d’ailleurs assister à une cérémonie à toute heure du jour ou de la nuit, un rituel qui comprenait le lot habituel d’orgies avec comme point d’orgue le plongeon du baptême dans le bassin glacial où Bendis se tient prête à absoudre les péchés récents et ceux à venir de tous ceux qui s’y trempent. Ce n’était pas un culte secret. Tous y étaient les bienvenus. Mais le culte de Bendis n’avait plus rien de mystérieux pour Faustus. Il avait suffisamment goûté à ce baptême glacial dans sa vie ; il pouvait aujourd’hui s’en passer. Et les soins prodigués par sa petite Numide Olathea suffisaient à assouvir ses ardeurs déclinantes.

Un long moment passa avant qu’il voie réapparaître Menandros et Maximilianus des profondeurs. Ils ne dirent pas grand-chose à leur sortie, mais il était clair d’après le regard triomphant et empourpré du petit Grec qu’il avait trouvé là les extases auxquelles il s’attendait en allant visiter l’autel du Baptai.

L’heure était maintenant aux putains de Chaldée, au plus profond de la cité souterraine, parmi la concentration de galeries sous le Circus Maximus. Menandros semblait avoir entendu dire beaucoup de choses sur ces femmes, dont une grande partie n’avait rien d’exact. « Il ne faut pas les appeler des putains, vous savez, expliqua Faustus. Ce sont des prostituées – des prostituées sacrées.

— J’apprécie la nuance, dit le Grec avec un sourire forcé.

— Ce qu’il veut dire, dit le César, c’est que ce sont toutes des femmes d’une certaine classe sociale, elles appartiennent à un culte qui nous vient de Babylone. Certaines d’entre elles sont même de descendance babylonienne, bien que la plupart ne le soient pas. Toujours est-il que les femmes appartenant à ce culte doivent à un moment donné de leur vie, entre – quel âge déjà, Faustus, seize ans et trente ans ? – dans ces eaux là – se rendre au sanctuaire de leur déesse pour y attendre qu’un étranger passe par là et les choisisse pour la nuit. Il lance une pièce d’argent et la femme doit l’accompagner, aussi laid ou repoussant soit-il. Et par cet acte elle remplit ses obligations envers sa déesse avant de retourner à une vie de pureté innocente.

— Je crois savoir que certaines d’entre elles retournent plusieurs fois accomplir leur devoir, ajouta Faustus. Par ferveur excessive, je suppose. À moins que, bien sûr, elles ne le fassent que par pur plaisir de rencontrer des inconnus.

— Je dois absolument voir cela », dit Menandros. Il rayonnait de nouveau de cet enthousiasme puéril. « Des femmes vertueuses, dites-vous ? Des femmes et des filles de bonne réputation ? Et elles sont obligées de s’offrir ainsi ? Elles ne peuvent refuser sous aucun prétexte ? Justinianus aura du mal à le croire.

— C’est propre à l’Orient, dit Faustus. Cela nous vient de la Chaldée babylonienne. Il est surprenant que vous n’ayez pas cela dans votre capitale. » Cela sonnait faux. D’après tout ce qui avait été rapporté à Faustus, Constantinopolis n’avait rien à envier à Rome comme vivier de cultes orientaux. Il se prit à se demander s’il n’y avait pas quelque raison d’État derrière la volonté de Menandros de dépeindre l’Empire d’Orient comme un modèle de piété et de vertu. Cela était peut-être en rapport avec les termes du traité que Menandros était venu négocier. Il n’en voyait cependant pas le lien immédiat.

Mais ils n’eurent pas ce jour-là l’occasion de voir les prostituées sacrées de Chaldée. Ils étaient à peine à mi-chemin dans les Bas-Fonds lorsqu’ils perçurent une clameur provenant de la Via Subterranea devant eux et tandis qu’ils approchaient de la vaste artère, ils furent en mesure d’en discerner quelques paroles. Les cris étaient étouffés et confus, mais ils semblaient dire :

« L’empereur est mort ! L’empereur est mort !

— Est-ce possible ? s’interrogea Faustus. Ai-je bien entendu ? »

Mais cette fois une voix masculine se dégagea du lot, tel un grondement de buffle : « L’EMPEREUR EST MORT ! L’EMPEREUR EST MORT ! » Il n’y avait désormais plus de doute quant à son sens.

« Déjà, murmura Maximilianus, d’une voix d’outre-tombe. Ça ne devait pas arriver aujourd’hui. »