— Et alors ?
— Alors, dit Malko, je viens ici avec deux objectifs. D’une part, libérer Julius Harb et, d’autre part, récupérer les deux tonnes d’or qui constituent le stock du Surinam. Afin de les mettre à la disposition d’un gouvernement surinamien en exil.
Herbert Van Mook se gratta pensivement la poitrine le regard brusquement voilé. Puis il jura, à voix basse, presque respectueusement, pourrait-on dire :
— Mijn God !
Il but une longue gorgée de bière avant de demander, d’une voix moins tendue :
— Vous avez la clef de la chambre forte ?
— Bien sûr, et la combinaison aussi. Par contre, il faut parvenir à cette chambre forte. La banque doit disposer d’autres protections. Il est indispensable de les neutraliser. Est-ce que cela vous semble possible ?
Herbert Van Mook mit quelques secondes à répondre.
— C’est sûrement faisable. Je vais y réfléchir. Il n’y a pas de gardes armés à la banque la nuit. Seulement, il faudra trimbaler les deux tonnes d’or. Ça se présente comment ?
— En barres de douze kilos et demi. Chacune mesure trente centimètres sur dix. Il y en a cent soixante. On ne peut guère en porter plus de trois à la fois. Cela fait plus de cinquante voyages.
— Si nous sommes cinq, cela n’en fait plus que dix, fit remarquer Van Mook. Il faudra opérer de nuit, pendant le couvre-feu et planquer le camion dans la cour. Vous avez pensé à tout ça ?
— Oui, dit Malko, j’ai un plan théorique. Première partie de l’opération. On récupère Harb pendant le transfert de Memre Boekoe à Fort Zeelandia et on prend les deux tonnes d’or. Ensuite, il faut gagner Pokigron, sans se faire intercepter par les Surinamiens.
— Pourquoi Pokigron ?
— Il y a une piste d’atterrissage. Un avion viendra nous chercher pour nous sortir du Surinam.
Herbert Van Mook laissa échapper un sifflement discret et admiratif.
— Dites donc, vous avez de sacrés appuis… Les clefs de la chambre forte et un avion, en plus.
— Il faut des armes, des hommes en plus de nous deux, toute une logistique.
Les yeux de Van Mook brillaient d’un éclat fou.
— On va trouver tout ça, affirma-t-il.
Malko eut un sourire froid.
— Je ne peux pas me contenter de mots. Maintenant que je vous ai fait confiance, je veux des preuves que vous êtes sérieux.
— OK, OK, fit vivement le géant. Écoutez, on va dîner ensemble. Seulement, il faut que je retourne à ma ferme, nourrir mes petites bêtes. On sera mieux pour parler là-bas. Vous avez une voiture ?
— Oui.
— OK, vous me suivez. C’est à une demi-heure d’ici, sur la route de l’aéroport. Vous allez voir, j’ai quand même une petite surprise pour vous…
Une rangée de rats blancs tétaient avidement des biberons inclinés dans une longue cage. Herbert Van Mook cligna de l’œil en passant devant eux.
— C’est la bouffe des serpents…
Malko le suivit dans un hangar violemment éclairé. Dans des enclos grillagés, il y avait une véritable ménagerie : un couple de perroquets d’un blanc de neige, d’autres aras de toutes les couleurs, des perruches, des faons, des tapirs, toutes sortes d’oiseaux au plumage flamboyant. Le reste de l’espace était occupé par des aquariums sans eau où se prélassaient des lézards, des serpents, des araignées et même d’étranges grenouilles. Le Hollandais s’arrêta devant de minuscules grenouilles bleues et jaunes.
— Celles-là, expliqua-t-il, il faut aller les chercher au fond de la forêt. J’en expédie des dizaines toutes les semaines. Il ne faut surtout pas les toucher : leur peau est recouverte d’une pellicule urticante… Mais elles sont moins dangereuses que ceux-là !
Malko aperçut, dans une boîte de verre, trois petits serpents violet sombre, d’une vingtaine de centimètres, gros comme le doigt, lovés les uns sur les autres.
— Ce sont les pires, reprit le Hollandais. Quatre heures et vous êtes mort.
