— Arrête ! Tu vas trop loin.
— Tu n’aimes pas ?
— Si, si, ah bon.
Ses jambes retombèrent et elle resserra les cuisses autour de lui, l’empêchant de prendre de l’élan pour qu’il n’explose pas trop vite. C’est la position qui l’excitait le plus. Tout en le retenant de toutes ses forces, comme une noyée, elle eut ainsi plusieurs orgasmes entre lesquels elle s’arrêtait, reprenant son souffle, et immobilisant le membre fiché en elle. Julius la laissait faire, mais commençait à avoir du mal à se retenir. D’un coup, il s’arracha d’elle. My-lai protesta d’un ton de gamine grondée :
— Oh non, pas encore !
Leur rite était immuable. Déjà, docilement, elle lui offrait ses fesses rondes. Julius la reprit dans cette nouvelle position, de nouveau la fit jouir et enfin se retira lentement.
— Non, pas aujourd’hui, tu es trop gros ! protesta My-lai. Sans quand même chercher à lui échapper.
Heureusement que sa plainte hypocrite ne retint pas son amant. Il s’enfonçait déjà dans ses reins aussi facilement que dans son ventre. Il se déchaîna, ses doigts crochés dans les hanches élastiques, penché sur le dos piqueté de perles de sueur, prenant la croupe offerte à grands coups de reins. My-lai, prosternée, les bras en croix, feulait de plaisir chaque fois que son amant s’enfonçait en elle.
Sans vraiment se l’avouer, elle adorait qu’il la prenne de cette façon. De le sentir soudain exploser déclencha un ultime orgasme qui la laissa pantelante, étourdie de plaisir. Ils roulèrent sur le côté et il demeura en elle, pas encore assouvi. My-lai, les yeux fermés, fantasmait, pensant à cet énorme membre encore fiché dans son corps. De nouveau, une chaleur monta de son ventre et elle se demanda si elle n’allait pas encore s’offrir un petit orgasme.
Julius Harb, dont l’érection se prolongeait, ne regrettait pas les risques qu’il avait pris pour venir dire au revoir à sa maîtresse. Dans quelques heures, à l’aube, il irait rejoindre un puissant canot automobile caché sur le canal Saramacca. De là, il gagnerait le Surinam et remonterait le fleuve jusqu’au bac de Carolina. Des amis l’y attendaient avec une voiture pour gagner par des petites pistes le Maroni, fleuve-frontière avec la Guyane française. Des Bonis[6] le lui feraient franchir en pirogue et il serait en sécurité. Cela lui crevait le cœur d’abandonner son pays, mais il n’avait, hélas, pas le choix.
On n’entendait plus que le « vlouf vlouf » lent des pales du ventilateur. Dehors, un silence absolu régnait dans Blauwgrondstraat auparavant si animée. Il regarda le cadran lumineux de sa montre. Minuit vingt.
Le couvre-feu en vigueur commençait à minuit, après avoir débuté pendant six semaines à sept heures du soir ! Personne ne se risquait à l’enfreindre, les militaires, nerveux, tirant sur tout ce qui bougeait. Julius Harb entendit soudain le bruit d’un véhicule. Instantanément, son cœur se mit à battre plus vite. À cette heure, ce ne pouvait être qu’une patrouille. Or les militaires s’aventuraient très peu hors de leur cantonnement. Il se dressa, la bouche sèche, s’arrachant de la croupe qui l’emprisonnait. Le ronflement se rapprochait. Appuyée sur un coude, My-lai l’observait, tendue elle aussi. Dans ce silence absolu, les bruits prenaient une importance anormale. Le ronronnement du moteur faiblit, puis s’arrêta. Ce silence brutal, au lieu de calmer Julius Harb, augmenta son angoisse. Le véhicule inconnu s’était arrêté juste en face de la maison !
Désespérément, il chercha dans sa tête les imprudences qu’il avait pu commettre. Personne, pas même sa mère, ne savait où il passait cette dernière nuit. Il était certain de ne pas avoir été suivi. Sans un mot, il se leva, passa rapidement son slip et son pantalon. My-lai quitta le divan à son tour, noua machinalement son pagne autour de sa taille, le regard absent. Des portières claquèrent, puis de lourds pas d’hommes, des cliquetis d’armes. Toute la rue, réveillée, devait guetter.
