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— Si tu veux. En ce moment, il n’y a pas beaucoup de travail. Je n’arrive pas à avoir de licences d’importation. Je suis tous les jours au ministère du Commerce. Tu le veux pour combien de temps ?

— Deux, trois jours.

— Tu as quelqu’un pour le conduire ?

— Oui.

— Bon, tu le prends quand tu veux. Cinquante florins par jour. Plus le fuel.

— Quarante, corrigea Van Mook pour la forme.

Le Chinois leva son verre de cognac.

— Tu ne veux pas que je te donne aussi ma femme, pour ce prix-là. C’est un « truck « tout neuf…

La Chinoise, revenue près de la table, rit niaisement. Au même moment la nièce créole entra et Herbert Van Mook ne vit plus que le fessier charnu moulé par le jean. Ondulant à dessein, la jeune fille monta l’escalier raide menant au grenier, avec un regard en coin pour le visiteur. Le Chinois suivit le regard de son hôte, et ricana…

— Elle te plaît au moins autant que le camion… Mais elle n’a encore fait ça avec personne…

À regret, Van Mook vit la croupe disparaître. Il se leva et serra la main du Chinois.

— Je te téléphone avant de venir. Quarante-cinq florins…

L’épicier le suivit sur le pas de la porte et cria :

— Si je ne suis pas là, tu verras ma femme…

Herbert, le Hollandais, se demanda s’il se doutait de quelque chose. Au Surinam, les mœurs étaient extrêmement libres et c’était un miracle que les quelques putes importées arrivent à gagner leur vie. De temps en temps, une machette mettait fin à un différend, mais dans l’ensemble tout se passait pacifiquement. Une fois, il avait abordé une jeune créole dans la rue, à Paramaribo, et, sans même lui offrir un verre l’avait sautée derrière une palissade. Il l’avait quittée aussi brutalement et elle semblait ravie.

Il prit la direction de Paramaribo. Euphorique. Les barres d’or se rapprochaient à vue d’œil. Bien sûr, il y avait une petite formalité désagréable avant de les obtenir. Mais il avait confiance en son étoile et en ses talents de voyou. S’il ratait ce coup-là, il était vraiment bon pour l’élevage des serpents, à vie.

* * *

Dutchie arrêta la vieille Austin devant la petite maison, en face de l’ambassade de Chine. Consciencieusement, après en être sorti, il donna un coup de chiffon au pare-brise et défit la chaîne de la porte.

— Miss Rita !

Rita Moengo, la secrétaire de la Banque du Surinam, apparut sur la véranda. Un peu boulotte, très brune, mi-chinoise, mi-indonésienne.

— J’arrive.

Elle fut en bas aussitôt et regarda sa voiture briquée à neuf.

— Je l’ai un peu nettoyée, annonça modestement Dutchie.

— C’est gentil ça ! fit chaleureusement Rita Moengo. Viens prendre un rhum.

Le mécano essuya son front couvert de sueur, faisant mine de refuser.

— Allez, viens, fit la jeune femme, tu as chaud.

Dutchie s’installa gauchement dans un fauteuil de toile, sur la véranda. Rita revint avec une bouteille et deux verres, s’assit en face de lui, croisa et décroisa les jambes plusieurs fois, sans quitter des yeux son jeune visiteur, avec un regard déjà alangui. Dutchie réalisa soudain avec dégoût qu’il ne lui était pas indifférent. Elle parlait un peu trop fort, bougeait sans nécessité et il y avait une lueur dans son regard qui n’était pas seulement de la reconnaissance. Il se dit que c’était le moment de se mettre au travail.

— Vous êtes venue à pied de la banque ? demanda-t-il.

— Non, dit-elle, j’ai pris le bus.

— Il n’y avait personne pour vous raccompagner ?

Rita but une gorgée de rhum.

— Non, je pars toujours la dernière. C’est moi qui ferme toutes les portes et qui mets le système d’alarme.

— Ah bon ! fit Dutchie, ouvrant de grands yeux. Qu’est-ce que c’est ?