Un peu plus loin, il y avait d’énormes mygales, des tarentules velues et mortelles, des serpents verts comme des bananes, des lézards aux couleurs bizarres, d’autres grenouilles de toutes les couleurs. Van Mook distribuait de l’eau à tous ses monstres comme une bonne mère poule… Malko ressentit une bizarre impression de malaise. La ferme se trouvait au bout d’un chemin effroyable, à moins d’un kilomètre de la route, invisible.
La jeune Rachel avait disparu dans la cuisine dès leur arrivée. Personne d’autre ne semblait résider à la ferme.
Ils ressortirent de l’enclos aux serpents et regagnèrent la ferme. Le couvert était mis pour trois.
Rachel fourgonnait toujours dans la cuisine. Van Mook déplaça un vieux fauteuil en acajou presque noir et roula une natte usée jusqu’à la corde, dévoilant une trappe.
Il la souleva, découvrant une grande cavité d’où il sortit plusieurs paquets enveloppés de toile verte qu’il posa sur la table basse. Ensuite, il déroula la première avec précaution. L’acier noir d’un riotgun à répétition Beretta apparut, flambant neuf. Le Hollandais adressa un regard de triomphe à Malko.
— Vous voyez que vous avez frappé à la bonne porte… Ce machin, c’est pas très sélectif, mais ça dégage. Il y a pas grand-chose qui reste debout dans un rayon de vingt mètres.
— D’où avez-vous sorti ça ? demanda Malko.
Van Mook eut un sourire malin.
— Des types qui me paient les serpents en nature, aux USA. J’aime bien avoir quelques armes chez moi.
Il déplia une autre toile, qui contenait deux mitraillettes Uzi.
— Ça, fit le Hollandais, ce sont des déserteurs qui m’ont fourgué leurs trucs avant de filer en Guyane française. J’ai dix chargeurs.
Ensuite, trois M 16 apparurent, encore dans leurs enveloppes de papier huilé. Fusils d’assaut redoutables. Il ne manquait plus qu’un mortier. Il y avait déjà de quoi équiper six hommes. Rachel apparut sur le seuil de la cuisine.
— C’est servi, annonça-t-elle avant de redisparaître.
Malko jeta un coup d’œil à Herbert Van Mook. La créole semblait ne pas avoir remarqué les armes étalées sur la table. Le Hollandais ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
— Rachel n’est pas conne, dit-il. Je lui enlèverai la peau à la machette si elle me faisait des emmerdements. De toute façon, elle ne voit personne. Ses parents sont en Guyane : elle s’est tirée de Kourou et je l’ai recueillie.
Elle est un peu bizarre, mais vachement intelligente. Vous verrez…
On s’imaginait mal Herbert Van Mook en père adoptif. La sensualité à fleur de peau de la jeune créole avait dû être pour beaucoup dans son désir d’adoption. Rachel émergea de la cuisine avec une cocotte qu’elle posa sur la table.
— Du bruine bonen, annonça Van Mook, ça tient au corps…
Effectivement, le cassoulet de poulet à base de haricots rouges et de piment tenait au corps.
Malko avait l’impression qu’on construisait un petit mur de brique au milieu de son estomac.
Le ventilateur brassait mollement un air chaud et humide et il sentait la sueur dégouliner le long de son dos. Rachel, assise en face de lui, l’observait sans discontinuer, lui lançant parfois un regard fuyant et intéressé de petite gamine vicieuse. Van Mook noyait le piment du bruine bonen dans des flots de bière. Malko dut en vider deux d’un coup pour ne pas exploser. Il était quand même satisfait, les armes étaient là, bien réelles.
Ils avaient tous gagné le patio où il faisait un peu moins chaud. Van Mook et Malko s’étaient installés sur un canapé bas courant tout le long du mur de pierre. Rachel, après avoir débarrassé, se balançait dans un vieux rocking-chair. Le ciel, couvert le jour, scintillait d’étoiles dès la nuit tombée. Affalé à côté de Malko, le Hollandais achevait la digestion des haricots rouges avec un peu de J & B. Ils n’avaient plus reparlé affaires et Malko se sentait plutôt somnolent. Il fit à peine attention quand Van Mook se leva et disparut en marmonnant quelque chose.