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— Miloviyou.

Déjà les soldats se dirigeaient vers la porte. Soudain, My-lai se détendit comme un fauve, bondissant vers le lieutenant. Julius vit briller la lame d’une machette dans la main droite de la jeune Chinoise, entendit son hurlement.

— Sauve-toi !

De toutes ses forces, elle abattit la machette sur le bras du lieutenant. Celui-ci eut le temps de pivoter et la lame, au lieu de lui couper le bras, ne fit que lui entailler le poignet. D’un bloc, les soldats s’étaient retournés, Julius Harb n’eut pas le temps de bondir vers la cuisine. Déjà, le lieutenant avait arraché le colt de sa ceinture et le braquait sur lui, le visage convulsé de rage et de douleur.

— Salope ! cria-t-il.

Les soldats se ruèrent sur My-lai, les crosses des Uzi s’abattirent sur la Chinoise, faisant éclater les chairs, lui arrachant des hurlements. Elle tomba en boule dans un coin, cherchant à se protéger. Les soldats continuèrent à s’acharner sur elle à coups de pied. La main gauche du lieutenant tremblait mais la crosse du colt était à quelques centimètres du visage de Julius Harb. Celui-ci crut que l’autre allait tirer, tant il avait le regard fou. Enfin, il aboya un ordre et ils s’arrêtèrent. Le sang dégoulinait le long de son bras et tombait goutte à goutte sur le plancher d’acajou.

Un des soldats enfonça son Uzi dans le ventre de Julius Harb et le lieutenant remit le pistolet dans sa ceinture. Il releva sa manche avec une grimace de douleur, découvrant une profonde estafilade.

— Pardonne-lui, dit Harb. Elle est très jeune, elle a voulu m’aider.

Le lieutenant ne répondit pas. Un de ses hommes s’approcha avec son pansement individuel et l’appliqua sur le poignet blessé. Le lieutenant se laissa tomber dans un des grands fauteuils d’osier, fixant avec haine la jeune Chinoise, recroquevillée sur le plancher, sanglotant de douleur. Un des soldats disparut dans la cuisine et revint avec une bouteille de rhum Black Cat. Le lieutenant en but au goulot une longue rasade. L’ambiance s’était soudain alourdie. La bouteille passait de main en main. Julius Harb n’avait plus qu’une hâte : quitter cette maison. Protéger My-lai, si c’était encore possible. Le lieutenant jeta un ordre à voix basse.

Deux des soldats relevèrent la Chinoise, la tenant sous les aisselles et la traînèrent dans la cuisine. L’un d’eux, avec la crosse de son Uzi, balaya tout ce qui se trouvait sur la table, puis, brutalement, ils poussèrent My-lai dessus, lui écrasant la poitrine contre le bois, la courbant en deux. Ils lui arrachèrent son pagne. Tandis que l’un maintenait la jeune femme par les poignets, l’autre s’approcha par-derrière, passa son Uzi en bandoulière, se frotta un peu contre les fesses nues, avec une mimique ravie, et, dégrafant son pantalon, la viola. Lorsque Julius Harb qui voyait toute la scène par la porte ouverte, aperçut le sexe s’enfoncer dans le ventre de la jeune femme, il poussa un rugissement et, aussitôt, le canon de l’Uzi lui meurtrit le sternum.

— Ne bouge pas ou il te tue, avertit le lieutenant.

My-lai criait à peine. Le soldat lui donnait de grands coups de reins, encouragé par ses deux copains. Puis ils permutèrent. Installé dans un fauteuil, le lieutenant contemplait son poignet blessé, en buvant du rhum au goulot, presque détendu en apparence. On n’entendait plus que les halètements excités des soldats se relayant pour violer la jeune Chinoise et les cris brefs de celle-ci lorsqu’un de ses bourreaux s’égarait volontairement dans ses reins.

— Dis-leur d’arrêter, plaida Julius Harb.

Le lieutenant ne répondit pas directement, levant sur lui un regard torve, injecté d’alcool.

— Elle a voulu me tuer, dit-il. Pour protéger un traître à la Révolution comme toi !

— Fais attention, avertit Harb, je parlerai.

