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Malko traversa le jardin, monta le perron et pénétra dans le bar. Une pièce poussiéreuse avec quelques affiches vieilles de cinquante ans… Un vieux Blanc ratatiné officiait derrière le grand comptoir en demi-lune. Unique consommateur un autre Blanc qui semblait sortir tout droit d’un roman de Somerset Maugham avec son costume clair froissé et son panama jaunâtre. Malko s’installa au bar. Trente secondes plus tard, Jim Dexter y entrait à son tour. Il semblait nerveux et se retourna à plusieurs reprises.

— Il ne faut pas rester ici, lança-t-il. La Special Branch du CID vous recherche. Sheka Songu m’a dit que vous deviez quitter la ville. Une 505 blanche est garée en face de la station Esso, à droite en sortant. Prenez-la et tâchez de gagner le Liberia. La Station de Monrovia vous aidera.

— Et Karim Labaki ?

L’Américain eut un geste fataliste.

— Tant pis. On ne peut pas faire de miracle. Les risques sont trop élevés.

Il posa les clefs sur le bar, serra la main de Malko et sortit. Cela ressemblait à l’évacuation de Saïgon. Malko avait déjà remarqué que les Américains s’affolaient facilement… Il termina sa vodka pour se donner le temps de réfléchir. Il lui répugnait de partir ainsi en laissant deux terroristes dans la nature. Mais comment entrer chez le Libanais ?

Il n’avait pas encore répondu à cette question lorsqu’il quitta le bar. Au moment où il traversait Wilberforce Street, il aperçut deux hommes sortant d’une vieille voiture. L’un d’eux était Eya Karemba, l’autre le policier du CID à la saharienne…

Hâtant le pas, il se dirigea vers la 505 blanche garée dans Johnson Street. Il engageait la clef dans la serrure lorsque les deux hommes tournèrent le coin.

Eya Karemba marchait en tête. Apercevant Malko en train de monter dans la voiture, il se mit à courir, avec des enjambées immenses… Malko hésita. Il y avait trop de passants pour une bataille rangée… S’engouffrant dans la voiture, il tourna le contact. Le moteur ronfla aussitôt, mais il était obligé de faire une marche arrière pour se dégager.

Il heurta violemment la voiture qui se trouvait derrière lui. Dans le rétroviseur, il aperçut Eya Karemba qui s’arrêtait. Tirant un gros pistolet de sa ceinture, le policier noir tendit le bras, le visant soigneusement. Son compagnon arrivait à la rescousse, lui aussi une arme à la main… Malko se souvint de ce qu’avait dit Bill Hodges. C’était un tireur d’élite. D’un coup de volant, il arracha la 505, mais comprit qu’il n’aurait pas le temps de s’éloigner.

Une détonation claqua, la lunette arrière vola en éclats, imitée une fraction de seconde plus tard par le pare-brise qui explosa à l’extérieur sous l’impact du projectile. Le rétroviseur lui renvoya l’image du policier noir l’ajustant soigneusement et il se dit qu’il allait mourir.

Chapitre XVI

Malko plongea à l’extérieur de la 505 par la portière ouverte, au moment où le second projectile tiré par Eya Karemba fracassait le rétroviseur. Il roula sur lui-même, tirant le Colt 45 de sa sacoche et l’armant du même geste.

Le policier noir arrivait en courant. Il aperçut Malko à terre et le crut blessé. Il s’arrêta et le prit dans sa ligne de mire pour l’achever.

Cette erreur de jugement sauva la vie de Malko. Il allongea le bras, visant le Noir, et tira.

Une fraction de seconde avant Karemba. Une tache rouge apparut sur le front du policier, qui éclata sous l’impact, projetant des morceaux de chair et d’os. Il tomba en arrière, appuyant sur la détente de son pistolet nickelé. Le projectile du Colt de Malko traversa son crâne, et ressortit par la nuque, emportant un bon morceau de cerveau et des débris de boîte crânienne… Malko s’était déjà relevé d’un bond. Tapi derrière une voiture, le second policier en saharienne tira et le manqua. Malko plongea au volant de la 505. Des gens couraient dans tous les sens ; au contraire, des enfants s’approchaient, intrigués par les coups de feu. Malko tira au jugé, à travers les débris de la lunette arrière.

