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— Trois Blacks, chef. Pas bons.

Il lui glissa un billet dans la main.

— Merci, Ariette. Si tu vois Charlie, dis-lui qu’il aille à La Créole et qu’il n’en bouge pas. Je vais essayer de le dénicher.

Il repartit en courant jusqu’à sa voiture, suant d’angoisse. Il devait retrouver Charlie le premier. Avant de démarrer, il sortit son Walter PPK de sous sa chemise, fit monter une balle dans le canon, mit le cran de sûreté et le coinça entre les deux sièges, invisible de l’extérieur. Son front dégoulinait de transpiration et ce n’était pas seulement dû à la chaleur moite de Treichville.

* * *

Charlie émergea du Tropical, une disco aux trois quarts vide et se retourna. Les trois Noirs devant qui il fuyait étaient en train d’explorer la boîte précédente. Toute la soirée, ils avaient joué à un terrifiant jeu de cache-cache. Devant Charlie, c’était l’obscurité. Le Tropical était le dernier dancing. Il se dit que ses poursuivants allaient peut-être faire demi-tour et fonça vers l’extrémité de l’avenue de la Reine Pokou. Il n’osait pas s’aventurer dans les rues désertes. La lumière et les gens étaient sa meilleure protection. Il maudissait sa malchance. Si le Babiya n’avait pas été fermé, il serait en sécurité.

Il s’arrêta soudain et s’accroupit derrière un marchand mauritanien qui semblait empaillé devant son lumigon, les yeux mi-clos, au coin de la rue 21. Ses pistaches n’attiraient personne. Il jeta un bref coup d’œil à Charlie mais ne broncha pas. Une odeur de pourriture montait du profond caniveau où pullulaient des rats énormes.

Des halètements venant de l’ombre derrière lui firent sursauter Charlie. Il distingua un couple appuyé à un mur en ruines. La fille avait remonté sa mini jusqu’aux hanches et caressait rapidement la hampe énorme de son client, debout en face d’elle. Un grand Blanc costaud, le pantalon sur les chevilles. Ils s’interrompirent pour un bref conciliabule. Puis l’homme la retourna brutalement. Après un bref tâtonnement, Charlie vit le membre disparaître d’un coup entre les fesses de la Noire. Celle-ci poussa une sorte de rugissement aussitôt étouffé. Son partenaire l’avait prise aux hanches et la pistonnait fébrilement comme s’il voulait l’enfoncer dans le mur.

Charlie, malgré sa situation, sentit son ventre le brûler devant cet érotisme primitif et violent. Près de lui, une petite fille, accroupie à côté du Mauritanien, regardait fixement le spectacle.

Le Blanc en voulait pour son argent. Il avait ralenti son rythme et violait les reins avec plus de lenteur.

Charlie tourna la tête, puis essuya ses mains moites à ses cuisses. Il n’en pouvait plus de cette traque. Heureusement qu’il avait repéré les trois types qui l’attendaient devant le Babiya. Il fallait absolument qu’il arrive à La Canne à Sucre ou à La Créole. Son « traitant » y passerait sûrement. Mais, pour cela, il devait s’aventurer dans le coupe-gorge des rues sombres ou trouver un taxi.

Il guetta les voitures. Pourvu qu’Ariette ait transmis son message. Sa gorge se noua. Les trois Noirs venaient d’émerger du Tropical. Ils hésitèrent, puis, au lieu de retourner sur leurs pas, avancèrent droit vers la zone où il se trouvait. Ils ne se pressaient pas… regardant autour d’eux soigneusement, enjambant les gens allongés sur le trottoir en les examinant au passage.

Le Mauritanien tourna légèrement la tête vers Charlie. Il avait vu les trois hommes et compris.

— Va-t-en, laissa-t-il tomber.

Il ne tenait pas à mourir pour un étranger. La terreur dans les yeux de Charlie le fit néanmoins fléchir. Il posa la main sur la tête de la fillette.

— Suis-la, elle va te conduire quelque part.

Il lui adressa quelques mots à voix basse, mais la fillette ne bougea pas. Toujours fascinée par le Blanc en train de défoncer la pute. D’interminables secondes s’écoulèrent et l’homme explosa enfin dans les fesses de sa partenaire avec un grognement sauvage.

