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— Good evening, dit le Créole, très courtoisement. J’avais peur que vous ne veniez pas…

— Vous avez quelque chose d’important ? interrogea Malko.

L’autre se rengorgea avec un petit rire satisfait.

— Indeed, yes… J’ai eu de la chance. J’ai quelques amis à l’Immigration. Grâce à eux, j’ai appris que Karim Labaki a demandé une faveur pour deux de ses amis.

— Quelle faveur ?

— Des papiers pour sortir officiellement du pays. Sous une fausse identité.

Le cœur de Malko battit plus vite. Si les terroristes avaient besoin de faux papiers, c’est qu’ils se préparaient à l’action.

— À quels noms ?

— Je l’ignore encore. Mais je dois le savoir demain. Par mon ami.

Malko dissimula son excitation. Cette fois, il s’approchait du but. Ces documents devaient concerner les deux terroristes chiites que le Libanais cachait chez lui. Ils étaient donc sur le point d’être « activés ». S’il arrivait à connaître l’identité sous laquelle ils voyageaient, cela permettrait de les neutraliser hors de la Sierra Leone.

— C’est très bien, dit Malko. Vous ne le regretterez pas.

Eddie Connolly écrasa sa cigarette à terre avec un sourire plein d’humilité et continua d’une voix timide :

— Vous ne m’aviez pas dit que l’on avait tenté de vous assassiner.

— Comment l’avez-vous appris ?

— Par un de mes informateurs au CID.

— Vous savez qui a fait le coup ?

Le journaliste secoua la tête.

— Pas avec certitude. On dit que c’est Karemba. Pour le compte de Karim Labaki.

Un ange passa, emporté par la brise tiède. Eddie Connolly se gratta la gorge. Mal à l’aise.

— Faites attention, vous aussi, conseilla Malko. Le journaliste eut un geste fataliste.

— J’ai déjà été menacé, dans d’autres affaires. Mais dans notre pays on n’aime pas tuer les journalistes. Je suis très connu en Sierra Leone. Même Mr Labaki doit tenir compte de cela. Le Président Momoh m’aime bien… Ici, nous avons une tradition de liberté de la presse.

Une voiture s’arrêta près d’eux et éteignit ses phares. Cette fois, le pouls de Malko ne gagna pas un battement. Eddie Connolly jeta un coup d’œil en direction de sa voiture.

— Indeed, je vais devoir vous quitter, annonça-t-il avec son urbanisme exquis. Je pense obtenir cette information demain en fin de journée. Nous pouvons nous revoir ici, vers la même heure.

— Parfait, dit Malko. Si vous l’obtenez, je vous promets une prime de deux mille dollars.

Les yeux d’Eddie Connolly cillèrent derrière ses grosses lunettes et il émit un rire un peu gêné.

— C’est une somme très importante. Je ferai de mon mieux.

Il tendit la main à Malko avant de remonter dans sa voiture.

— À demain.

Malko fit demi-tour et repartit vers Aberdeen. Il y avait maintenant des dizaines de voitures arrêtées le long de la route. Ça flirtait à tout va sur toute la plage.

Dans le hall du Mammy Yoko, les habituelles putes bayaient aux corneilles… À peine Malko était-il dans sa chambre qu’on frappa à la porte. Méfiant, il alla ouvrir, le Colt dissimulé sous une serviette. Pour se trouver nez à nez avec une somptueuse Noire, moulée dans une robe de taffetas rouge fluo.

— Bonsoir, patron, lança-t-elle avec un sourire découvrant d’énormes dents blanches de cannibale. C’est l’amour qui passe.

Et le Sida avec. C’était une Guinéenne. Le régime fou de Sekou Touré en avait poussé quatre cent mille à venir s’installer en Sierra Leone. Malko déclina poliment. Il avait hâte d’être plus vieux de vingt-quatre heures.

* * *

— Deux mille dollars ! s’exclama, choqué, Jim Dexter. Mais vous savez combien je lui donne à Eddie ? Un jerrican d’essence par semaine. Et encore, il me baise les mains.

