Le grincement du rocking-chair s’arrêta aussitôt.
Malko leva la tête. Rachel l’observait avec un drôle de sourire, un pied posé sur la table, l’autre sur le rebord du fauteuil, dévoilant ses cuisses jusqu’à l’ombre de son ventre sans la moindre pudeur. Le regard trouble de ses curieux yeux écartés ressemblait à un appel.
— Quand vous repartirez, dit-elle soudain, vous ne voulez pas m’emmener ? J’ai envie de voyager. J’en ai assez de la forêt.
Elle recommença à se balancer doucement, le regardant par en dessous, avec une expression ambiguë. Malko était gêné de cette provocation muette. Rachel posa une main sur son genou rond et remonta doucement, repoussant la jupe en denim, comme pour expliciter sa proposition.
— Votre ami ne vous garde pas de force quand même ? fit Malko sur le ton de la plaisanterie, pour décrisper l’atmosphère.
Les lèvres épaisses de Rachel se gonflèrent en une moue sensuelle.
— Non, mais j’en ai assez, je veux aller ailleurs. Lui ne m’emmènera pas. Ou il me fera faire la pute et je ne veux pas.
Elle se leva tout à coup, s’approcha de lui à le toucher avec un regard intense et pervers. Les pointes de ses seins perçaient le T-shirt. Elle murmura de la même voix égale :
— Je ne vous plais pas ?
Elle avança un peu la jambe gauche de façon à la glisser entre celles de Malko, le visage baissé vers lui. Ils entendirent soudain des pas à l’extérieur. Aussitôt, Rachel bondit jusqu’au rocking-chair et avait recommencé à se balancer lorsque Herbert Van Mook pénétra dans la pièce.
Malko était plutôt satisfait de cette interruption. Il n’avait pas la moindre envie de se mettre des complications sur le dos.
Van Mook était un homme assez dangereux sans l’asticoter en plus avec une histoire de fesses…
D’abord, Malko eut l’impression que le Hollandais s’était enveloppé le bras avec une sorte de corde noirâtre. Puis, de la main gauche, il prit la « corde « et la déploya. C’était un serpent ! Marron, sombre, avec des taches noires, long de plus d’un mètre.
Le Hollandais s’approcha de Rachel et jeta le reptile sur ses genoux avec un gros rire.
— Tiens, je t’ai amené ton fiancé.
Malko s’attendait à ce que la jeune créole pousse un hurlement d’horreur et jette le reptile au loin. Elle ne broncha pas. Au contraire : le prenant délicatement derrière la tête elle le souleva pour le lover autour de son cou, approchant la tête triangulaire de son visage, comme pour un abominable baiser !
Herbert Van Mook était revenu près de Malko, empoignant la bouteille de J & B pour la boire au goulot.
— C’est un anaconda, précisa-t-il ensuite, un bébé. Les gros font jusqu’à dix mètres… Pas venimeux et très affectueux. Vous allez voir, si elle a envie…
Rachel continuait à se balancer dans le rocking-chair. Le reptile avait glissé le long de son corps pour s’enrouler sur les cuisses de la créole, laissant reposer sa tête dans le creux de son coude. Elle lui caressait le dessus de la tête, le regard dans le vague, un curieux sourire aux lèvres. Seul le grincement du vieux fauteuil troublait le silence. La tête du serpent se dressa lentement. Elle oscilla un peu puis retomba près de l’aine de la créole, et commença à avancer très lentement sur sa cuisse. Malko sentait qu’il allait se passer quelque chose de monstrueux. Rachel alluma une cigarette, observant le reptile, comme si les deux hommes n’existaient pas.
