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— Oh ! Tonton, tu vas un peu fort ! Ça fait longtemps qu’on se connaît.

— Justement, ricana le vieux Français. Pour une fois qu’on fait une affaire… Si tu trouves que c’est trop cher, tu peux toujours ramer avec tes gr… gr…gros bras…

Toujours le mot pour rire. Le Hollandais comprit que ce n’était pas la peine de discuter avec le vieil aventurier.

— Tu es enfouraillé ? demanda-t-il.

— Assez pour te filer les tripes à l’air si tu me mets sur un coup pourri, annonça aimablement Tonton Beretta, du coup sans bégayer. On n’a jamais travaillé ensemble, alors je te préviens : avec moi, il n’y a jamais de seconde entourloupe.

Apparemment l’eau bénite l’avait bien conservé. En dépit de ses réticences verbales et de sa discussion sordide, Van Mook sentait que l’ex-voyou vibrait de tous ses vieux os à l’idée de sortir de sa sacristie. En le poussant un peu, il l’aurait fait pour rien. Il tendit sa main large comme un battoir.

— C’est OK. Tiens, voilà déjà du blé pour la remise en état du moteur. Je passerai te voir demain, au hangar.

Royalement, il lui tendit un billet de cent florins que l’autre empocha.

— À propos, c’est pour quand t… t… ton truc ?

— Je ne sais pas, fit prudemment Van Mook, mais vaut mieux être prêt le plus vite possible.

L’autre le suivit le long de la nef et lui jeta avant qu’il s’en aille :

— Faudra me donner l’heure exacte, parce que je n’ai pas de gr… gr… grue. On ne peut pas sortir à n’importe quel moment, il faut attendre la m… m… marée. Tu me garantis qu’on va pas se faire allumer ? Le bateau, il est pas à moi…

— Juré, sur la tête de ma mère, fit Van Mook.

La pauvre femme étant morte de chagrin en le mettant au monde, il ne risquait pas grand-chose. Tonton Beretta, sur le parvis, le regarda partir, puis rentra terminer le briquage de ses cloches, pensif.

Il connaissait toutes les activités légales et illégales de Van Mook et ne voyait vraiment pas ce qui pouvait le pousser à se mêler de politique… Donc l’autre ne lui avait dit qu’une partie de la vérité… Tonton Beretta se promit, avant de prêter un bateau qui ne lui appartenait pas, d’en savoir plus. Il avait à peu près aussi confiance dans le Hollandais que dans une tarentule. Hélas, on ne choisissait pas toujours ses partenaires en affaires. Il retourna dans son gourbi, ouvrit un tiroir, déroula un chiffon et en sortit un Beretta 9 mm automatique qu’il se mit à démonter.

Tout en nettoyant le vieux pistolet, il se dit que si une crapule comme Herbert Van Mook était prêt à lui donner cinq mille dollars, c’est qu’il en gagnait cent fois plus. Il faudrait revoir les termes de ce partage à son avantage, pensait-il, en testant le ressort du percuteur.

C’était bon de rajeunir.

* * *

Malko tourna la tête vers la gauche et son regard rencontra la gueule noire d’un fusil mitrailleur installé au poste de garde de la caserne Memre Boekoe, braqué sur l’entrée. Il continua à remonter Gemenelandsweg pour s’arrêter au feu rouge, en face de l’ambassade indonésienne. À part le FM, braqué sur l’entrée, Memre Boekoe ressemblait à toutes les casernes, avec ses bâtiments sans joie et sa clôture de barbelés. Il tourna à droite dans Zinniastraat, effectuant le tour complet de son objectif et découvrant une seconde entrée, dans Gravenberchstraat. Il descendit la large avenue à deux voies, vers le centre. Memre Boekoe se trouvait très loin du fleuve, à près de quatre kilomètres de Fort Zeelandia. Malko se laissa guider par les sens uniques et, pour la quatrième fois, se retrouva dans Gravenstraat, la rue de la cathédrale et de l’hôpital.

