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Le double meurtre n’avait pas duré trente secondes.

Celui qui avait stoppé Charlie se pencha, tentant de lui arracher son sac. Mais le travesti, en tombant, s’était enroulé la bride autour du poignet et il était maintenant coincé sous son corps… Le Noir tirait comme un fou pour le saisir lorsqu’une voiture s’arrêta en face d’eux : un homme en jaillit.

— Attention ! cria le chef.

Abandonnant le cadavre, ils détalèrent dans le noir, zigzaguant au milieu des putes et des gens allongés sur le trottoir.

* * *

Stanley Parker faillit vomir devant le T-shirt et la jupe maculés de sang, la gorge tranchée et les choses innommables jetées sur le corps de Charlie. Le travesti ne respirait plus, vidé comme un porc. Quelques badauds commençaient à s’approcher prudemment, lorgnant sur les jambes découvertes avec fascination et dégoût.

— Mais c’est pas une vraie mousso ! s’exclama un passant.

Stanley Parker se pencha et réussit à dégager le sac de Charlie. Il battit en retraite avec, sans que personne n’intervienne. Le marchand mauritanien, agenouillé au milieu de la chaussée, tenait entre ses mains la tête de la fillette morte. Résigné.

Les flics viendraient dans une heure ou le lendemain…

Stanley Parker remonta dans sa voiture et démarra. Impossible de poursuivre les assassins et de toute façon, ce n’étaient que des hommes de main. Treichville en était plein !

Trois blocs plus loin, il s’arrêta au bord de la voie rapide pour examiner le contenu du sac de Charlie. Rien d’intéressant, sauf un passeport. Il l’ouvrit. C’était un document de la Sierra Leone, en blanc, avec les cachets officiels. Il ne restait plus qu’à le remplir… Dedans, il y avait une photo : un jeune homme moustachu de type moyen-oriental, un peu joufflu… L’Américain empocha ses trouvailles puis jeta le sac par la portière. Encore choqué, il mit le cap sur Cocody. Ivre de dégoût et de rage. Charlie avait été un excellent agent. Maintenant, il devait trouver qui était l’homme de la photo. C’est pour la ramener que Charlie était mort. Il fallait qu’elle ait une sacrée importance.

* * *

Stanley Parker fumait une cigarette en regardant distraitement les joueurs de tennis de l’autre côté de l’avenue. Une chaleur lourde écrasait Abidjan. Une heure plus tôt, alerté par les hurlements terrifiés de son boy, il avait tué d’un coup de sabre un serpent cracheur dans le fond de son jardin.

Pas une ligne dans le journal sur le mort de Treichville. La photo trouvée dans le passeport avait été transmise par téléfax à Washington et il attendait le feed-back de l’agence fédérale. Sans trop d’espoir… La sonnerie du télescripteur codé le fit sursauter. Il s’approcha et regarda les lignes qui s’imprimaient. « Attention Parker, attention Parker. Identification positive. Code RUFI. Sujet libanais chiite déjà identifié dans détournement Boeing TWA. Nom Nabil Moussaoui. Age 21 ans. Enrôlé dans la milice du Cheikh Fadlalah. Considéré comme extrêmement dangereux, et travaillant pour les Services iraniens. Prière transmettre urgence SNIR sur projet RUFI pour DDO Eyes only[8].

Stanley Parker arracha le papier de la machine. La mort de Charlie prenait une sacrée importance. Un Special National Intelligence Report signifiait que le Président des États-Unis avait été mis au courant de l’opération RUFI. Et qu’il allait devoir la continuer.

Chapitre II

Lungi Airport était plongé dans le noir. Quelques lumignons trouaient l’obscurité çà et là, autour du DC 10 qui venait de se poser en face de la vieille aérogare. Malko commença à descendre la passerelle, immédiatement assailli par une chaleur humide, moite, insupportable. Qu’est-ce que cela devait être en plein soleil… À côté de lui, deux Pakistanais échangeaient des remarques peu aimables.

— That place is the asshole of the world[9] ! conclut l’un d’eux.

Pas une lumière non plus autour de l’aéroport. Le noir absolu, total. Comme si on était sur la lune. À peine Malko eut-il mis le pied sur le ciment qu’une lampe électrique se braqua sur lui. Une silhouette s’avança.

— Mister Linge ? Bienvenue en Sierra Leone. Je suis Jim Dexter.

Ils fendirent la cohue au pied de la passerelle et se dirigèrent vers l’aérogare.

— Il y a une panne d’électricité ? demanda Malko.

Jim Dexter eut un rire amer et désabusé.

— Depuis quinze jours ! expliqua-t-il. Ils n’ont plus de fuel pour faire marcher la centrale électrique. Et le groupe électrogène de l’aéroport est en panne. Des types ont piqué quelques pièces essentielles. Les pistes sont balisées à la lampe à pétrole. Venez, on va essayer de récupérer vos bagages avant qu’on les voles.

Il donna à un Noir qui l’accompagnait le talon de bagages de Malko et l’autre fila vers la soute du DC 10.

Le tarmac était brûlant sous les semelles de Malko. Ils pénétrèrent dans la minuscule aérogare éclairée par quelques lampes à pétrole, où s’agitaient des tas de gens dans un désordre incroyable. Malko put enfin dévisager le chef de station de la CIA. Il ressemblait à un Italien avec ses yeux malins et ses cheveux ondulés, très noirs. Ils furent assaillis par une meute de porteurs, de douaniers, de quémandeurs, dont Dexter se débarrassa à coups de billets extraits d’une liasse de dix centimètres d’épaisseur.

— Il faut 40 leones pour avoir un dollar, expliqua l’Américain, et il n’y a plus en circulation que des billets de 2 et de 20 leones… Pour acheter une cartouche de cigarettes, on en emmène une boîte à chaussures pleine…

L’humidité était telle que la veste d’alpaga de Malko était collée à sa chemise et sa chemise à sa peau… Il dégoulinait. L’employé de Jim Dexter surgit, la valise de Malko sur la tête. Ils se dirigèrent vers la sortie.

— On ne passe pas de douane ? s’étonna Malko.

— Mon gars a donné cent leones au douanier, fit Jim Dexter. Les fonctionnaires n’ont pas été payés depuis quatre mois…

Au moment où ils allaient sortir de l’aérogare, Malko remarqua un Noir qui les observait, appuyé au comptoir de la douane.

Une bête. Près de deux mètres. Des épaules de docker moulées par un T-shirt bleu. Un crâne ovoïde aux cheveux très courts, des yeux en amande presque fermés, des lèvres comme des eus. Un trousseau de clefs pendait à sa ceinture un paquet de cigarettes State Express 555 passait de la poche de son T-shirt. Son visage brutal dégageait une cruauté primitive, animale. Il tendit la main vers le passeport de Malko et examina longuement.

— Where are you staying[10] ?

— Au Mammy Yoko, dit Malko.

L’autre lui rendit son passeport sans mot dire. Dehors, Malko demanda ?

— Qui est-ce ?

— Un flic de la Special Branch du CID[11], fit américain. Je me demande ce qu’il fichait ici. Il vient jamais à l’aéroport.

Ils se retrouvèrent dans les couloirs de l’aéroport, sans la moindre lumière. Jim Dexter jurait sans interruption.

— Ce putain de pays va s’arrêter ! fit-il. Ils n’ont plus de pétrole que pour trois semaines. Après on ferme… Venez, on va prendre l’hélico.

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8

Deputy Director of Operations. À lire seulement par lui.

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9

Cet endroit est le trou du cul du monde.

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10

Où allez-vous loger ?

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11

Criminal Investigation Department.