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— Haroye doctor Labaki[35] ! Quelle bonne surprise.

— Faudrait arrêter vos conneries, gronda le Libanais en se laissant tomber dans un fauteuil.

L’Iranien ne se départit pas de son sourire huileux.

— Voulez-vous un ichai[36] ?

— Non, fit le Libanais, je veux mon pétrole.

— Il va venir… Il est en route, affirma l’iranien.

— Quand ?

Forugi eut un geste d’impuissance.

— Nous sommes en guerre avec un ennemi impitoyable, Haroye doctor Labaki. Les pétroliers ont souvent du retard.

— Cela fait deux mois qu’il devrait être là, jeta le Libanais… J’en ai ras le bol. En plus l’histoire du journaliste fait des vagues. Le Président m’en a parlé.

Hussein Forugi ouvrit les mains en un geste plein d’innocence.

— Mais c’est un de vos hommes qui s’est chargé de cette action…

Labaki faillit écraser le bureau. Le visage convulsé de fureur, il hurla :

— C’est vous qui m’avez demandé de liquider ce putain de nègre ! Parce qu’il commençait à devenir dangereux.

L’iranien battit en retraite.

— Oui, bien sûr, mais c’était dans l’intérêt de la Révolution islamique. L’imam vous en sera grandement reconnaissant.

— Je veux mon pétrole.

— Je vais tout de suite câbler à Téhéran, affirma Forugi.

Un peu calmé, Karil Labaki lui jeta un regard incisif.

— Vous connaissez une fille qui s’appelle Bambé ?

Le teint déjà pâle de l’iranien devint carrément livide. C’est d’une voix étranglée et mal assurée qu’il répondit :

— Oui. C’est… c’était une employée de la Résidence. Elle a été congédiée. Elle volait. Pourquoi ?

— Pour rien, fit le Libanais.

Certain que Forugi mentait. Ses informateurs lui avaient rapporté une rencontre qui ne lui plaisait pas du tout. Afin de verrouiller cette affaire, il allait être obligé de consentir encore un petit effort… Il se força à sourire.

— Cette fille avait de mauvaises fréquentations, expliqua-t-il, d’un ton rassurant. Du moment que vous l’avez virée, c’est OK.

Hussein Forugi fut soulagé de cette réponse. Il trempa avec volupté ses lèvres dans son thé brûlant et très sucré, le sixième de la journée, ignorant superbement la tyrannie de la sucrette chimique. Labaki ressassait ses sombres projets. Les Iraniens s’étaient arrangés pour que tout le sale boulot soit fait par ses hommes à lui… S’il y avait un problème, c’est lui qui porterait le chapeau.

Quelques meurtres ne le troublaient pas. Mais la colère du Président Momoh lui avait fait peur. Dès qu’il s’agissait de voler, les Sierra Leonais, plutôt nonchalants, devenaient d’une intelligence diabolique… C’était tentant de lui coller sur le dos une sale histoire pour le déposséder de ses biens. Ses informateurs lui répétaient sans cesse que les Américains et les Saoudiens faisaient une pression énorme sur le Président pour qu’il se débarrasse des Iraniens et de ceux qui les protégeaient.

Hussein Forugi le raccompagna jusqu’à sa Mercedes avec les plus grandes marques de respect.

* * *

Rugi avait menti elle était allée se changer. Un pantalon de soie blanche fluo moulait sa croupe callipyge et le léger pull de soie de même couleur collait à ses seins comme s’il avait été peint dessus. Une grosse ceinture soulignait la taille mince. Maquillée comme la Reine de Saba, elle pouvait rivaliser avec n’importe quelle cover-girl de New York, ou de Paris. Elle enveloppa d’un regard approbateur la chemise de voile et le pantalon d’alpaga noir de Malko. Ses yeux dorés semblaient la fasciner.

Elle le précéda au bar. Le balancement de ses hanches aurait fait bander un mort. Malko en avait la bouche sèche. Et une furieuse envie de la culbuter sur place.

— Un Cointreau, commanda-t-elle.

