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Ils firent l’échange. Avec un sourire mauvais, Bill Hodges enfonça le canon du 45 dans le cou du Libanais, lui tordant son bras valide derrière le dos. Malko s’était approché de la porte. Collé au mur, il cria :

— Nous allons sortir avec Mr Labaki. Dégagez le hall. Au premier coup de feu, il prendra une balle dans la tête.

Pas de réponse. Il se retourna vers le Libanais.

— Confirmez-leur. En anglais et en arabe…

Le Libanais se gratta la gorge et lança un appel. Terminé par une version créole. Il tenait à sauver sa peau… Dans le hall, il y eut tout un remue ménage. Malko attendit quelques instants et s’y glissa le premier, riot-gun au poing. Personne, sauf un mort – un Palestinien – et des traînées de sang un peu partout.

Il traversa le hall en courant, arrivant à la porte donnant dans la cour. Abrité, il aperçut des têtes qui dépassaient de tous les coins. La grille était fermée et une Range Rover stationnée devant la bloquait… Il fit le tour des possibilités. La falaise était inaccessible. S’ils s’enfuyaient à pied dans le bois de Hill Station, ils seraient extrêmement vulnérables. Il regarda vers le garage, aperçut, devant les Mercedes, un camion tout neuf, un neuf tonnes Leyland.

Revenant à l’intérieur, il vit, debout dans une embrasure, le secrétaire libanais qui contemplait avec horreur son patron tenu en respect par Bill Hodges. Il avait le visage en sang, suite au coup de crosse de l’Irlandais.

— Je vous en prie, balbutia-t-il, ne faites pas de mal à Mr Labaki. C’est un homme si bon.

— Cela dépend de vous, fit Malko sautant sur l’occasion. Je veux que tous les soldats dégagent. S’il y a une bavure, il mourra le premier.

— Mais où allez-vous ? Vous ne pourrez jamais sortir…

— C’est mon problème, coupa Malko, faites ce que je vous dis.

Le secrétaire traversa le hall, rejoignit un officier du SSD[42] et commença à parlementer… Toute l’armée sierra léonaise était là…

Malko croisa le regard de Bambé. Ravie. À peine inquiète. Inconsciente du danger, la jeune Noire suivait calmement. Il se maudit de l’avoir entraînée dans cette galère…

Le secrétaire réapparut, essoufflé.

— Ça y est ! Vous pouvez sortir. Personne ne tirera.

Karim Labaki intervint brutalement en arabe. Le secrétaire ponctua ses réponses de aiwa[43]. Apparemment le Libanais n’avait qu’une confiance modérée dans les Noirs. Nouvel aller-retour. Cette fois, c’était bon. Malko sortit dans la cour, dans un silence impressionnant et se dirigea vers le camion.

Bill progressa dans le hall, prêt à sortir à son tour.

Malko ouvrit la portière du camion et s’installa au volant. La clef était sur le contact. Il mit en route, recula et vint se garer sous l’auvent. De sa cabine, il apercevait les soldats planqués un peu partout. Il y en avait même dans la piscine… dont seule la tête était visible. Pourvu que l’un d’entre eux ne veuille pas faire du zèle ! Ce serait le massacre. Dont ils ne réchapperaient pas… Se penchant, il ouvrit la portière du camion, apercevant Bill et son prisonnier dans l’ombre du hall.

— Bill ! Venez. Sans vous presser.

L’Irlandais sortit avec lenteur, précédé de Bambé et collé à Karim Labaki. Il lui fallut d’interminables secondes pour atteindre le camion où il fit grimper le Libanais. Ce dernier heurta sa main blessée et poussa un hurlement, vacillant sur ses jambes. Le cœur de Malko grimpa à 160 pulsations. Tout s’arrêta. Puis la tension redescendit. Karim Labaki se traîna dans la cabine. Il sentait mauvais. Bill grimpa à son tour et s’accroupit, invisible de l’extérieur. On ne voyait de lui que son bras gauche avec le Christ en croix prolongé par le gros pistolet, le canon planté dans la gorge du Libanais. Bambé se faisait toute petite entre Malko et Labaki.

— Accrochez-vous ! dit Malko.