Il savait que l’autre avait l’ordre de le ramener vivant. Sinon, il l’aurait déjà abattu. Il ne prendrait pas sur lui de se venger. La tuerie du 8 décembre avait déjà fait assez mauvais effet à l’étranger et au Surinam. Quinze morts en une nuit, c’était beaucoup pour un pays de trois cent mille habitants.

Un hurlement de My-lai les fit sursauter. La jeune femme venait de se retourner, griffant un de ses violeurs acharné à la déchirer. Les yeux fous hors de la tête, le visage barbouillé de larmes, tuméfié par les coups, les traits gonflés, elle était presque laide. Un coup de crosse la rabattit sur la table, lui ouvrant la joue. Aussitôt, elle se mit à hurler, comme une sirène. Ses cris devaient s’entendre jusqu’au fleuve ! Décontenancés, les soldats tournèrent la tête vers leur chef.

— Tais-toi ! cria celui-ci.

Le scandale, c’était ce qu’il craignait le plus. Demain, tout Paramaribo allait bruisser de rumeurs horrifiantes. La version officielle de l’arrestation de Julius Harb en train d’attaquer la caserne Memre Boekoe ne tiendrait plus et le lieutenant allait se faire engueuler.

Il se leva brusquement, renversant la bouteille de rhum, fit un pas vers la table. My-lai continuait à hurler. Le lieutenant arracha l’Uzi d’un des soldats et, brutalement, enfonça le canon de la mitraillette entré les fesses cambrées, déclenchant des hurlements encore plus violents. Julius Harb crut d’abord qu’il s’agissait d’une nouvelle humiliation, mais le lieutenant tourna vers lui son regard d’ivrogne luisant de haine.

— Elle a besoin d’un petit lavement à l’Uzi, fit-il.

Julius Harb n’eut pas le temps d’intervenir. La rafale claqua, assourdissante, les projectiles s’enfonçant directement dans les intestins de la Chinoise. Celle-ci poussa un cri atroce, roula sur elle-même : du sang jaillit presque aussitôt de sa bouche et elle tomba à terre. Les projectiles s’étaient logés dans ses intestins et ses poumons. Elle eut quelques spasmes, le sang s’écoula un peu plus fort de sa bouche. Julius Harb se précipita, lui releva la tête, mais elle ne le reconnut même pas, le regard déjà vitreux. Aucune des balles n’était ressortie et, de ce fait, elle ne semblait pas blessée. Une main tira brusquement Julius Harb en arrière. Ivre de douleur et de rage impuissante, il se débattit furieusement. Ils durent se mettre à trois pour lui faire franchir la passerelle de bois. Il se retourna, aperçut une dernière fois le corps inerte, puis un des soldats referma la porte à la volée.

Alors, fou furieux, il se mit à hurler de toute la force de ses poumons :

— Assassins ! Assassins ! Vous avez tué My-lai !

Pas une lumière ne filtrait des maisons de bois bordant Blauwgrondstraat, mais il était certain que tous les habitants de la rue, réveillés par les coups de feu, tapis derrière leurs volets devaient guetter l’extérieur, fous de terreur.

Les trois soldats lui tombèrent dessus en même temps, dans un déluge de coups. Il cria encore quelques secondes, puis un coup de chargeur assené en pleine tempe l’assomma net. Ils le traînèrent jusqu’à la Jeep arrêtée au milieu de la chaussée, un soldat au volant. Il était encore évanoui quand le véhicule démarra d’un coup. C’est un virage brutal qui lui fit reprendre conscience. Une pensée lancinante l’assaillit aussitôt : s’il n’avait pas voulu faire une dernière fois l’amour avec My-lai, elle serait encore vivante. Encore étourdi, il se redressa, cria, la bouche pleine de sang, au lieutenant :

— Assassin, salaud ! Le colonel Bouterse saura ce que tu as fait.

Pensant au corps délicat massacré par les projectiles de l’Uzi, il lui cracha en plein visage, moitié salive, moitié sang. Nouveau coup de crosse. Il retomba pensant qu’au moins toute la ville connaîtrait leur crime.

Quant à son ex-copain Bouterse, il ne se faisait aucune illusion. Il se moquait de la Chinoise comme de sa première Uzi. Au contraire, une dose supplémentaire de terreur rendrait les Surinamiens plus malléables.