Le bar était presque vide, à part un bruyant équipage de la TAT arrivé de Guinée. Guignant la silhouette fluorescente de la jeune Africaine.

— Vous avez passé trois heures à vous maquiller… remarqua-t-il.

Elle fondit de joie.

— Pas du tout, je me suis juste donné un coup de crayon.

Rejetée en arrière, elle provoquait ouvertement Malko. Il avait scrupule à briser cette magie, mais, hélas, il ne se trouvait pas en Sierra Leone pour réaliser ses fantasmes.

— J’ai besoin de vous, annonça-t-il.

— Pour quoi faire ? interrogea Rugi, mi-figue, mi-raisin.

— Je voudrais revoir Bambé, avec vous.

Une lueur de furie brilla fugitivement dans les yeux de biche. C’est d’un ton glacial que Rugi lança :

— Pourquoi avez-vous besoin de moi ? Vous êtes assez grand…

Il posa la main sur les longs doigts terminés par des ongles vermillon.

— Rugi, il s’agit du business. Je veux lui demander un service. Si j’y vais tout seul, elle aura peur. Vous pouvez la convaincre. Je suis prêt à lui donner de l’argent…

— La convaincre de quoi ? demanda-t-elle, encore méfiante.

Malko lui expliqua son intention et elle l’écouta, plutôt sceptique.

— C’est bien compliqué ! conclut-elle. Elle ne va pas vouloir.

— On peut toujours essayer.

Elle ne répondit pas. Certainement décontenancée et furieuse. Regrettant visiblement de s’être parée pour le sacrifice. Il l’avait bien eue.

— OK, finit-elle par dire. Allons-y.

De nuit, les ruelles de Murray Town étaient encore plus sinistres que de jour. Une brusque averse les avait transformées en bourbier où zigzaguaient des piétons résignés, essayant de ne pas se faire écraser par les poda-poda lancés à toute allure. Rugi guidait Malko dans ce dédale obscur, encore boudeuse. Celui-ci était tendu et silencieux. Priant intérieurement pour que Bambé accepte sa proposition. Il arriva enfin devant le portail donnant sur le jardin en friche où se trouvait la maison de l’ex-standardiste.

À peine furent-ils hors de la voiture qu’une meute de chats errants s’éparpilla avec des miaulements effrayés… Il fallut tambouriner sur la porte de longues minutes pour que le battant s’entrouvre enfin.

Bambé, enroulée dans un gara, nu-pieds, accueillit Malko d’un sourire radieux qui s’effaça en partie lorsqu’elle aperçut Rugi derrière lui. Rugi lui adressa une longue phrase en créole, et elle les fit entrer dans une petite chambre en désordre.

Pas d’électricité. Une bougie éclairait mal les recoins. Bambé s’assit en tailleur sur le lit.

La présence de Rugi la mettait apparemment mal à l’aise. Elle ne cessait de lui lancer des regards interrogateurs. Rugi passa un bras autour de ses épaules et lui parla doucement. Les deux femmes semblaient plus qu’intimes et Malko se souvint qu’il y avait beaucoup de lesbiennes en Afrique. C’était peut-être cela le lien des sociétés secrètes…

Bambé finit par éclater de rire avec un regard en coin pour Malko et chuchota quelques mots à l’oreille de Rugi.

— Elle pensait que vous viendriez la voir, traduisit celle-ci. Elle a attendu tous les soirs.

— A-t-elle eu des nouvelles de Hussein Forugi ?

— Oui, il lui a envoyé des messagers à plusieurs reprises pour lui demander de revenir à la Résidence.

Malko eut l’impression de respirer une grande bouffée d’oxygène. Première hypothèse vérifiée.

— Qu’a-t-elle dit ?

— Elle ne veut pas.

— C’est tout ?

— Non, il lui semble avoir vu sa voiture rôder par ici un soir, mais elle n’est pas sûre. Toutes les Mercedes se ressemblent…

Malko dissimulait sa satisfaction. Hussein Forugi devait avoir du mal à se priver de son jouet sexuel. Dans sa position, il ne pouvait pas aller courir les putes…

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35

Monsieur le docteur Labaki.