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— Restons sur les collines. Il y a peut-être des barrages à la sortie de la ville, jusqu’à Waterloo…

— Mais ce pont, dit Malko, il va être gardé.

— Il y a des chances. C’est le point de passage obligé pour Lungi Airport…

— Il n’y en a pas d’autre ?

— Non. On pourrait trouver un pêcheur, mais ensuite, il faut continuer à pied…

— Et en partant vers l’est ?

— On y sera encore dans trois mois. Les pistes sont pourries.

Les cahots firent taire la conversation. Malko broyait du noir. Leur équipée risquait de s’arrêter au pont de Forodugu… Une demi-heure plus tard, ils débouchèrent sur une route goudronnée avec à peine quelques trous. Un vrai miracle… Ils prirent à droite. Quarante kilomètres plus loin, c’était le pont… L’Irlandais demanda soudain :

— Vous sentez pas quelque chose de bizarre ?

Une odeur de caoutchouc brûlé.

— Shit, nous avons crevé…

Malko stoppa progressivement. Ils mirent pied à terre. La roue avant gauche était à plat. Une balle ou un caillou. En Afrique, c’était courant… Bill fit le tour du camion, cherchant la roue de secours. Invisible. Il commença à jurer tout ce qu’il savait… La route était bordée de chaque côté de hautes herbes à éléphant qui cachaient le paysage plat. Un poda-poda les doubla, disparaissant sous des passagers accrochés à toutes les aspérités de la carrosserie.

Puis un cycliste, très digne, leur demanda s’ils avaient besoin d’aide. Ils le rassurèrent.

Bill Hodges s’était immobilisé à l’arrière du camion. La roue de secours était dessous. Toute neuve. Mais il fallait ouvrir les portes arrière pour défaire la barre qui l’empêchait de tomber à terre. Or, elles étaient fermées d’un énorme cadenas… Ils attendirent que le cycliste ait disparu. Malko remonta dans la cabine. Aussitôt, Bambé, les yeux brillants, lui montra un sac de toile.

— Regarde ce que j’ai emporté.

Dans le sac, il y avait des petits animaux en ivoire, un cendrier en cuivre repoussé absolument hideux et un brûle-parfum en argent ajouré dont n’aurait pas voulu une vente publique… Mais la Noire était ravie de ses petits larcins. Elle n’avait même pas pensé à vider le coffre. Du fond du sac, elle tira un gros flacon de parfum, piqué dans la salle de bains et le renifla avec amour.

— Pour toi, je vais me faire comme une Blanche, dit-elle.

Touchant.

La détonation sèche du Colt fit sursauter Malko. Il descendit. Les portes arrière du camion étaient ouvertes. Wild Bill Hodges contemplait l’intérieur avec une expression d’ahurissement total. Il fit le signe de croix, murmurant entre ses dents.

— Nom de Dieu de bordel de merde !

Ce qui pouvait passer pour une invocation au Seigneur. Malko le rejoignit. Intrigué et alarmé. Que pouvait contenir leur camion qui mette l’irlandais dans cet état ?

Chapitre XVIII

Malko crut d’abord que le camion dont ils s’étaient emparé transportait une cargaison de vieux papiers. Puis leur couleur lui fit réaliser la vérité c’étaient des billets de banque.

Des mètres cubes en liasses de billets de deux et de vingt leones, ficelés avec des élastiques, enveloppés dans du plastique. Même au cours de la monnaie sierra-leonaise, il y en avait pour une fortune… Malko échangea un regard avec l’Irlandais. Ce dernier éclata d’un rire nerveux.

— Ça, c’est le plus beau ! On est partis avec le coffre-fort de ce salaud de Libanais.

— Mais pourquoi dans un camion ?

