Gérard de Villiers
Aventure au Surinam
Chapitre premier
Julius Harb descendait Blauwgrondstraat d’un pas rapide, perdu dans la foule des promeneurs à la recherche d’un restaurant, assourdi par la cacophonie des transistors trônant sur chaque véranda et vomissant chacun un meringué[1] différent. Une des seules libertés demeurant à Paramaribo : la musique, déversée à flots par les radios locales, entre deux exhortations à repousser d’imaginaires mercenaires, prêts à fondre comme des vautours sur la Révolution. Chaque samedi soir, Blauwgrondstraat, paisible voie même pas asphaltée, très loin au nord de Paramaribo, dans le quartier javanais, se transformait en une immense fête de la bouffe. Un restaurant sommaire, composé de tables rustiques et de bancs en plein air, s’improvisait devant presque chacune des maisons de bois sur pilotis. La famille cuisinait et servait. On venait de l’autre bout de la ville pour déguster ces spécialités indonésiennes, épicées et mitonnées avec amour.
Les plus sophistiquées de ces éphémères gargotes étaient rehaussées de néons verts et rouges éclairant les dîneurs de lueurs fantomatiques. Les autres se contentaient d’ampoules nues.
Julius Harb se faufilait silencieusement dans la foule, anonyme avec son jean et son polo. Son visage de créole au nez un peu épaté était banal. Il ralentit et s’arrêta comme s’il hésitait entre plusieurs endroits, le regard fixé sur une minuscule maisonnette verte un peu en retrait, reliée à la chaussée par une large planche en bois jetée sur le fossé profond. Étrangement silencieuse au milieu de la joyeuse animation de Blauwgrondstraat.
La lumière crue d’un restaurant installé à côté tranchait sur la pénombre où se trouvait Julius Harb. Celui-ci se décida avec une prière muette : si sa tenue ne risquait guère d’attirer l’attention, son visage était connu de la plupart des Surinamiens. Il passa d’un pas rapide à quelques mètres des dîneurs attablés, croisant le regard farouche d’un rasta aux longs cheveux tressés, en train de déchiqueter une cuisse de poulet trempée dans du piment avec un air de mort-de-faim. Il faut dire que les quelques rastas installés au Surinam, privés de drogue et peu portés sur le travail, menaient une vie misérable.
D’un bond, Julius Harb franchit la passerelle de bois jetée sur le fossé plein d’eau. Avec ses innombrables canaux, Paramaribo ressemblait à Bangkok, en beaucoup plus propre. Les Hollandais, ex-colonisateurs, étaient même arrivés à en chasser la malaria qui revenait au galop avec l’Indépendance, faute de mesures sanitaires.
Julius Harb traversa la petite véranda où pourrissait un vieux rocking-chair et frappa deux coups secs à la porte. Le battant s’ouvrit aussitôt et il se glissa à l’intérieur. L’air, imprégné de l’odeur aigre d’un tue-moustique, y était encore plus chaud que dehors. Sans un mot, celle qui avait ouvert se jeta contre lui et l’étreignit longuement. Il l’écarta un peu pour la regarder.
My-lai était une des rares Chinoises presque pures du Surinam, avec un ravissant minois triangulaire, un petit nez retroussé et une bouche sensuelle, qu’elle devait aux quelques gouttes de sang créole qui coulaient dans ses veines. Il écarta la frange de cheveux noirs et elle sourit :
— J’avais si peur que tu ne viennes pas…
Les mains de Julius Harb caressèrent la peau satinée des épaules nues puis descendirent, effleurant les seins ronds, pour se poser sur la taille mince.
— Tu sais bien que tu fais le bruine bonen[2] mieux que ma mère !
My-lai rit, un peu déhanchée, du bonheur plein les yeux. Un pagne, d’un orange presque de la même couleur que sa peau, noué très bas sur son ventre plat, à la lisière du pubis, couvrait ses reins, mettant en valeur son corps longiligne, contrastant avec la poitrine pleine et les reins cambrés.
— Tu as faim ? demanda-t-elle.
— Oui !
