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L’arme braquée sur le couloir, il attendit quelques secondes, entendit le bruit d’une voiture qui redémarrait. Puis le silence retomba. Comme s’ils avaient rêvé. Il se sentait idiot avec son arme braquée sur du vide. La posant une seconde, il passa un pantalon tandis que Rugi se drapait dans un gara, muette de terreur.

Malko avança dans le couloir et aperçut dans l’encadrement de la porte la tache plus claire de la nuit. Toujours personne. Rugi abritée derrière lui, il progressa jusqu’à la porte du bungalow. Elle avait été ouverte d’un coup de pied, la serrure pendait, arrachée. Seul signe de violence… Il avança encore et regarda dehors. Pas de voiture, à part la sienne. Intacte. Derrière lui, Rugi appela :

— Sheka !

Pas de réponse. Malko distingua alors une silhouette allongée dans l’ombre, près de la maison.

Rugi rentra et revint avec une lampe électrique. Le faisceau éclaira le veilleur de nuit pauvrement vêtu qu’ils avaient aperçu en entrant. Son visage n’était plus qu’une masse sanglante. Il avait reçu un projectile de gros calibre en plein front qui lui avait fait exploser la tête. Il serrait encore, dans sa main droite, son énorme gourdin…

— Mon Dieu, on l’a tué ! gémit Rugi, c’était le gardien… Ce devaient être des voleurs.

— Pourquoi ont-ils battu en retraite ?

Colt au poing, Malko scrutait l’obscurité. Cette bizarre agression avait sûrement un but. Lequel ? Pas une lumière dans les bungalows voisins. Leurs occupants devaient se terrer, terrifiés.

Rugi fit demi-tour pour revenir dans la chambre. Elle s’immobilisa soudain avec un hurlement strident qui glaça le sang de Malko. Son regard suivit le faisceau de sa lampe.

La lumière éclairait un objet posé par terre dans le couloir qu’ils n’avaient pas remarqué dans leur précipitation. Comme un morceau de réglisse, long de quelques centimètres… Malko se pencha et voulut le ramasser. Rugi l’écarta avec un hurlement terrifié.

— N’y touche pas !

Ce n’était quand même pas une machine infernale ! Malko arrêta son geste, mais comprit soudain de quoi il s’agissait.

C’était un doigt humain, tranché net. En un éclair, la vision du cadavre d’Eddie Connolly lui revint en mémoire… Il lui manquait le petit doigt de la main droite… Rugi tremblait comme une feuille. Il dut la pousser pour qu’elle consente à rentrer, rasant le mur pour passer le plus loin possible du macabre débris… De retour dans la chambre, elle lui fit face.

Détruite. Son teint était gris, ses cheveux semblaient s’être aplatis. Sa bouche tremblait, ses prunelles étaient dilatées comme celles d’une droguée.

Malko voulut la prendre dans ses bras, mais elle fit un bond en arrière.

— Ne me touche pas.

— Pourquoi as-tu si peur ?

Elle secoua la tête, murée dans sa terreur.

— Tu ne peux pas comprendre, tu es un Blanc… C’est un signal de mort. Va-t’en. Quitte cette maison, je t’en prie. Tu me mets en danger…

Malko se rhabilla. Debout dans un coin, Rugi le fixait comme s’il était le diable. Tremblante, les yeux hors de la tête. Il remit son arme dans la sacoche et proposa :

— Ta porte a été forcée. Tu ne veux pas venir avec moi au Mammy Yoko ?

— Non, je ne crains rien… Va-t’en.

Ils se toisèrent quelques instants. C’était fou, irrationnel. On ne voyait plus que le blanc des yeux de Rugi. Même son orgueilleuse poitrine semblait s’être affaissée. Ses lèvres bougeaient sans qu’aucun son ne sorte de ses lèvres. Elle avait la chair de poule en dépit de la chaleur humide qui régnait dans son bungalow non climatisé.

— Tu veux que je l’enlève ? demanda-t-il.

— Non ! N’y touche pas. Va-t’en.

