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— Dis-moi, fit l’Irlandais, tu les paies bien tes flics. Une Pajero, ça vaut combien de millions de leones ?

— Ce n’est pas avec sa solde qu’il l’a achetée, reconnut le policier, embarrassé. Tu sais bien comment ça se passe. Il fait des heures supplémentaires. Je vais le convoquer tout de suite.

Il décrocha son téléphone et eut une longue conversation en créole avant de raccrocher, annonçant :

— Il n’était pas en service aujourd’hui. Il paraît qu’il était chez Labaki.

— Appelle ce salaud, intima Bill Hodges.

Les tatouages sur son bras en tremblaient. Dans son teint blême de fureur, les taches rouges se remarquaient encore plus… Sheka Songu lui jeta un regard inquiet.

— Tu sais que…

— Appelle-le ou j’y vais avec mon Beretta et ça va faire mal…

Sheka Songu retint un soupir et composa un numéro avec une sage lenteur. Visiblement, il souhaitait de tout son cœur qu’on ne réponde pas. Ce qui ne fut pas le cas.

— Mr Labaki est-il là ? demanda-t-il d’une voix pleine de respect.

Bill Hodges fit le tour du bureau et brancha le haut-parleur du téléphone. Une voix joviale éclata dans la pièce.

— Sheka, my friend ! C’est moi, Karim. Qu’y a-t-il pour ton service ?

Malgré la jovialité du Libanais, le policier était devenu gris. Il adressa un regard désespéré à Bill Hodges, planté devant lui comme la statue du Commandeur, avala sa salive.

— Mister Labaki, je ne voulais pas vous déranger, mais j’ai besoin d’un de mes hommes pour une mission urgente et je crois qu’il est chez vous…

— Qui ?

— Eya Karemba.

Court, très court silence, puis, de plus en plus jovial, Karim Labaki lança :

— Eya ? Bien sûr, il est ici, il a travaillé pour moi toute la journée. J’avais des diamants à récupérer en brousse et besoin d’un garde du corps. Tu le connais, il est costaud. Mais il peut être à ton bureau dans une demi-heure.

— Merci, fit Sheka Songu d’une voix éteinte.

— À propos, claironna le Libanais, c’est bientôt l’anniversaire de ta femme, hein ? Je crois que j’ai trouvé un petit truc pour elle qui lui plaira. Une Vraie pépite, je te l’enverrai. Allez, continue à faire régner l’ordre. Je vois le Président Momoh demain, je lui dirai tout le bien que je pense de toi. À bientôt.

Le clic de l’appareil raccroché sonna comme une guillotine. Bill Hodges s’était précipité, mais le policier avait déjà reposé le récepteur. Il leva un regard mort vers les deux Blancs, dans un silence pesant.

— Vous avez entendu, dit-il d’une voix sans timbre. Si j’accuse Karemba, il jurera qu’il n’a pas quitté Labaki de toute la journée. Le Libanais confirmera. Et si j’insiste, il ira se plaindre au Président qui me téléphonera en m’ordonnant de laisser son ami tranquille…

Il avait l’air misérable. Malko le plaignait. Bill Hodges ressemblait à un volcan sur le point d’exploser.

— C’est lui ! dit-il. C’est cette ordure. Je lui couperai la tête et je lui arracherai le cœur. Seti était une conne, mais une gentille fille. Puisque tu ne peux rien, je vais régler mes comptes moi même avec Labaki.

Songu leva un regard suppliant vers lui.

— Bill, je t’en prie, je ne pourrai pas te protéger. Tu sais qu’il a tous ces Palestiniens…

Bill Hodges le toisa, méprisant.

— Une fois, au Mozambique, je me suis payé une section entière, tout seul. Alors, tes Palestiniens…

Sheka Songu secoua la tête, accablé, puis son regard se posa sur Malko.

— Pourquoi Labaki en veut-il tant à ton ami ?

— Il cherche deux types, fit abruptement l’irlandais. Des enculés chiites qui risquent de te causer des ennuis…

Il résuma au chef de la police la mission de Malko. Le Noir faisait tourner un crayon dans sa main, perplexe.