— Il se préparait sûrement à une grande tournée en brousse pour acheter du diamant de contrebande. Ils veulent être payés en cash. Il y en a là-dedans plus que dans toutes les banques de Freetown. Voilà pourquoi on ne trouve plus de billets…

Malko contemplait la masse de billets, pensif. Il aurait préféré un hélicoptère… Dans cette brousse perdue, cette fortune ne servait à rien… Un camion les doubla avec un coup de klaxon joyeux. S’ils avaient connu la nature de la cargaison, les malheureux accrochés à ses ridelles les auraient pris d’assaut… Bill Hodges avait commencé à dégager la roue de secours. Malko examinait le chargement. C’est ce matelas qui avait arrêté les rafales tirées sur eux. On distinguait nettement les sillons creusés dans les liasses…

Bambé accourut à son tour et poussa un cri stupéfait :

— C’est de l’argent, tout ça !

Elle grimpa et se saisit d’un sac de plastique qui devait contenir quelques centaines de milliers de leones.

— Je peux le prendre ?

Malko ne put s’empêcher de rire. Elle le serrait déjà contre son cœur, avec un regard inquiet.

— Bien sûr, dit-il. Mais tu as le temps…

Inquiète quand même, elle emmena le sac de billets dans la cabine du Leyland.

Jim Hodges en train de se battre avec le cric adressa un coup d’œil ravi à Malko.

— Ça va peut-être nous aider à franchir le pont de Forodugu, dit-il.

Malko regarda les herbes hautes autour de la route. La chaleur était écrasante. Il se demanda si l’alerte donnée par Jim Dexter allait suffire à éviter le détournement.

* * *

— Ah, ça commence !

À la sortie du village de Mabora, il y avait un barrage. Trois soldats. Ils arrêtaient les véhicules dans les deux sens. Nonchalant et souriant, l’un d’eux s’approcha :

— Bonjour, vous allez où ?

— À Longi, répondit Bill Hodges. Et on est pressés.

L’autre hocha la tête.

— Ah bon. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?

— Je ne sais pas, fit l’Irlandais. C’est le patron qui a fermé…

Il avait remis le cadenas avec des fils de fer… Sans attendre la réponse du Noir, il tendit une liasse de billets empruntée au sac « confisqué » par Bambé… L’autre salua et prit les billets.

— C’est bien. Vous pouvez aller.

Un autre soldat leva la barrière. Malko remarqua :

— Ça n’a pas l’air trop difficile.

L’Irlandais secoua la tête.

— Ici, oui. Mais ce sont des locaux. Ils n’ont pas de radio. Ceux du pont sauront qui nous sommes…

Ils repartirent, zigzaguant entre les trous du bitume, dans la poussière brûlante. Peu de circulation, à part quelques poda-poda. Malko avait l’impression d’être parti depuis des jours. Bambé ne quittait pas son tas de billets des yeux… Les herbes à éléphants disparurent et ils aperçurent sur leur gauche un marécage et une rivière aux eaux marron.

— Voilà la Sierra Leone, le pont est dans deux kilomètres, annonça Bill Hodges.

Il roula encore un peu et, juste avant une courbe, freina puis stoppa sur le bas-côté.

— Qu’est-ce que vous faites ? demanda Malko.

— Je vais aller voir ce qui se passe au barrage. Si nous arrivons avec le camion, ils risquent de nous tuer pour en garder le contenu. Il va falloir négocier… Ça je sais faire.

— Et si cela se passe mal, qu’ils vous gardent ?

Bill Hodges eut un geste fataliste.

— Vous me laissez tomber. Vous revenez sur vos pas. Un peu plus loin, il y a un village de pêcheurs. Ils ont des barques et pour quelques leones, ils vous feront franchir la rivière. Ensuite, il faudra trouver des poda-poda jusqu’à la frontière de Guinée.

Un poda-poda croulant sous les passagers et les bagages s’approchait. Bill Hodges leva le bras et il s’arrêta. L’irlandais réussit à se caser sur une banquette déjà bondée et l’engin redémarra dans un nuage de fumée bleue.

Bambé couvait des yeux son sac de billets.

— C’est une grande ville, Conakry ? demanda-t-elle.