Derrière eux, un grand panneau rappelait aux passagers de n’accepter sous aucun prétexte un paquet d’un inconnu. Les passagers faisaient la queue devant le portique magnétique checkant leurs bagages à main et les objets métalliques qu’ils pouvaient avoir sur eux. La sensibilité de l’appareil avait été réglée au maxima et la sonnerie se déclenchait sans arrêt, pour quelques pièces de monnaie.
Derrière les policiers ivoiriens, deux civils blancs veillaient à ce qu’il n’y ait aucune faille dans le dispositif.
— Certaines grenades n’ont pas assez de métal pour déclencher l’appareil, remarqua Malko.
— Exact, reconnut Stanley Parker. Aussi nous avons un second contrôle manuel par des gens à nous effectué au bas de la passerelle. Cela retarde l’embarquement, mais ça vaut la peine.
— Et les bagages de soute ?
— Ils ont été passés aux rayons X. Et ils sont reconnus par leurs propriétaires avant d’être mis en soute. Je peux vous garantir que personne ne monte à bord avec une arme. Même avec une lime à ongles.
— Qui y a-t-il comme passagers ?
— Des gens d’ici, une quarantaine de citoyens américains venus jouer au golf et dix-sept de nos diplomates avec leurs familles qui partent en congé.
La cible idéale pour des terroristes. Malko n’arrivait pas à se débarrasser complètement du malaise qui l’étreignait en dépit des assurances de l’homme de la CIA.
Quelque chose ne collait pas. Depuis le début, il avait été question de deux terroristes. Apparemment destinés à la même opération. Or, l’un semblait avoir brutalement décroché.
— Il y a des Libanais à bord ? demanda-t-il.
— Bien sûr, confirma Stanley Parker. Il y en a cent cinquante mille en Côte d’Ivoire.
— Je suppose que vous avez vérifié leurs identités ?
— Ils ont tous des passeports ivoiriens ou des permis de séjour. Il n’y a pas un Sierra Leonais à bord.
Malko regarda la file qui s’allongeait devant les passerelles, à bout d’argument. Pour une fois en Afrique, la sécurité était sérieuse.
— Il y aura des gardes armés dans l’avion ? demanda-t-il.
— Non, le commandant de bord s’y oppose, fit l’Américain. Mais je vous assure que toutes les précautions ont été prises. L’expérience des détournements passés nous a servi.
Malko avait dans sa poche sa carte d’embarquement. Il tenait à être sur ce vol, et, de toute façon, il devait rentrer en Europe. Stanley Parker contemplait les derniers passagers en train d’escalader la passerelle lorsqu’un agent de la compagnie s’approcha de lui et murmura quelque chose à son oreille.
L’Américain explosa :
— God damn it !
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Malko.
— Il manque un passager…
Et pourtant, plus aucun bagage ne se trouvait sur le tarmac. Ou c’était un passager sans bagages – étonnant sur un long courrier – ou, à la suite d’une erreur de manutention, sa valise avait été chargée avec les autres.
— Retrouvez-le, fit le chef de Station de la CIA. On ne partira pas sans lui !
— Et si on ne le retrouve pas ?
— On fait descendre tous les passagers, on vide les soutes et on recommence la reconnaissance des bagages de soute.
L’employé était effondré.
— Il y en a pour des heures…
— Ça vaut mieux que d’exploser en vol, fit Parker.
Il alluma une cigarette et l’attente commença dans la chaleur moite et l’odeur de kérosène. Tous les passagers étaient maintenant à bord, mais les portes restaient ouvertes. Les minutes s’écoulaient. Walkie-talkie au poing, les employés au sol passaient l’aérogare au peigne fin…
— Le voilà !
Deux hôtesses encadraient un grand Noir en boubou, l’air ahuri, avec une minuscule valise en carton tenue par des ficelles. L’une d’elles expliqua :
— Il attendait dans la salle des départs domestiques. Il s’était endormi et n’a pas entendu les appels.
— Vous l’avez fouillé ?
— Oui. La valise aussi.
— Alors, en avant !
