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L’herbe à éléphants défilait de chaque côté de la route qui s’était transformée en piste de latérite. Ils croisaient de moins en moins de véhicules. Ils avaient dépassé une dizaine de villages, sans rencontrer aucun barrage… Malko conduisait le plus vite possible, zigzaguant entre les trous.

Un panneau apparut… Slow down. Border.

Bill Hodges s’agita, nerveux, caressant le riot-gun. Des cases sur la gauche, puis une esplanade, avec des baraquements. La douane, des policiers, des soldats. Trois véhicules attendaient déjà. L’un d’eux avait toute sa cargaison par terre.

— Oh là, là ! fit l’Irlandais, je n’aime pas ça. Ils ont faim, ici. Ils vont nous faire ouvrir. Et s’ils voient ce qu’on transporte, on est bons…

— Qu’est-ce qu’on fait ?

— Vous voyez la barrière là-bas ? De l’autre côté, c’est la Guinée. Foncez au dernier moment. Maintenant, appuyez vers la droite, comme si vous alliez vous arrêter.

Malko s’exécuta. Les douaniers lui firent signe de stopper. Il leur sourit et accéléra brusquement, traversant la place dans un nuage de poussière. La barrière – un simple poteau de bois – se cassa comme un fétu de paille sous le pare-chocs du Leyland. Dans le rétro, Malko vit des gens courir dans tous les sens, des soldats qui se précipitaient dans une jeep. Bill Hodges ricana.

— De toute façon, ils ne peuvent rien faire. Nous sommes déjà en territoire guinéen.

Ils traversèrent le no man’s land et débouchèrent dans ce qui semblait être un cimetière de voitures… Un minuscule poste de douane et de police.

— Ici, je les connais, annonça l’irlandais. Pas de problèmes.

Il descendit du camion et fila vers la baraque en bois qui abritait la police. Malko attendit, moteur en route. Bambé ouvrit de grands yeux effrayés.

— Ils ne vont pas nous mettre en prison ? demanda-t-elle.

Bill Hodges revint cinq minutes plus tard, radieux. Il remonta dans le camion.

— On y va. Ici, ce sont les dollars qui marchent…

Un soldat en guenilles leva l’inévitable barrière de bois et ils pénétrèrent en Guinée… La route n’était pas meilleure, mais il n’y avait aucune circulation. Après trente ans de marxisme avec Sekou Touré, le pays était saigné à blanc… Dans deux heures ils seraient à Conakry et Malko retrouverait la civilisation et la CIA.

* * *

Les contours violets du massif montagneux du Fouta Djalon occupaient tout l’horizon à l’est de la piste menant à Conakry. Bambé et Wild Bill somnolaient. Ils n’avaient pas croisé un véhicule en une heure. La piste défoncée sinuait au milieu d’une savane maigre parsemée de villages qui semblaient abandonnés. Pas de boutiques, pas cette animation habituelle de l’Afrique… La Guinée était sinistrée. Le nez sur la route, Malko se demandait comment il allait parvenir à Abidjan. Il ne serait tranquille qu’une fois certain que l’alerte y aurait été donnée. Le Fouta Djalon, qui ne mesurait pourtant que mille mètres, semblait de plus en plus envahissant, mangeant tout l’horizon… Bill s’ébroua.

— On n’est plus loin.

Effectivement, après un contrôle de police, un ruban asphalté superbe, en bon état, remplaça la piste. Ils se traînèrent longtemps dans les faubourgs de Conakry avant de se trouver en face de l’hôtel Independance, le seul de Conakry… Bambé ouvrait des yeux immenses devant les vitrines.

— Qu’allez-vous faire ? demanda Malko à Bill Hodges.

L’irlandais sourit.

— Si vous me laissez le camion, je repars…

— Où ?

— Acheter des diamants. Moi aussi je connais les coins, mais je n’avais pas l’argent…

— Vous allez retourner en Sierra Leone ?

L’Irlandais haussa les épaules.

