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— Hey ! Il est onze heures et demie. C’est pas la peine de vous faire agrafer avec cette connerie de couvre-feu…

Ils se retrouvèrent dans le cloaque devant la ferme. Il avait plu. Le hangar aux serpents était silencieux. Le Hollandais serra longuement la main de Malko.

— Je suppose que vous connaissez mon pedigree, si on vous a parlé de moi en Hollande, fit-il. Ne vous gourez pas, je suis un mec correct. Nous avons un deal et je le tiendrai… Au bout du chemin, vous tournez à gauche et c’est tout droit. Si vous voyez des militaires, allumez l’intérieur de la voiture et ralentissez. Salut.

Le ciel pullulait d’étoiles. Tout en cahotant dans les ornières du sentier, Malko se dit que depuis leur conversation Herbert Van Mook n’avait plus qu’une idée en tête : récupérer les deux tonnes d’or de la Banque Centrale, de liquider, lui, Malko, et filer avec le fantastique magot. Cela risquait de compliquer le problème initial, mais il n’avait pas le choix. Le sablier continuait à couler. À l’aube suivante, il ne resterait plus que sept jours pour sauver Julius Harb.

Chapitre V

Herbert Van Mook gara sa voiture en face de la cathédrale de Paramaribo qui jouxtait l’hôpital. Le Hollandais était d’excellente humeur. La veille au soir, Rachel s’était montrée aussi inventive qu’à son habitude et l’avait abandonné exsangue à quatre heures du matin. Voyant qu’il commençait à se lasser de sa fougue, elle lui avait décrit, avec des mots crus la façon dont elle avait traité son visiteur pendant sa courte absence. Il n’avait jamais rencontré la perversité à l’état pur comme dans cette fille de dix-sept ans. Au début de leurs relations, elle lui avait raconté comment, à l’âge de douze ans, elle suçait le sexe de tous les garçons du voisinage, sur le siège arrière de la voiture familiale en maculant de sperme toute la banquette, ce qui avait fini par un horrible scandale.

La découverte de sa récente infortune l’avait agacé, mais on ne fait pas de réflexions à un homme qui possède la clé de cinquante millions de dollars.

En dépit de sa fatigue, il n’avait presque pas dormi, tournant et retournant dans sa tête l’histoire de l’or. Comment s’emparer des deux tonnes de métal précieux ? Ça n’allait pas être facile mais c’était la chance de sa vie. Il en avait ras le bol de ce pays pourri et crevait d’envie de revoir l’Europe. Avec quelques millions de dollars, ce ne serait pas plus mal.

Il pénétra dans la cathédrale. C’était un bâtiment extraordinaire, entièrement en acajou. Un bijou. Il tourna au chœur et s’engagea dans un petit escalier menant à la chorale et à une galerie courant le long de la nef. Les marches grincèrent et une voix demanda aussitôt :

— Qui est-ce ?

— C’est moi, Herbert.

— J’arrive, fit la voix.

Le Hollandais redescendit, contemplant les deux cordes qui servaient à tirer les cloches. Quelques instants plus tard, un homme en manche de chemise émergea de l’escalier sombre. Presqu’entièrement chauve, un gros nez busqué et des yeux marron proéminents. Il serra vigoureusement la main du Hollandais.

— Ça… ça… ça va ?

— Ça va. Et toi, Tonton ?

Le chauve eut un haussement d’épaules fataliste.

— Un… un jour, je vais fou… fou… foutre le feu à la baraque et me tirer.