L’essentiel de l’ameublement se composait d’un grand divan en L, assorti d’une table basse, d’une petite bibliothèque fabriquée avec des briques et des planches et de deux grands fauteuils en osier. Une grosse lanterne chinoise en papier diffusait une douce lumière rougeâtre.
Julius Harb ôta son polo et le jeta sur un petit pouf. La crosse d’un pistolet apparut, dépassant de la ceinture. Il l’enleva et le posa sur la table basse. Un colt 45 automatique. My-lai détourna les yeux : les armes lui faisaient peur. Comme la plupart des Surinamiens, elle détestait la violence. Elle tendit à son amant un pagne noir.
— Installe-toi, je vais préparer le dîner.
Elle disparut dans la cuisine. Julius Harb laissa son regard errer sur l’intérieur bien briqué. Les parents de My-lai possédaient une petite épicerie et la jeune Chinoise travaillait comme secrétaire chez le concessionnaire Mazda. Elle louait sa maison, soixante florins par mois et avait peu de besoins. Un meringué s’éleva de la cuisine… s’ajoutant à ceux de la rue. Julius sourit tout seul. My-lai adorait la danse. Avant, ils allaient tous les samedis soirs au Skorpio, le meilleur dancing de Paramaribo. Maintenant, c’était impossible. Il regretta soudain l’époque où il n’était que sergent-chef et où My-lai venait le chercher à la sortie de la caserne Memre Boekoe, sous les regards envieux de ses copains. La vie était simple alors.
My-lai contemplait d’un air attendri Julius Harb affalé sur les coussins du sofa. Plusieurs bouteilles de bière vides et des reliefs du repas s’entassaient sur la table basse. Elle se pencha vers lui.
— Ah bon[3] ? demanda-t-elle tendrement.
Le créole eut un sourire heureux, emprisonnant un sein rond et tiède dans sa paume.
— Mibellifourou[4] !
La petite Chinoise se frotta contre lui et sa bouche se posa sur la sienne.
— Miloviyou[5] murmura-t-elle.
Entre eux, ils parlaient toujours taki-taki, mélange d’anglais, de hollandais, de chinois, le tout déformé par l’accent créole.
Les lèvres de My-lai glissèrent le long du torse, effleurèrent le nombril, puis des dents aiguës défirent le nœud du pagne et sa bouche se posa timidement sur le sexe endormi. Julius Harb ferma les yeux. La Chinoise ne savait pas seulement faire la cuisine. Avec patience, My-lai entreprit d’éveiller le désir de son amant. Roulée en boule à ses pieds comme un chat. S’arrêtant de temps à autre pour pousser de petits cris admiratifs.
— Il est énorme !
Puis elle se remettait à sa fellation, tenant la hampe à deux mains, jouant de sa langue pointue, s’arrêtant pour remonter espièglement jusqu’au nombril. À son tour, il avança une main sur le ventre de My-lai. Aussitôt, elle s’accroupit et commença à se balancer, se caressant sur lui. Le bruit de leurs respirations haletantes domina le brouhaha extérieur. Finalement, My-lai s’étendit sur son amant et s’empala habilement. Alors, elle se redressa à cheval sur ses hanches, les yeux dissimulés par sa frange, et posa un doigt sur son nombril.
— Ça monte jusque-là ! s’exclama-t-elle.
Avec sa lourde charpente musclée de créole, Julius Harb semblait d’une autre race que la fragile Chinoise. Il savait ce qu’elle aimait. Posant ses grandes mains sur ses hanches, il guida sa possession, la faisant monter et descendre comme une plume. Les yeux clos, le souffle court, My-lai savourait ces retrouvailles. Puis, le plaisir vint irrésistiblement, elle poussa un soupir bref et s’écroula sur la poitrine de son amant, secouée par un violent orgasme, le mordant au cou. Julius Harb la laissa se calmer, puis la fit basculer doucement et posa son grand corps sur elle. Aussitôt, les jambes de My-lai se dressèrent, ouvertes en V, et il s’enfouit dans son ventre jusqu’à heurter son pubis. Elle poussa un petit cri.