My-lai allongea la main vers le pistolet et sans un mot le tendit à Julius en le tenant par le canon. Son regard se déplaça montrant la porte de la cuisine donnant sur la rizière et ses lèvres articulèrent silencieusement :
— Pars !
Julius Harb prit l’arme. Il y avait une balle dans le canon. Il suffisait de repousser le cran de sûreté. S’il sautait dans la rizière et tirait pour couvrir sa fuite, ils avaient peu de chance de le retrouver. Il les connaissait : ce n’étaient pas des foudres de guerre.
Ensuite, il attendrait jusqu’à l’aube le bateau sauveur. Seulement il y avait My-lai. Ils se vengeraient sur elle, fous de rage de l’avoir raté. Soudain, la tête hirsute du rasta flasha devant ses yeux. C’était lui ! Ils travaillaient souvent comme mouchards pour les responsables de la nouvelle police politique.
Des pas firent craquer la planche jetée sur le fossé et aussitôt un coup violent ébranla la porte.
Avant même que My-lai ait le temps d’ouvrir, un coup d’épaule fit trembler le battant, puis une violente ruade fit sauter la fragile serrure. Trois hommes se ruèrent dans la maison, Uzi au poing, en tenue de combat, le béret rouge enfoncé sur l’oreille. Un quatrième balaya la pièce d’une puissante torche électrique, comme si la lueur diffuse de la lanterne chinoise ne suffisait pas.
— Julius ! Lâche ça ! cria-t-il.
Il connaissait bien Julius Harb, ayant été sergent sous ses ordres. Celui-ci n’hésita qu’une fraction de seconde, sachant que, sinon, les Uzis allaient cracher la mort. Le regard des trois soldats brillait comme ceux de chats dans la pénombre. Ils avaient dû se doper au rhum avant de venir, après avoir attendu le couvre-feu pour agir avec discrétion. Julius Harb lança le colt automatique sur le lit et l’ex-sergent devenu lieutenant le ramassa aussitôt. Un des hommes s’avança vers la cuisine, vérifiant qu’elle était vide.
— Habille-toi et viens ! ordonna le lieutenant.
Julius Harb essaya une ultime parade.
— Tu sais qui je suis ? dit-il. C’est moi qui ai dirigé avec notre camarade Bouterse la Révolution de 80 ! Je ne suis pas un criminel.
Le lieutenant baissa la tête, gêné.
— J’ai l’ordre de t’arrêter. Moi, je n’y peux rien. Tu verras avec eux à Memre Boekoe. Allez, viens.
C’était la caserne d’où était partie la Révolution de 1980 dirigée par Desi Bouterse et Julius Harb.
Plus tard, les deux hommes s’étaient opposés, Desi Bouterse donnant à « leur » Révolution une dérive totalement marxiste. Leur divorce définitif datait du 8 décembre précédent. Cette nuit-là, les partisans de Desi Bouterse avaient arrêté et massacré tous ceux qui pouvaient leur tenir tête : syndicalistes, avocats, journalistes. L’élite du Surinam avait été décapitée. Julius Harb avait violemment protesté et, plus tard, Bouterse avait mis à prix la tête de son ancien copain… poussé par ses alliés cubains. Ceux-ci savaient que Julius Harb avait gardé beaucoup de prestige dans l’armée surinamienne et dans la population. Il restait donc le seul à représenter un danger potentiel pour les visées cubaines. D’autant qu’il n’avait pas fui en Hollande comme tous les opposants au régime. Maintenant, c’était trop tard. Sans un mot, Julius Harb remit ses chaussures et son pull-over. Les soldats piétinaient en silence sur le plancher de bois, louchant sur les formes de la jeune Chinoise. Celle-ci n’avait pas dit un mot, tapie dans un coin comme un animal, le regard dissimulé par sa frange, la poitrine nue. Julius Harb se tourna vers elle et dit doucement :