Van Mook, régulièrement, attaquait sa bouteille de whisky. La tête de l’anaconda atteignait la peau nue après la jupe. Malko en eut la chair de poule. Le serpent continua sa progression jusqu’au genou, puis sa tête bascula vers l’extérieur, suivant le galbe de la jambe. Encore quelques reptations et il fut complètement enroulé autour de la cuisse. Il s’arrêta un peu, puis commença à remonter doucement, suivant l’intérieur de l’autre jambe. Rachel ne semblait pas être incommodée par le contact des écailles froides sur sa peau nue. Au contraire : son visage arborait une expression presque extatique. Ses doigts caressaient machinalement les anneaux qui se déroulaient sur ses cuisses bronzées.
La tête de l’anaconda progressait lentement, se relevant de temps à autre, s’arrêtant, s’allongeant peu à peu. Lorsque Malko vit la tête du reptile disparaître sous la jupe en denim, il eut du mal à réprimer une nausée. Herbert Van Mook lui prit le bras.
— Vous allez voir ! souffla-t-il.
Le scotch et l’excitation lui donnaient des yeux de fou. Malko imaginait la tête du serpent, rampant vers le ventre que rien ne protégeait. Rachel avait fermé les yeux et ne se balançait plus. L’anaconda était presque immobile. D’après la longueur enfouie sous la jupe fendue, Malko calcula qu’il avait atteint le sexe de la jeune créole. D’ailleurs, celle-ci eut un brusque sursaut, ses mains enserrant les bras du fauteuil, le visage crispé dans une expression ambiguë, à mi-chemin entre le plaisir et le dégoût.
Avec une lenteur exaspérante, Rachel se rejeta encore plus en arrière, écartant les pieds appuyés à la table, offrant aux deux hommes le spectacle de ses jambes ouvertes : Malko eut une vision inoubliable. La tête plate de l’anaconda était collée au ventre de la jeune créole et semblait picorer la fourrure frisée, le reste de son corps enroulé autour de la cuisse, comme un bracelet monstrueux.
Les mains de Rachel quittèrent les bras du fauteuil et vinrent se nouer derrière la tête du petit anaconda ; elle se mit à guider ses mouvements, le faisant aller et venir contre son ventre. À un moment, elle l’écarta et Malko put voir la langue du serpent darder à toute vitesse à la recherche d’un but invisible, puis le museau froid et octogonal replongea dans la pénombre de la jupe. C’était hallucinant. Tout à coup, sans que rien ne puisse le faire prévoir, Rachel se tendit comme sous l’effet d’un électrochoc, émit un cri étouffé et repoussa la tête du serpent à deux mains.
Ensuite, elle demeura immobile quelques instants, puis son corps se tassa dans le rocking-chair et elle rouvrit les yeux. Lentement, elle tira le serpent vers le haut, le souleva de toute sa hauteur, puis, s’amusa à l’enrouler de nouveau autour d’une de ses cuisses, de façon à ce que toute la longueur du reptile frotte contre son ventre. Elle fit cela plusieurs fois, regardant alternativement Malko et le Hollandais, perdue dans son fantasme. La voix de Van Mook rompit le silence :
— T’es vraiment cinglée !
Il se tourna vers Malko, les yeux injectés de sang.
— Un jour, je l’ai trouvée dans son lit, à poil avec l’anaconda ! Elle avait appris toute seule à s’en servir. Après, elle ne voulait plus dormir sans lui. Je suis sûr qu’elle se le tapait toute la nuit.
Rachel, sans un mot, arracha le serpent de sa cuisse et, à toute volée, le lança sur le canapé où il atterrit avec un sifflement de rage. Malko fit un bond de côté ; Herbert Van Mook, rapide comme l’éclair, avait déjà saisi le reptile sous la tête.
— Je vous ai dit qu’elle était cinglée, répéta-t-il.
Rachel pouffa comme une écolière qui vient de faire une blague. Effectivement, elle n’était pas nette…
Tranquillement, le Hollandais se leva, le serpent enroulé autour de son bras.
— Faut que j’aille nourrir ma petite famille, dit-il, ensuite, nous parlerons…