— J’ai entendu parler de cette histoire par Jim Dexter. Je voudrais vous aider, fit-il, mais cela m’est impossible. D’abord parce que le Président Momoh interdit que l’on fasse quoi que ce soit aux Iraniens tant qu’ils n’ont pas d’activités illégales dans ce pays. C’est lui et Labaki qui les ont fait venir. Je sais que leur ambassadeur lui a promis la semaine dernière une nouvelle cargaison de pétrole pour un prix symbolique. Cela permettrait à notre pays de tourner pendant plus de huit mois.

« Mes hommes de la Special Branch surveillent les Iraniens, jour et nuit, mais ils ne font pas grand-chose… ils recrutent des gens. (Il esquissa un sourire.) On m’a rapporté qu’ils offrent dix leones à tous ceux qui viennent assister à leurs conférences le jeudi après-midi, au Centre Culturel. On ne peut pas les mettre en prison pour cela.

— Et ces deux Chiites ? demanda Malko.

— Je ne sais rien à leur sujet. Mais il est vrai qu’on peut entrer facilement dans notre pays et y rester si on dispose de complicités locales. En tout cas, ils ne se cachent pas au Centre Culturel iranien, j’y ai un informateur…

Le policier semblait sincère. Malko comprit qu’il n’y aurait rien de plus à en tirer. Encore heureux de bénéficier de sa sympathie protectrice. Bill Hodges n’avait pas calmé sa fureur. Il mit la main sur l’épaule de son copain.

— Tu me donnes cinquante types et je te débarrasse des Libanais en une semaine, fit-il.

Sheka Songu eut un pâle sourire.

— Tu sais bien que ce n’est pas possible… Je vais quand même faire une enquête pour le meurtre de ton amie à Lakka. On va t’envoyer quelqu’un du CID.

— C’est ça, fit l’Irlandais amer, envoie-moi Karemba.

* * *

La chaleur était un peu tombée. Comme la colère de Bill Hodges.

— Je vais retourner à Lakka, annonça l’irlandais. Je vous dépose au Mammy Yoko. Je vais réfléchir à ce qu’on peut tenter contre ce fumier de Labaki. Jamais on ne m’a fait un coup comme ça sans le payer…

Il ne desserra plus les lèvres jusqu’au Mammy Yoko.

Un message attendait Malko dans son casier. Quelques mots qu’il déchiffra avec peine. Un rendez-vous avec Eddie Connolly, le journaliste. Huit heures, au bar du Casino Leone. À quelques centaines de mètres du Mammy Yoko.

Il remonta dans sa chambre et réapprovisionna le chargeur du Colt 45. Karim Labaki ne se bornerait pas à une seule tentative. Il voulait que Malko disparaisse de Sierra Leone. Donc, ce dernier était sur la bonne piste. Maintenant, c’était presque un combat à visage découvert. En parallèle du monde officiel.

* * *

Des Libanais huileux à l’expression rapace suivaient d’un regard plein d’avidité la boule d’ivoire de la roulette.

Aux tarifs d’hospice pratiqués par le Casino Leone, ils ne risquaient pourtant pas de se ruiner. Les croupières noires en longues robes suivaient d’un regard maussade la valse des jetons.

Malko repéra Eddie Connolly à une table de roulette. Le journaliste l’aperçut et vint vers lui.

— Sortons, fit-il à voix basse, en le frôlant.

Ils traversèrent le grand bar dont les clients étaient plongés dans la contemplation d’une télé suspendue au-dessus du comptoir, retransmettant en vidéo des matches de foot vieux d’un mois.

Dehors, une pute noire en robe de nylon vert, comme le néon, attendait mélancoliquement, assise sur le capot d’une voiture en face de l’entrée du casino.

Eddie Connolly monta dans une vieille Toyota et prit la direction de Lumley Beach. Un kilomètre plus loin il stoppa le long de la plage déserte et rejoignit Malko descendu de sa 505.

Les lumières du Mammy Yoko et du Casino brillaient dans le lointain.