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Une grande créole appuyée à un plongeoir, avec un maillot une pièce assez échancrée pour mettre en valeur une poitrine épanouie, de longues jambes et un sourire éclatant.

— Cristina Ganders est une métisse, elle a eu des aventures avec tout ce qui compte à Paramaribo. Depuis deux ans, elle est secrétaire à la Présidence, ce qui lui donne accès à beaucoup d’informations. Elle déteste le régime actuel et collabore avec nous depuis longtemps. Actuellement son amant en titre est un gros exportateur de riz d’origine indonésienne. Elle connaît tout le monde à Paramaribo, dans toutes les communautés. Ses contacts avec les militaires nous ont permis d’apprendre la date du procès de Julius Harb.

D’après la personnalité de Cristina, le terme « contacts » semblait particulièrement approprié…

Malko regarda longuement la photo. Il y avait de la malice dans les yeux et de la sensualité dans la bouche. Un bel animal. La photo redisparut dans l’attaché-case du jeune capitaine.

— Cette Cristina n’aura pas peur de se mêler à une histoire aussi dangereuse ?

— Elle est d’accord, affirma le colonel de Vries. Tout ce qu’elle souhaite, c’est venir vivre ici, en Hollande. Nous l’aiderons à trouver un travail intéressant.

— Excellent, approuva Malko, mais un peu juste…

Frederick LeRoy, tirant sur un énorme cigare, remonta aussitôt à l’assaut.

— Le colonel est certain que Herbert Van Mook sera en mesure de réunir un petit commando, affirma-t-il, et de quoi l’équiper. De plus, vous aurez un allié supplémentaire…

— Absolument, confirma le Hollandais. Ce n’est pas un HC mais il a toute ma confiance. Harvey Granoost, le directeur de l’hôtel Krasnapolski là-bas à Paramaribo, c’est la même chaîne. Il peut vous aider sur le plan logistique. C’est un ami personnel et vous pouvez vous recommander de moi. Il connaît aussi beaucoup de gens, mais sur un plan différent de Cristina Ganders, bien entendu.

— Bien entendu…, fit Malko.

À côté d’eux, le vieux couple d’amoureux se leva. Ils étaient les derniers dans la grande salle à manger. Sur un signe discret du colonel de Vries, le jeune capitaine posa une carte plastifiée sur la table. Malko se pencha. C’était le Surinam, la Guyane française et le nord du Brésil, jusqu’à Belem.

— Le plan que j’ai imaginé est assez simple, expliqua le colonel. Il y a toujours eu beaucoup de chasseurs et de prospecteurs de minerais au Surinam, aussi ce pays compte-t-il de nombreuses pistes d’atterrissage, maintenant peu utilisées. Nous en avons sélectionné une ici, à Pokigron.

Malko examina la carte. Pokigron se trouvait à l’extrémité sud-ouest d’un grand lac intérieur – la Van Blommestein Meer – à cent cinquante kilomètres au sud de Paramaribo.

— Supposons, dit le colonel de Vries, que l’opération ait réussi. En quelques heures, vous pouvez gagner Pokigron. Un homme comme Van Mook est très capable d’organiser ce repli. Ensuite, votre exfiltration en compagnie de Julius Harb se fera par air, à partir de Pokigron.

— Avec quel avion ?

— Un EMB 121 Xingu, du « Grapo de Transporte Especial » brésilien. Un petit bimoteur capable de se poser et de décoller d’une piste très courte et en mauvais état. Il lui faut au maximum cinq cents mètres pour atterrir et sept cents pour décoller. Juste ce qu’il nous faut. Je dois vous dire que les Brésiliens sont d’accord pour collaborer à cette petite aventure…

Malko s’en serait douté.

— D’où viendra ce Xingu ?

— De Macapá, une petite ville sur les bords de l’Amazone. Dans un premier temps, il se posera sur un terrain tout près de la frontière du Surinam, dans la Serra Tumucumaque, à cinquante milles à l’ouest de Talima. Une région totalement déserte. Ensuite, il aura moins d’une heure de vol environ jusqu’à Pokigron. De cette façon, à aucun moment, il ne survolera la Guyane française. Entre la frontière et Pokigron, il n’y a rien, c’est la forêt.