Malin comme une portée de chimpanzés, Dutchie savait prendre l’air totalement demeuré quand il le fallait. Rita Moengo, flattée de pouvoir étaler son importance, se leva, prit dans son sac un gros trousseau de clefs et en isola une, plate et très découpée. Elle se pencha sur lui de façon à ce que sa poitrine s’écrase sur l’épaule du jeune garçon. Dutchie en éprouva une profonde répulsion, qu’il réussit à dissimuler. Il était en service commandé…

— Tu vois cette clef-là ? expliqua Rita Moengo. Eh bien, il y a un tableau, près de la porte qui donne dans la cour. Quand je pars, je mets la clef et je la tourne. J’ai une minute pour fermer la porte. Sinon, l’alarme se déclenche et le téléphone sonne au ministère de la Police. Ce sont les Hollandais qui avaient installé ça. À cause de l’or.

— Quel or ? demanda Dutchie, sincèrement étonné.

— Comment ! Tu ne sais pas ? fit tendrement Rita. Tout l’or qui est dans la chambre forte.

Dutchie en oublia de paraître idiot.

— Et vous avez cette clef-là aussi ? demanda-t-il avidement, pris de fantasmes inouïs. Après tout, se taper une bonne femme rien qu’une fois, ce ne devait pas être répugnant… Hélas, Rita Moengo dissipa aussitôt son rêve.

— Ah, non ! Celle-là, c’était le directeur de la banque qui la gardait. Maintenant qu’il est parti, ce doit être le colonel Bouterse qui l’a. Mais il n’est jamais venu à la chambre forte…

Elle remit les clefs dans son sac.

— Vous n’avez pas peur qu’on vous les vole ? demanda Dutchie.

Rita Moengo secoua la tête, le regard fixé sur les cuisses musclées du jeune mécano, moulées par le vieux jean.

— Non, je ne les quitte jamais. Si je les perdais, on ne pourrait plus entrer dans la banque ! J’ai la clef de la porte aussi…

Dutchie hocha la tête, impressionné. Ne pensant plus qu’à filer. Mais le rhum accentuait encore la nature généreuse de la secrétaire. Elle enveloppa Dutchie d’un regard faussement maternel.

— Dis donc, tu es en sueur, tu ne veux pas prendre une douche, ça te fera du bien…

Dutchie se leva vivement. Oh, là, là… S’il sentait la femme en retrouvant son amant de cœur, un métis musculeux, il allait prendre une raclée épouvantable.

— Non, non, je dois rentrer à l’atelier. J’ai encore plein de travail. Le patron m’attend.

Il était déjà dans l’escalier. Rita Moengo se pencha à la balustrade de la véranda. Frustrée, mais bonne joueuse.

— Attends, je vais te raccompagner.

— Ça va ! cria Dutchie.

Il se mit à courir sous les premières gouttes de pluie, un tas d’or énorme devant les yeux. Jamais il n’avait pensé à un truc pareil. Il commença à se demander comment son patron allait ouvrir cette chambre forte et surtout comment il pourrait en obtenir un petit peu.

* * *

Malko retrouva la piste principale au milieu d’une averse tropicale épouvantable. L’eau fouettait le pare-brise de la Colt Turbo comme un jet de lance de pompiers. Entre les trombes d’eau et les ornières, il faillit heurter de plein fouet un taxi de brousse qui zigzaguait, lui aussi, à la recherche d’un passage carrossable.

En plus, Malko avait complètement perdu de vue qu’on roulait à gauche au Surinam, même en pleine jungle…

La pluie cessa brutalement et la forêt se mit à fumer. La piste semblait ne jamais finir. De nouveau, ce fut la chaleur étouffante et la poussière pénétrant partout, s’insinuant dans les moindres plis de la peau. La jungle fit place à une espèce de savane avec de curieuses plaques de sable blanchâtre qui ressemblaient à des marais salants. Puis, de nouveau, la végétation s’épaissit. Devant lui, la piste se scindait en deux. Les pylônes de la ligne haute tension continuaient sur la gauche. Malko prit à droite, vers Brownsweg, la dernière agglomération avant Pokigron. La piste descendait en pente douce vers le lac, sans trop d’ornières et il put accélérer.