Effrayé, le policier en saharienne s’abrita derrière une voiture en stationnement, permettant à Malko de prendre du champ. Zigzaguant dans la circulation, il atteignit le carrefour de Rawdon Street. Une balle fracassa le coffre qui s’ouvrit. Presque aussitôt, une odeur d’essence se répandit dans la 505. Le réservoir était touché…

Malko remonta Rawdon Street, et tourna dans Siaka Stevens, filant vers le palais de Justice. Personne ne le suivait, mais sa voiture attirait l’attention, avec son coffre ouvert, son pare-brise et sa lunette arrière en miettes. Heureusement qu’on était en Afrique… Alors qu’il atteignait le cotton-tree, il y eut un « plouf » sourd à l’arrière de la 505. Des flammes rouges jaillirent de sous la voiture.

Malko écrasa le frein et s’éloigna en courant. Il n’avait pas parcouru cent mètres dans Pademba Road qu’une explosion secoua le quartier. Il se retourna : une colonne de fumée noire montait de Siaka Stevens. Les gens se précipitaient vers le lieu de l’explosion, ne lui prêtant aucune attention. Il ralentit sa course, en proie à des pensées pas vraiment gaies.

La CIA ne lui fournirait pas un second véhicule et il avait abattu un policier du CID. Même si ce dernier agissait pour le compte de Karim Labaki, le Libanais… Malko allait se faire tirer à vue. Il revit le cadavre horriblement mutilé d’Eddie Connolly et ne regretta pas son coup au but. Mais les vrais problèmes commençaient. Pademba Road lui paraissait interminable et sa chemise était collée à ses épaules par la transpiration.

Bill Hodges allait être déçu : le problème n’était plus d’attaquer Karim Labaki, mais de sortir vivant de Freetown.

* * *

Dans les moments graves, Wild Bill Hodges retrouvait tout son calme. Mâchonnant une allumette, il avait écouté le récit de Malko sans se troubler. Kofi, le Ghanéen, était invisible et ils se sentaient en sécurité dans la pièce aux volets clos. La Range Rover avait disparu… À l’abri. Dans une ville où il n’y avait ni taxis ni voitures de location, ce n’était pas une situation d’avenir…

— Il faut trouver une voiture, dit Malko. L’irlandais approuva chaudement.

On va en voler une…

— Où ?

— Devant le Gem. Il y a toujours des types qui viennent changer de l’argent chez le Libanais. Ils laissent leur voiture en double file, avec la clef dessus. J’y vais. Vous êtes trop repéré. Attendez-moi ici… Et empêchez cette salope de Yassira de se tirer.

Yassira baissa la tête. Son visage tiré rappelait ses ébats amoureux de la nuit. Quant à Bambé, occupée à peler des oranges pour préparer du jus, elle semblait vivre tout ça très bien. Wild Bill ne garda que son vieux parabellum et disparut avec une audace incroyable… Malko le vit monter dans un poda-poda qui passait. Priant pour qu’il ne se fasse pas coincer.

Il compléta le chargeur du Colt 45. Pensant à la tête éclatée de Karemba. On commençait à régler les comptes. Le tueur du Libanais et Hussein Forugi avaient payé. Maintenant, il devait s’attaquer aux terroristes.

* * *

— On y va !

Bill Hodges avait surgi, en haut de l’escalier, congestionné, couvert de sueur. Il regarda autour de lui. Yassira avait disparu. Malko ne s’en était même pas rendu compte.

L’irlandais vira au violet.

— Où est-elle, cette salope ?

— En bas, fit Bambé. Elle ne veut pas partir…

Wild Bill dégringolait déjà l’escalier. Ce n’était vraiment pas le moment de faire des scènes de ménage… Malko rattrapa l’Irlandais au moment où celui-ci s’apprêtait à dévisser la tête de Yassira et les sépara. Écarlate, l’Irlandais n’abandonnait pas ses mauvaises intentions.