La fillette se leva alors, se retourna vers Charlie :

— Tu viens ?

Charlie ne répondit pas. Muet de terreur. Les trois Noirs n’étaient plus qu’à quelques mètres. Il était paralysé comme un lapin devant un serpent cracheur. Dès qu’il se relèverait, ils le verraient.

Soudain, derrière eux, il distingua une 505 blanche qui s’approchait lentement.

Stanley !

D’un bond, il quitta l’abri du Mauritanien et courut vers la voiture.

* * *

— Hé, la belle mousso[7] !

Un Blanc ivre de vin de palme qui titubait sur le trottoir, en face du Tropical, s’était immobilisé, le regard allumé par la croupe ronde de Charlie le travesti moulée dans une mini de satinette noire.

L’informateur de Stanley Parker courait maladroitement sur ses hauts talons vers la 505, se dandinant d’une façon involontairement provocante. La lumière crue des néons soulignait le maquillage outrancier de son visage, ses faux cils et sa bouche violette. Sa poitrine, gonflée aux hormones, ballottait sous le T-shirt orange. Charlie arriva à la hauteur du conducteur de la 505. Ses traits se figèrent. Ce n’était pas Stanley Parker mais un petit Blanc à lunettes, les manches retroussées, le visage fermé, la gueule méchante. Il jeta un regard méprisant par la glace ouverte.

— Alors, la mousso, on drague ?

— Patron, dit Charlie d’une voix suppliante, laissez-moi monter avec vous.

Le Blanc haussa les épaules :

— Ça va pas non ? Tire-toi, j’ai pas envie d’aller à l’hôpital…

Il ne pouvait pas accélérer, à cause des gens au milieu de la rue. Charlie se retourna vers les trois silhouettes qui marchaient sur lui. De nouveau, il supplia :

— Patron, il faut juste que je parte d’ici, il y a des types qui veulent me faire du mal. Laissez-moi monter.

— Arrête tes salades, ricana le Blanc.

Désespéré, Charlie essaya d’ouvrir la portière arrière. Au moment où il mettait la main sur la poignée, il y eut un claquement sec à l’intérieur. Le Blanc venait de verrouiller les quatre portières. Il profita d’une trouée pour foncer, laissant Charlie planté au milieu de la chaussée, la petite fille à côté de lui. Les trois Noirs arrivaient, déployés. Des jeunes en jeans et T-shirt, le crâne rasé.

Charlie fonça vers le Tropical. Un des trois Noirs lança une interjection en bambara et aussitôt, le videur repoussa violemment Charlie.

La petite fille l’appela :

— Viens !

Charlie se mit à courir, perdant un de ses escarpins. Au moment où il rejoignait la petite fille, un des trois Noirs l’intercepta. Il le saisit par le poignet, le projetant contre un mur où il s’écrasa, le souffle coupé.

Le second Noir arriva droit sur lui, silencieux comme un fauve. De la main gauche, il lui rejeta la tête en arrière. De la droite, il l’égorgea d’un seul coup de poignet, lui ouvrant la gorge d’une carotide à l’autre. Deux jets de sang jaillirent à près d’un mètre. Le cri de Charlie dura une demi-seconde avant de se transformer en un horrible gargouillement étranglé, couvert par la musique du Tropical.

La petite fille, terrifiée, voulut s’enfuir et se heurta au tueur. Celui-ci l’écarta d’un geste brutal. Comme il tenait encore son rasoir, la lame s’enfonça profondément dans la gorge de la fillette. Elle essaya d’arrêter le sang avec ses doigts, avant de s’effondrer, agonisante.

Tandis que Charlie glissait le long du mur, encore secoué de spasmes, le troisième Noir, un petit trapu au crâne ovoïde, fourragea des deux mains sous la jupe de satinette. Dans sa main droite, il avait lui aussi un rasoir. Taillant dans le nylon et la chair, il trouva le sexe et les testicules, les emprisonna dans sa main gauche et les trancha net de la droite, jetant le tout sur le moribond.