— Vous avez vu Memre Boekoe ? Pour entrer, il faut déclencher une petite guerre. Je n’ai plus l’âge. Vous avez amené du monde avec vous ?
— Non, dit Malko, je compte sur vous…
Cette fois, un sourire fin éclaira les traits du Hollandais.
— Je vois que mes compatriotes ont gardé un bon souvenir de moi. Seulement, pour attaquer la caserne, il faudrait cinquante types. Si on en trouve cinq ici, c’est le bout du monde. Je ne parle pas du matériel…
— Je n’ai pas dit qu’il fallait attaquer la caserne, corrigea Malko. Il y a une solution plus facile, mais de toute façon, il faudra une opération commando pour neutraliser un détachement militaire. On m’a dit que cela ne vous ferait pas peur.
— Ce n’est pas une question de peur, fit froidement le Hollandais. Je ne suis pas barjo. C’est des bougnoules, mais ils tiennent le pays et ils ont des armes. Le risque n’en vaut pas la chandelle.
Il demeura silencieux un moment, puis ajouta à voix encore plus basse :
— C’est Harb que vous voulez faire sortir, hein ?
Malko ne répondit pas, gêné. L’autre haussa ses monstrueuses épaules.
— De toute façon, je m’en fous. Ce n’est pas mon problème et je ne vais pas aller leur raconter. Ils m’ont assez fait chier comme ça. Maintenant, écoutez, si vous sortez tout seul Harb de Memre Boekoe, on peut s’arranger pour lui faire quitter Paramaribo.
Il comprenait vite.
— Comment savez-vous qu’il s’agit de Julius Harb ? demanda Malko.
Herbert Van Mook exhiba des dents de play-boy.
— On peut pas se tromper, c’est le seul qui est encore vivant. Mais dépêchez-vous, ils vont le couper en morceaux… Il leva le bras.
— Rachel !
La jeune créole glissa de son tabouret et vint vers eux d’une démarche languissante, ses yeux posés sur Malko, l’air enfantin et salope à la fois. Elle s’assit et sa jupe remonta sur ses cuisses bronzées. Malko était déçu. Herbert venait de refuser le contrat.
— Faudra venir visiter ma ferme, proposa le Hollandais, il y a des petites bêtes amusantes. Sans compter Rachel.
Furieuse, Rachel le pinça et en retour, il fourra la main sous sa jupe. Au moins, leurs rapports étaient clairs. Puis il l’attira sur ses genoux et elle se laissa aller contre lui, fixant toujours Malko.
— Rachel est amoureuse d’un…, commença le géant, égrillard.
Il ne put pas continuer. La jeune fille lui donna un coup de poing sur la bouche, puis le mordit tout à coup au sein. Herbert poussa un rugissement et se secoua comme un animal blessé, repoussant la jeune fille qui tomba à terre, exhibant son entrejambe brun.
— Kattekop ! Monketee[12] !
Il se massait le sein où on voyait nettement les traces des dents de Rachel. Celle-ci se releva et lança à voix basse :
— Ouwe hoeren[13] ! Je ne suis pas amoureuse.
Prenant Malko à témoin, Herbert Van Mook fit :
— Non, mais vous avez vu, elle m’a mordu ! Bon, t’es pas amoureuse, tu te le fais, c’est tout.
Furieuse, la fille regagna son tabouret et croisa les jambes d’une façon provocante sous le regard allumé du barman pakistanais. Malko sauta sur l’occasion.
— Monsieur Van Mook, fit-il, il y a un élément que je ne vous ai pas encore donné. Cela pourrait peut-être vous faire changer d’avis. Si vous acceptiez de collaborer à l’évasion de Julius Harb, vous recevriez en échange cinquante kilos d’or sous la forme de quatre barres de douze kilos et demi chacune. Ce qui, à la valeur d’aujourd’hui, doit faire environ six cent mille dollars. Bien que vous puissiez les convertir dans la monnaie de votre choix…
Malko ne quittait pas des yeux son vis-à-vis. Il eut l’impression que ses prunelles se rétrécissaient soudain comme celles d’un chat.