Il commençait à connaître le trajet par cœur. Son but était simple : trouver le meilleur endroit possible pour une embuscade. Deux conditions : être assez éloigné de la caserne pour que les coups de feu ne fassent pas surgir un renfort immédiat et se trouver de façon absolument certaine sur le parcours de Memre Boekoe à Fort Zeelandia. Maintenant, il était au moins certain d’une chose : quel que soit l’itinéraire emprunté, il se terminait dans Gravenstraat.

Descendant la rue à sens unique, il dut freiner brusquement, car une ambulance, sortant de l’hôpital sur sa gauche, lui coupait la route. C’était ce qu’il lui fallait ! Le seul véhicule qui n’éveillerait pas l’attention durant le couvre-feu, c’était une ambulance. Il s’arrêta un moment, observant les lieux. En face de l’hôpital, un Noir était perché sur la balustrade en bois d’une antique maison tombant en morceaux, comme un oiseau sur une branche. Le regard absolument vide. Malko repartit, ne tenant pas à attirer l’attention.

Un peu rasséréné, il gara sa Mitsubishi devant le Torarica, la chemise collée à son dos par la sueur. À part l’iguane qui fila, la queue verticale en le voyant, la piscine était toujours aussi déserte.

Il avait à peine eu le temps de se tremper dans l’eau que le haut-parleur grésilla, déformant son nom de façon presque incompréhensible. Il y avait un téléphone près du bar fermé et il put joindre le standard.

C’était la voix joyeuse de Cristina Ganders.

— Si vous n’avez rien à faire, je passerai vous prendre après mon travail, vers une heure et demie, proposa-t-elle. Nous irons déjeuner chez une amie.

Pas de nom, aucune précision. Malko raccrocha, intrigué et plutôt content. Son opération folle semblait se mettre en place. Cristina Ganders ne l’appelait sûrement pas pour une rencontre mondaine. C’est elle qui détenait l’élément principal : les modalités du transfert de Julius Harb. Sans cette information le reste n’avait aucune valeur.

Il repensa à Herbert Van Mook. Il y aurait quelques grincements de dents lorsqu’il saurait ce que Malko avait vraiment dans la tête. Si Malko réussissait, du même coup, il privait le gouvernement illégal du Surinam de son or. Un beau doublé.

* * *

Herbert Van Mook pénétra en sifflotant dans le garage. Il avait fait une petite halte chez les putes de Watermolenstraat où il avait repéré une nouvelle Colombienne qui ne devait pas avoir seize ans et qu’il s’était fait mettre de côté. Même Rachel, avec sa perversité, ne lui ôtait pas le goût du changement. Il s’arrêta à l’entrée de l’atelier, cherchant à percer la pénombre encombrée de carcasses de voitures, de pneus, de vieux moteurs. Il possédait la moitié de cette modeste entreprise, ce qui lui payait tout juste ses cigarettes. Une brusque colère balaya sa décontraction. Où était son mécanicien ? Se faufilant entre les empilements de tôles, il arriva au fond de l’atelier. Une voiture était montée sur un pont. Sous ce dernier, il aperçut un grand Noir à moitié nu et, sous ce Noir, celui qui aurait dû être en train de réparer la voiture, Dutchie. La salopette baissée, dans une position qui ne laissait aucun doute sur son activité.

— Dutchie, gueula Van Mook, je t’ai dit vingt fois de ne pas te faire enculer pendant les heures de travail !

Pour donner plus de poids à ses paroles, il envoya un violent coup de pied dans ce qui était visible des fesses brunes du dénommé Dutchie.

Effrayé, le Noir voulut sortir, se cogna la tête à la voiture, jura et bascula de l’autre côté du pont. Rajustant son short, il fila sans demander son reste… À son tour, Dutchie, à quatre pattes, la figure pleine de cambouis, se remit debout. Van Mook le contemplait en riant. Dutchie était un pâle voyou qui lui servait à toutes ses petites besognes et, entre autres, de releveur de compteur quand il exploitait quelques putes.

— J’voulais pas, murmura le mécano, ce salaud de nègre, il m’a pris par surprise.

Le Hollandais ricana, sans illusions.