Tandis qu’on emmenait le Noir vers la passerelle arrière, Stanley Parker poussa un soupir de soulagement et tendit la main à Malko.
— Allez-y ! On va fermer les portes. Et faites bon voyage.
Malko monta l’escalier de la passerelle et gagna sa place en première, un siège au milieu. Son estomac continuait à être noué et, pourtant, tout semblait parfaitement normal. Avec deux fouilles dont une à main, par des professionnels, personne ne pouvait avoir passé une arme. C’était le principal. Quant aux bagages de soute, ils avaient été identifiés par les passagers.
Il essaya de se détendre durant la routine du décollage, mais son angoisse lui collait à la peau. Le DC 10 était bourré. Il se leva et commença à inspecter les travées, examinant tous les passagers. Il parcourut ainsi tout le côté gauche, puis revint sur ses pas, par la travée droite. Rien que des visages anonymes, inconnus. Des Noirs, des Blancs, des Libanais. Beaucoup d’entre eux passaient par Paris pour gagner Beyrouth.
C’est au premier rang de la seconde cabine qu’il éprouva un sentiment de malaise. Le passager près du hublot était jeune, de type moyen-oriental et regardait fixement devant lui, un peu comme un drogué. Il sortit un mouchoir de sa poche et s’essuya le visage, visiblement nerveux. Mais beaucoup de gens l’étaient en avion. Surtout s’ils ne le prenaient pas souvent. Malko allait s’éloigner quand une image flasha dans sa mémoire. Il se retourna et regarda à nouveau le jeune homme nerveux. Avec, quand même, un doute. Il l’aurait peut-être conservé si ce dernier n’avait pas appelé une hôtesse qui passait.
— Est-ce que je pourrais avoir un café ? demanda-t-il. Avec du sucre.
En un éclair, Malko revit l’arrière-boutique du torréfacteur de East Street, à Freetown, là où avait été probablement assassiné Eddie Connolly, le journaliste. Le passager du DC 10 était le Libanais qui s’y trouvait le matin où Malko y était venu.
Au lieu de regagner sa place, il demeura debout près des toilettes, comme s’il attendait qu’elles se libèrent… Faisant le point. Plus il l’examinait, plus il était certain de sa mémoire. Comment était-il monté à bord ? D’après la CIA, aucun passager n’avait de passeport sierra-leonais… Il avait donc trouvé sur place un autre document de voyage. Ce qui n’avait rien d’étonnant, le meurtre de Charlie ayant prouvé que les Chiites liés à l’Iran disposaient de complicités à Abidjan.
Pourquoi se trouvait-il à bord ? Était-il en train de fuir et de regagner le Liban ? Sa nervosité apparente pouvait s’expliquer par les recherches dont il se savait être l’objet.
En raison des contrôles, il ne pouvait être armé. D’ailleurs, vêtu d’un jean et d’un polo, il lui était impossible de dissimuler une arme sur lui et son bagage à main avait été fouillé…
Malko continua à l’observer dans la glace du galley. Il semblait de plus en plus nerveux… Il fit mine de se lever puis se rassit aussitôt. Malko recula : la porte des toilettes s’ouvrait. Pour ne pas éveiller les soupçons du Libanais, il dut y entrer à son tour. Il y demeura moins d’une minute et rouvrit. Son pouls s’accéléra brutalement le Libanais avait disparu.
D’un regard rapide, il parcourut la cabine. Personne. L’autre avait dû s’engouffrer dans les toilettes voisines…
Les deux portes arboraient le signal « occupé ». Il attendit, faisant semblant de chercher un magazine.
Une des portes se rouvrit. Une vieille femme en sortit et retourna s’asseoir. Le Chiite était donc dans l’autre. Malko allait regagner sa place lorsqu’une information lui revint en mémoire. Un certain dimanche, Karemba avait été à l’aéroport et on ignorait pourquoi… Or, ce jour-là, il se trouvait un DC 10 de la même compagnie à Freetown. La porte des toilettes se rouvrit et il se trouva nez à nez avec le Libanais…