— Je ne passerai pas par la piste principale. En Afrique on peut toujours s’arranger, surtout avec un tel tas de pognon…

— Le camion est à vous, dit Malko.

Le mercenaire irlandais l’avait bien mérité.

— OK, dit Bill. Dans ce cas, je vais dormir dedans… Je n’ai pas envie de me le faire piquer.

Le hall de l’Independance grouillait d’hommes d’affaires de tous les pays. La Guinée repartait. Malko prit une chambre pour Bambé et lui et se jeta sur le téléphone. Tandis que la sonnerie grelottait, il avait du mal à maîtriser les battements de son cœur.

On décrocha et une voix annonça :

— Ici, l’ambassade des États-Unis.

— Passez-moi Mr Mac Bain, fit Malko. De la part de Jim.

Trente secondes plus tard, il avait en ligne le chef de Station de la CIA à Conakry. Qui semblait tout aussi anxieux que lui.

— Où êtes-vous ? Nous avons reçu le message annonçant votre possible arrivée hier soir.

— À l’Independance, fit Malko.

— Holy God ! fit l’Américain, je pensais que vous ne pourriez jamais franchir la frontière. J’ai capté la radio de Freetown. Ils vous recherchent comme des fous là-bas.

— Et Abidjan ?

— Ils sont prévenus. Relax. J’ai fait venir un jet privé qui va vous y emmener demain matin. Il n’y a pas d’avion régulier. Avez-vous besoin de quelque chose ?

— De dormir et de prendre une douche, dit Malko.

— OK, je vous donne le numéro de chez moi, mais attention, le téléphone fonctionne mal. Je passerai vous voir à l’hôtel tout à l’heure…

Malko raccrocha. Indiciblement soulagé. Tout cela n’avait pas été inutile. Les deux terroristes chiites allaient débarquer en terrain miné… Bambé l’observait avec une drôle d’expression. Une petite fille devant un magasin de jouets.

— Je voudrais que tu me donnes de l’argent, fit-elle. Il y a tant de belles choses ici… Tu as vu ces magasins… Même dans l’hôtel.

Malko lui tendit une poignée de billets de cent dollars qu’elle prit, émerveillée, avant de disparaître… Encore une heureuse. Il se déshabilla et se jeta sous la douche anémique. L’air conditionné ne marchait pas.

En dépit des assurances de Mac Bain il avait hâte d’être à Abidjan. Il se méfiait de la ruse des Iraniens.

* * *

Tous les hommes présents dans la salle à manger de l’Independance posèrent leurs couverts en même temps, les yeux fixés sur la porte. Bambé était resplendissante. Une princesse d’ébène. Une robe noire très ajustée moulait son corps admirable comme un gant, elle avait mis des bas sur sa peau sombre et marchait difficilement sur des escarpins de douze centimètres. Mais le plus étonnant était sa voilette accrochée à un petit chapeau. Sa grande bouche peinte en carmin luisait dessous comme un phare érotique. Même ses talons hauts n’empêchaient pas le balancement de ses hanches, plus sensuel que jamais…

Elle se laissa tomber à la table de Malko.

— Est-ce que je suis belle ?

Wild Bill avait les yeux hors de la tête. À la table voisine, un Japonais solitaire faillit s’enfoncer sa fourchette dans l’œil. Bambé croisa les jambes dans un crissement de nylon. Malko vit que l’un de ses bas s’était détaché… Tranquillement, elle releva sa robe sur sa cuisse charnue et le rajusta.

— C’est la première fois que j’en mets, expliqua-t-elle, ils m’ont montré dans la boutique, mais c’est difficile…

Ses seins pointus semblaient prêts à crever la soie. Ses ongles avaient été faits et elle s’était trempée dans du parfum. Malko leva son verre de château-margaux.

— Tu es absolument superbe !

Elle eut beaucoup de mal à manger avec la voilette, refusant obstinément de la relever. Elle croisait et décroisait tout le temps les jambes, ce qui produisait une suite de crissements d’un érotisme délicieux. Les serveuses en boubou, effarées, ne la quittaient pas des yeux.