» La distance totale de Macapá à Pokigron est d’environ trois cents milles et le Xingu a un rayon d’action de mille six cents milles, avec une réserve de quarante-cinq minutes. C’est largement suffisant.

— Il sera piloté par des Brésiliens ? s’enquit Malko.

— Un Brésilien, corrigea le colonel, mais le second pilote sera quelqu’un de chez nous.

Malko regarda pensivement la carte. Sur le papier, tout paraissait toujours facile. Ensuite, c’était différent. Dans un plan comme celui du colonel de Vries, il y avait à peu près un million d’impondérables…

— Et les liaisons ? demanda-t-il.

— Tout passe par notre station de Paramaribo qui relaiera celle de Brasilia, en code bien entendu. Ensuite, c’est de la cuisine intérieure brésilienne. N’ayez crainte, l’avion sera là pour venir vous récupérer.

Une évidence frappa brusquement Malko comme un coup de poing : le colonel de Vries était en train de le mener en bateau.

— Dites-moi, fit-il, vous avez tout ce qu’il faut. Pourquoi avez-vous besoin de moi ?

Le colonel de Vries demeura quelques instants silencieux, puis une lueur joyeuse passa dans ses yeux bleus.

— Ah ! fit-il, je ne vous ai pas encore tout dit. Il y a une raison impérieuse à votre présence dans cette opération. Je dirais même que sans vous, elle ne pourrait avoir lieu.

Un maître d’hôtel s’approchait de leur table, poussant avec la componction d’un croque-mort un chariot surchargé de bouteilles. Il s’arrêta près de la table et Frederick LeRoy sauta sur cette occasion de détendre l’atmosphère. Penché vers Malko, il proposa avec un sourire gourmand et complice :

— Liqueur ?

Malko se demanda si son sourire s’effaçait jamais. Le jeune Américain avait déjà pointé l’index sur une bouteille.

— Un Gaston de Lagrange ? demanda-t-il.

Le colonel de Vries l’imita et bien entendu, le jeune capitaine. Pour ne pas être en reste, Malko, qui buvait rarement du cognac, prit aussi une larme de Gaston de Lagrange. Tandis que le maître d’hôtel s’éloignait, mission accomplie, les quatre hommes demeurèrent silencieux, réchauffant leurs verres. Malko se demandait ce que pouvait être le secret du colonel de Vries. L’alcool coula agréablement sur sa langue. Les Hollandais savaient vivre. Frederick LeRoy posa sur lui son regard cajoleur et vif.

— À propos, dit-il, il y a demain un vol des Suriname Airways à destination de Paramaribo. Si nous pouvions avoir tout mis sur pied d’ici là, ce serait bien. Il n’y a qu’un vol par semaine…

Malko esquissa un sourire ironique.

— Je suppose que vous m’avez déjà pris une réservation ?

Frederick LeRoy eut un petit rire agaçant.

— Pas la peine. Dans ce sens là, l’avion est à peu près vide.

Chapitre III

Un iguane de quarante centimètres d’un vert si vif qu’il en paraissait phosphorescent, sortit d’une touffe de bambous près de la piscine et fit quelques pas prudents devant les chaises longues inoccupées. L’hôtel Torarica étant à peu près vide, personne ne profitait de la superbe piscine ; aussi l’iguane trottina-t-il tranquillement jusqu’à l’entrée des cuisines, passant devant Malko, et plongea ses petites pattes griffues dans une poubelle.

Celui-ci écoutait d’une oreille distraite un serveur métissé d’une demi-douzaine de races lui expliquer dans un sabir à peu près incompréhensible les délices du breakfast à la hollandaise, à base de patates douces et de ragoût de haricots rouges. Vexé que son client se contente de café et de toasts. Quelques gouttes de pluie suintaient du ciel plombé et la température avoisinait 35 degrés, avec bien entendu 100 % d’humidité. C’était la petite saison sèche, un répit dans ce merveilleux climat. Malko regarda l’iguane repasser, le ventre plein, la queue verticale et se leva. Il était plus que temps de se mettre à travailler. Si les Hollandais avaient de bonnes informations, il restait exactement huit jours avant l’exécution de Julius Harb.