Il traversa le couloir, évitant le doigt du mort, gagna sa voiture. Ce n’est que sur l’autoroute qu’il réalisa vraiment la terreur de Rugi et ce qu’il risquait. Ceux qui étaient venus avaient tué un homme juste pour déposer ce sinistre avertissement. Il scruta l’autoroute déserte à perte de vue.

Endroit rêvé pour une embuscade… Il posa le Colt à côté de lui sur le siège, verrouilla les portières. Dieu merci, il n’y avait pas de feux rouges. Il dévala Kissy Road à tombeau ouvert, puis Siaka Stevens Street, sans voir âme qui vive, piéton ou véhicule. Sa tension ne se relâcha qu’en entrant dans le parking du Mammy Yoko, dont le hall lui parut particulièrement accueillant.

Il mit la chaîne à sa porte et posa le Colt sur le lit jumeau. Encore choqué par ce qui s’était passé chez Rugi. Qu’allait-il arriver ensuite ?

* * *

Malko s’arrêta devant le bungalow de Rugi. De jour, il avait l’air encore plus minable. Il avait vainement attendu des nouvelles d’elle et s’était décidé à lui rendre visite, traversant toute la ville. Kissy Street grouillait d’animation, des chariots partout, des dizaines de marchands à même le trottoir, et ensuite l’autoroute encombrée de poda-poda, de bus et de camions surchargés.

Il traversa le jardin du bungalow. La porte était toujours défoncée. Dans le couloir, le doigt avait disparu. Il ressortit et vit un jeune Noir se balançant dans le rocking-chair, devant le bungalow voisin.

— Miss Rugi ? demanda Malko.

— Gone, not here, fit le Noir.

— Where ?

L’autre eut un geste vague, et retomba dans sa léthargie. Malko repartit vers le centre. Sans illusion.

Il fila à l’ambassade US et monta chez Jim Dexter qui écouta son récit avec attention.

— Ces types sont malins, dit-il. Une fille moderne comme Rugi est restée très plongée dans les superstitions, surtout à cause de son rôle dans les « Bondo society ». Le doigt coupé, cela signifie qu’un mort vous réclame… Non seulement vous allez mourir, mais votre âme ne trouvera pas le repos… Ces salopards font feu de tout bois. Mais ce ne sont pas les Iraniens qui ont trouvé cela…

— Où est-elle à votre avis ?

— Elle a dû aller consulter un sorcier dans son village pour qu’il entreprenne les cérémonies destinées à calmer l’âme du mort. Cela peut prendre trois jours ou trois semaines. Ne comptez plus sur elle… C’est quelque chose qu’on ne peut vaincre. En Afrique, chaque fois qu’on oublie la tradition, on se plante…

Il restait une question essentielle pour Malko. Bambé allait-elle remplir son contrat ? Rugi avait-elle eu le temps de la prévenir avant de partir ? Ses adversaires ne l’avaient-ils pas intimidée, elle aussi ?

Dans quelques heures, il allait être fixé.

Chapitre XIII

La lueur dansante de la bougie donnait aux plaques rouges semant le visage de Wild Bill Hodges l’aspect d’un camouflage. L’Irlandais, affalé dans un fauteuil, fumait un énorme cigare dont l’odeur envahissait la petite pièce. Malko et lui s’était embusqués dans un des bureaux vides de la maison de Bambé.

Contre toute attente, celle-ci n’avait fait l’objet d’aucune intimidation, accueillant Malko comme prévu ; ce dernier lui ayant expliqué que Rugi avait dû quitter Freetown, la jeune Noire avait accepté d’être prise en charge par lui. Avec un plaisir non dissimulé… Il faisait nuit depuis longtemps et l’attente commençait à user les nerfs des deux hommes. Rien ne disait qu’Hussein Forugi tomberait dans le piège tendu par Malko.

Ce dernier regarda Bill Hodges. Le mercenaire était sanglé dans une chemise de toile dont les manches retroussées découvraient ses tatouages et un jean trop serré comprimant une panse qui semblait prête à faire exploser la grosse ceinture à boucle d’argent. Les santiags noires étaient cirées impeccablement et le manche d’un poignard dépassait de la droite.