Des muscles roulèrent sur ses bras. Apparemment calme, Rachel quitta son tabouret et s’approcha du Hollandais, posant une main sur sa nuque. Herbert Van Mook lui jeta :
— Trek je maar af[14] ?
Dès qu’elle eut regagné le bar, il se pencha à travers la table et demanda d’une voix basse, croassante, avide :
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’or ?
Chapitre IV
Malko revit le colonel de Vries lui révéler son « petit secret » et la façon dont il allait « motiver » ce voyou de Herbert Van Mook. Décidément, le chef du Service Action néerlandais connaissait bien l’âme humaine.
Penché en avant, Herbert Van Mook révélait son vrai visage : ses yeux semblaient s’être enfoncés encore dans leur orbite, mais leur expression fixe, hallucinée, mettait mal à l’aise. À cause de la musique, Malko était presque obligé de crier :
— Ce n’est pas une histoire, dit-il. L’aide que je réclame est difficile et dangereuse, donc il est normal de la rétribuer. Vous êtes le seul à Paramaribo à pouvoir jouer ce rôle. Cela se paie.
— Cet or, vous l’avez amené avec vous ?
— Là n’est pas la question. Comme vous le disiez tout à l’heure, Julius Harb doit être exécuté dans huit jours. Vous savez ce que vous avez à faire et ce que cela peut vous rapporter. Le reste, ce sont des détails techniques, à régler par la suite. Ce que je veux, c’est votre réponse.
Le Hollandais demeura muet quelques secondes, puis se pencha de nouveau, les yeux brillants, après avoir regardé autour de lui.
— Cet or, c’est pas bidon ? D’où le sortez-vous ?
— Ni vous ni moi ne sommes d’humeur à plaisanter, dit Malko. Si je vous promets cinquante kilos d’or, c’est que je suis en mesure de vous les donner. À vous de savoir si vous désirez les gagner.
Du bar où le barman barbu servait sans arrêt, Rachel les observait, les jambes croisées haut sur son tabouret. Peu à peu, le Parbo Inn se remplissait. Rien que des Blancs. Malko se leva sans se presser. Travailler Van Mook était comparable au dressage d’un fauve. Si l’autre sentait la moindre faille, il le dévorait. Le Hollandais se leva en même temps.
— Attendez ! Si c’est sérieux, je suis d’accord.
Malko plongea ses yeux dorés dans les siens.
— C’est sérieux. Nous avons un deal ?
Herbert Van Mook prit sa main tendue avec une imperceptible hésitation.
— Nous avons un deal, fit-il.
Ses gros doigts écrasèrent la chevalière de Malko et il se rassit, hurla pour couvrir le bruit de la musique :
— Ayub ! Encore deux bières.
Le Pakistanais se rua aussitôt vers la table, suivi de Rachel. D’un claquement de doigts, le Hollandais fit signe à la jeune créole de regagner le bar. Malko sentait qu’il avait les nerfs à fleur de peau.
— Maintenant que nous sommes associés, dit-il, dites-moi où vous allez prendre ce foutu or.
Malko but un peu de sa bière et lui adressa un sourire rempli d’innocence.
— À la banque.
Le Hollandais lui jeta un regard méfiant.
— Quelle banque ? On ne peut plus acheter d’or depuis deux mois.
— À la Banque Centrale.
Le Hollandais secoua la tête avec une lueur dangereuse dans son regard bleu.
— Pas de conneries ! L’or de la Banque Centrale se trouve dans une salle blindée. Personne ici n’a le matériel pour l’ouvrir.
Il avait dû se pencher sur le problème. Malko se dit qu’il était inutile de faire monter la tension.
— Vous n’ignorez pas, dit-il, que le directeur de la Banque Centrale s’est enfui de Paramaribo, il y a quelques semaines ?