Le chef de Station de la CIA était outré par la munificence de Malko. Il ajouta, réprobateur :

— Je dois rendre compte de mon budget, moi.

— Écoutez, Jim, fit Malko, agacé de cette pingrerie, vous avez vu ce qui m’est arrivé ? Connolly risque sa peau en nous aidant. Et vous avez un « finding » du Président des États-Unis pour vous couvrir. C’est moi, le chef de mission, et j’estime que si pour quelques milliers de dollars nous évitons une catastrophe majeure, ce n’est pas un mauvais deal.

— Pour une somme pareille, il risque de vous inventer n’importe quoi…

— Je ne crois pas, dit Malko et je vérifierai. Nous sommes assis sur une bombe qui fait tic-tac… J’aimerais bien la désamorcer.

— Et Wild Bill ? Vous avez de ses nouvelles ?

— Non, je n’ai pas besoin de lui. Pour l’instant.

Jim Dexter eut un soupir résigné.

— Espérons que Connolly va vous amener du concret.

— Nous ferons le point demain matin, dit Malko.

Il n’avait plus qu’à tuer le temps jusqu’au soir. Eddie Connolly était désormais son seul espoir, Bambé, la standardiste, étant débranchée…

* * *

Chaque fois que des phares apparaissaient à l’entrée de Lumley Beach, le cœur de Malko battait un peu plus vite. Mais aucune voiture ne s’arrêtait à sa hauteur. Il consulta sa Seiko-quartz pour la centième fois minuit et demi. Les derniers Libanais venus assouvir leur lubricité à bon marché avaient disparu. Quelques silhouettes inquiétantes rôdaient dans l’ombre de la plage, mais ne s’étaient pas approchées.

Que faisait Eddie Connolly ?

L’absence de téléphone rendait la vie difficile à Freetown… Il attendit encore un quart d’heure puis décida de retourner au Mammy Yoko. Le hall et le bar étaient déserts. Aucun message du journaliste. Même les putes étaient parties se coucher. Il ressortit, inspecta le casino Bitumani et le Leone.

Sans plus de succès.

Il commençait à être sérieusement inquiet. La perspective des deux mille dollars aurait dû faire donner signe de vie à Eddie Connolly.

* * *

Malko gagna le parking du Mammy Yoko sous une pluie battante. Une brutale averse avait fondu sur Freetown, queue de saison des pluies.

Au moment où il montait dans sa 505, un Noir surgit de la paillotte où s’abritaient les chauffeurs de taxi.

— Mr Connolly vous attend à la station Texaco, à Congo Town, dit-il.

Malko, soulagé d’un coup, lui donna vingt leones et se glissa au volant.

À l’entrée de Congo Town, il dut ralentir ; comme chaque matin, une file de voitures s’étirait le long de la station Texaco, faisant la queue pour l’essence. Tandis qu’il la contournait, un personnage étrange surgit devant son capot et il dut freiner brutalement pour l’éviter. Un krio tout de noir vêtu, comme un croquemort, avec un col cassé, une cravate et un chapeau, malgré la chaleur étouffante. L’air égaré, le vieil homme avançait en faisant des signes de croix, le regard halluciné. Émergeant d’un attroupement au pied du mur où s’étalait en énormes lettres rouges le slogan Go ! Go ! Go ! Texaco.

Intrigué, Malko se gara en face des pompes vides et joua des coudes pour fendre la foule des badauds agglutinés autour de quelque chose qu’il ne pouvait encore apercevoir. Parvenu au premier rang, il s’immobilisa, tétanisé, regrettant sa curiosité.

Un cadavre était étendu sur le ciment, entièrement nu. Il reconnut Eddie Connolly à son énorme verrue sur la pommette. Ses lunettes avaient disparu et l’état de son cadavre soulevait le cœur. Deux affreuses blessures sanguinolaient de part et d’autre de sa gorge : on lui avait tranché et arraché les deux carotides, le vidant comme un lapin…