— Was wollen sie ?
C’était le légionnaire déserteur. Herbert Van Mook lui adressa son fameux sourire et dit en allemand :
— N’aie pas peur. Nous sommes des amis. On veut t’aider. Dis-nous d’abord pourquoi tu as déserté ?
L’autre bredouilla dans la même langue.
— La chaleur, en avait marre, veut rentrer en Europe… Le barman qui le logeait depuis plusieurs jours, après lui avoir pris ses derniers sous, prit la parole à son tour :
— On peut t’aider à rentrer, si tu veux travailler avec nous. On a besoin d’un gars qui sache se battre pour un coup. Ensuite, on te donne du fric et un billet. On te sort du pays. Avant, tu auras à te servir d’une arme.
Le légionnaire regarda les deux hommes, plein de méfiance.
— Pour quoi faire ?
— On t’expliquera.
Silence. Son regard alla de l’un à l’autre de ses étranges visiteurs qui le fixaient comme un entomologiste examine un insecte. Il se décida, sentant qu’il était inutile de discuter.
— D’accord, fit le légionnaire. C’est pour quand ?
— Demain soir, dit Van Mook. Tu sais te servir d’un M16 ?
— Oui.
— Combien de temps de Légion ?
— Six ans.
— OK. Tu restes ici, tu ne bouges pas jusqu’à demain soir. On t’apportera à manger et à boire et je te donnerai des instructions.
Le légionnaire leur serra la main et ils sortirent de la pièce. Dès qu’ils furent dans l’escalier, le barman exulta.
— Voilà, tu es content ?
Herbert Van Mook ne répondit pas. Mais, arrivé au rez-de-chaussée, au lieu de sortir, il s’arrêta dans le couloir, retenant Éric.
— Attends !
Ils restèrent là sans un mot.
Dehors, les putes jacassaient d’un balcon à l’autre. La chaleur était étouffante. Le barman ne comprenait plus. Soudain, les marches de l’escalier craquèrent. Ils virent le légionnaire en train de descendre à pas de loup. Herbert Van Mook se dressa devant lui au moment où il allait sortir.
— Où vas-tu ?
Le légionnaire sursauta comme si une tarentule l’avait piqué, cligna des yeux, puis balbutia :
— Acheter des cigarettes.
— Remonte.
Le regard de Van Mook était tel que l’autre obéit, les deux hommes sur ses talons. Dès qu’il fut dans la pièce du haut, le Hollandais le poussa brutalement sur le lit où il s’effondra. Van Mook avait déjà saisi la baïonnette. Sans une hésitation, il la planta dans le dos de l’homme avec un « han » de bûcheron. La lame s’enfonça à travers le cœur pour se planter dans le matelas. Le légionnaire eut un râle, quelques soubresauts, ses mains déchirèrent un peu le drap, puis il s’immobilisa. Van Mook continuait à peser sur le manche de la baïonnette. Quand sa victime ne bougea plus, il le prit à deux mains et lui fit effectuer un quart de tour. De cette façon, la lame sectionnait les artères encore en état de fonctionner.
Éric regardait la scène, horrifié. Il n’avait jamais vu tuer personne de cette façon sauvage et froide. Herbert Van Mook se redressa, arrachant la baïonnette. Aussitôt, le sang suinta de la blessure. Il se retourna vers son ami ; son visage était calme et il souriait.
— Tu vois, fit-il, j’avais raison.
— Merde, fit le barman, tu tues un mec parce qu’il va acheter des cigarettes !
Il en avait froid dans le dos…
— Pas parce qu’il va acheter des cigarettes, fit lentement Van Mook. Parce qu’il se préparait à nous trahir.
— Il se tirait simplement, tu lui as fait peur.
— Peut-être, peut-être pas. Nous ne pouvons pas prendre le risque de voir un type se balader sachant qu’on prépare un coup.
— Pourquoi « nous » ?
Le Hollandais eut son sourire froid :
— Parce que tu viens avec nous. C’est toi qui l’avais recruté, celui-là. Tu le remplaces.
Le sang quitta le visage du barman. Il n’osait pas dire non, mais des milliers d’objections se bousculaient dans son crâne. Van Mooke le prit gentiment par l’épaule.
— Toi, tu es intelligent, tu feras le boulot et tu recevras une barre d’or de douze kilos et demi.
C’était le genre d’offre qu’on ne peut pas refuser… Tranquillement, Herbert Van Mook prit une bouteille d’alcool à brûler et se mit à arroser le cadavre et la pièce. Il continua dans l’escalier. En bas, il craqua une allumette. Aussitôt, une flamme claire s’éleva dans la cage d’escalier. La vieille baraque en bois allait flamber comme une allumette. Il se tourna vers Eric :
— Comme ça, pas de questions, pas d’autopsie…
Le barman ne fit aucun commentaire. Herbert Van Mook se sentait parfaitement lucide. Décidé à éliminer impitoyablement tous ceux qui se mettraient entre lui et ce fabuleux tas d’or.
Chapitre X
Malko prit soin de ne pas garer sa voiture en face de la cathédrale, mais près de l’hôpital où elle se remarquerait moins. La fraîcheur de la grande nef d’acajou contrastait délicieusement avec la touffeur de l’extérieur. Il regarda partout sans voir personne. Tonton Beretta était en retard. Pourvu qu’il n’ait pas eu de pépin avec les moteurs du bateau ! Il essaya la porte montant au chœur, mais elle était verrouillée. Aussi, il s’arrêta sur les marches, dissimulé dans la pénombre. C’était un endroit idéal pour attendre car il était invisible pour quelqu’un entrant dans l’église. Les bruits de l’extérieur lui parvenaient faiblement.
Plusieurs minutes s’écoulèrent. Puis, il entendit un grincement de porte. Quelqu’un venait d’entrer. Ce devait être le vieux Français. Il se pencha un peu et aperçut au milieu de la nef une silhouette immobile, semblant renifler l’atmosphère. Ce n’était pas Tonton Beretta, mais un barbu à la peau très sombre. Un Pakistanais ou un Indonésien. Que venait-il faire dans une église catholique ? Malko était en train de réfléchir à cette bizarrerie lorsqu’il reconnut l’homme : c’était Ayub, le barman du Parbo Inn ! Son cœur se mit à battre aussitôt comme un tambour. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Il se calma aussitôt. Herbert Van Mook semblant avoir toute confiance en lui, il devait être venu porter un message de sa part à Tonton Beretta. Malko allait descendre de son escalier pour lui faire signe lorsque le barman se dirigea rapidement vers un confessionnal, non loin de lui et y disparut.
Malko n’eut pas longtemps le loisir de méditer sur cette étrangeté. Quelques instants plus tard, il entendit un bruit de pas, cette fois venant du chœur, et aperçut le crâne chauve de Tonton Beretta. Sortant aussitôt de sa cachette, il fonça vers le Français. Ce dernier l’accueillit avec un sourire rayonnant :
— Tout est en ordre ! annonça-t-il. Les deux moteurs tournent comme des montres suisses.
L’excitation faisait perler à la commissure de ses lèvres un peu de bave. Une lueur avide brillait dans ses gros yeux marron. À voix basse, Malko demanda :
— Vous connaissez le barman du Parbo Inn, Ayub ?
Tonton Beretta le fixa avec surprise.
— Ouais, pourquoi ?
— Il est ici, caché dans un confessionnal. Il est entré après moi. Vous pensez que c’est Van Mook qui l’a envoyé ?
Les gros yeux marron semblèrent se vitrifier. Tonton Beretta n’eut aucune exclamation de surprise. Il dit seulement d’une voix égale :