Personne ne connaissait le véritable nom de « Tonton Beretta », un vieux Français au bégaiement accentué mais tout Paramaribo savait qu’il était arrivé dix ans plus tôt du Venezuela. Son surnom venait d’une fâcheuse propension qu’il avait eue à se servir d’un Beretta automatique à Caracas. Trois Vénézuéliens n’en étaient pas revenus et Tonton avait dû filer. Il était arrivé à Paramaribo sans un sou, avec des papiers très approximatifs et son vieux Beretta un peu piqué de rouille. Son avenir aurait probablement été sombre si le curé n’avait pas eu besoin d’un homme à tout faire. Contre toute attente, Tonton Beretta semblait s’être épanoui dans cette ambiance feutrée. Il s’était construit une petite maison au bord du fleuve, près du quartier javanais et, pour mettre du beurre dans ses épinards, entretenait plusieurs bateaux appartenant à des Hollandais. Hélas, ses meilleurs clients avaient fui après le massacre de décembre et il n’avait plus grand-chose à faire. Quand il n’était pas à l’église, il passait des heures à pêcher dans un grand canal des poissons que lui seul osait manger. Il ne recevait jamais de lettres et semblait absolument seul au monde.

Simplement, presque tous les soirs, il allait au Parbo Inn boire quelques bières puis parfois consommer une pute dans la rue voisine.

Il regarda Van Mook du coin de l’œil. C’était bien la première fois qu’il le voyait à l’église. D’habitude, ils se croisaient au Parbo Inn, chacun n’ignorant rien de l’autre.

— Tonton, dit le Hollandais, j’ai besoin de toi.

Le chauve remonta l’allée centrale à petits pas comme s’il comptait les bancs d’acajou vernis.

— Ouais ? marmonna-t-il.

— J’ai besoin d’un bateau, insista le Hollandais. Un truc rapide qui puisse prendre trois tonnes en tout.

Tonton Beretta s’arrêta net et le fixa de ses gros yeux marron :

— Dis donc, c’est un pa… pa… paquebot qu’il te faut…

— Le grand Magnum du Belge qui est parti, avec les deux moteurs hors-bord, il ne suffirait pas ? Tu sais, le bleu et blanc…

Tonton Beretta hocha la tête.

— Si les moteurs veulent dé… dé… démarrer. Seulement je n’ai pas d’essence et c’est un gouffre. À vingt-cinq nœuds, c’est deux… deux… cents litres à… à… l’heure…

Herbert Van Mook balaya l’objection d’un geste munificent.

— Pas de problème, je t’apporte l’essence que tu veux. Et je te file mille florins pour toi.

— Des florins ? fit le vieux, méfiant. Tu peux te les foutre au c… c… cul…

Le Hollandais fit l’étonné.

— Je croyais que tu sortais jamais d’ici.

Tonton Beretta lui jeta un regard furieux.

— Et si j’ai envie de me barrer avec mes écono…croques ? C’est pas avec tes florins que je pourrai bouffer dans un pays ci… ci… civilisé.

Van Mook entrevit aussitôt une économie substantielle.

— Écoute, Tonton, fit-il, si tu veux, je t’emmène. J’ai l’intention de m’arracher après ce coup-là.

— Où tu… tu… tu… vas aller avec le bateau ? ironisa le chauve. Même avec une voile, on n’arrivera pas au Brésil. Et il y a un barrage à l’autre bout du Surinam.

— Il n’y a pas que le bateau, fit le Hollandais, mystérieux. Combien de temps il te faut pour le préparer ?

Tonton Beretta s’arrêta en face de l’autel, les mains sur les hanches.

— D’abord, faut savoir pourquoi tu le veux ce bateau. Je veux pas que tu le remplisses de ser…ser… serpents. Et, tu… tu… tu vois, j’ai pas une immense confiance en t… t… toi…

— T’as tort, protesta Van Mook, sans se vexer. J’ai jamais doublé personne. Enfin, juste des caves.

— Ouais, fit Tonton Beretta. Sûr que t’es un mec coco… correct, mais je veux en savoir plus. Moi, je suis responsable de ce b… b… bateau.

— Écoute, fit Van Mook, conciliant. C’est un truc politique. Un mec qui veut s’arracher discrètement.

— C’est dangereux ?

— À ton stade, non, fit prudemment le Hollandais. On partira de nuit. Avec ton truc, il faut combien pour atteindre Carolina, à pleine charge, comme je t’ai dit ?

— Moins d’une heure si on se paie pas un tronc d’arbre flottant. Et cinq mille dollars…

Herbert Van Mook sursauta et dit d’un ton douloureux :