Passant la première, il écrasa l’accélérateur. Le lourd véhicule bondit en avant. Son pare-chocs heurta d’abord l’arrière de la Range Rover. Une fraction de seconde plus tard, il faisait voler en éclats le portail. Malko allait si vite qu’il manqua basculer dans le ravin d’en face. Il freina, puis effectua une courte marche arrière. Par la vitre ouverte, il entendit le secrétaire qui s’égosillait.

— Don’t shoot ! Don’t shoot !

Les soldats ne bronchèrent pas.

Malko se lança dans le chemin étroit menant à station Hill Road. Au passage, il aperçut des véhicules militaires, des soldats, deux Palestiniens avec un RPG 7. Ils épaulèrent mais ne tirèrent pas en voyant la tête de leur patron… Arrivé à la route principale, Malko hésita. À gauche ? À droite ?

Bill intervint :

— Prenez à droite, vers le village de l’OUA.

— Et ensuite ?

— Il faut s’éloigner de Freetown. La route de Lakka est une impasse. Nous devons essayer de suivre la Sierra Leone jusqu’au pont de Forodugu sur la rive sud et ensuite filer vers le nord, la Guinée.

— C’est loin ?

— Sept ou huit heures.

— Et le Liberia ?

— On ne passera jamais. Les pistes sont encore impraticables, à cause de la saison des pluies…

Bambé poussa tout à coup un cri.

— Des soldats !

Un barrage. Malko ralentit. Une douzaine de militaires. Heureusement, ils n’avaient ni herse, ni véhicules. Ils ne devaient pas rechercher un camion, car ils baissèrent leurs armes comme le véhicule s’approchait… Le Libanais murmura :

— Ne faites pas de conneries.

Malko vit un visage noir contre la glace et écrasa l’accélérateur. Les soldats disparurent. Il bouscula une jeep, entendit une pétarade de coups de feu. Ils vidaient tous leurs chargeurs. Pourvu que le réservoir ne soit pas touché… Ni les pneus. Les dents serrées, il maintenait le lourd véhicule en ligne. Encore quelques coups de feu. Un virage approchait. Ensuite, ils seraient à l’abri. Il s’engageait dedans quand il entendit Labaki pousser un cri.

Il crut l’avoir heurté et tourna la tête vers le Libanais. Il eut un choc. Un épais filet de sang coulait de sa bouche. Lentement, sa tête tomba sur l’épaule de Bambé qui poussa un hurlement d’horreur. Bill prit le Libanais à bras-le-corps, le faisant basculer en avant. Malko aperçut alors un trou dans son dos, où s’élargissait une tache de sang. La lunette arrière du camion était brisée. Probablement un tireur embusqué dans un arbre. Déjà, le Libanais ne respirait plus… Il avait reçu le projectile en pleine aorte et était mort sur le coup. Hill le regarda avec un dégoût non dissimulé.

— Quel dommage ! fit-il. J’aurais tellement aimé lui trancher la gorge. Arrêtez-vous, on ne va pas garder cette charogne avec nous.

Malko stoppa sur le bas-côté. L’Irlandais arracha le cadavre de Labaki de la cabine, le jeta dans le fossé, puis remonta, guilleret.

— Au moins, on a de la place, fit-il jovial.

La route s’était rétrécie, sinuant au-dessus des collines dominant Kissy, le quartier à l’est de Freetown. Au loin, on apercevait la rivière et le bras de mer. Les barrages ne devaient pas s’étendre aussi loin. L’armée manquait de véhicules et de transmissions. Mais ils avaient à parcourir des centaines de kilomètres, recherchés par toutes les autorités. C’était déjà un miracle qu’un seul projectile ait atteint la cabine.

— Par où allons-nous passer ? demanda-t-il.

— D’ici une vingtaine de kilomètres nous allons rejoindre la route qui longe la Sierra Leone, vers Occra Hills. Il n’y a qu’un seul pont à Forodugu. Après, c’est tout droit, plein nord vers la Guinée. On passera la frontière vers Kambia… Ensuite, c’est la belle vie.

Le camion s’était mis à cahoter horriblement. Bill continua :

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42

Special Security Department.

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43

Oui en arabe.