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Ils émergèrent plus loin sur le tarmac et Malko aperçut trois hélicos, deux soviétiques bi-turbine un Puma français. Surprenant dans un pays où n’y avait même plus d’électricité…

— Où va-t-on ?

— À Freetown, expliqua L’Américain. Nous en sommes séparés par un bras de mer de quinze kilomètres de large, l’estuaire de la Sierra Leone. Le ferry qui le traverse ne fonctionne plus depuis des mois… La dernière fois qu’il a marché, il a failli traverser l’Atlantique. Il dérivait vers le large, en panne. Ses passagers se sont affolés, certains ont sauté à la mer et se sont fait bouffer par les requins…

— Il n’y a pas d’autre moyen ?

— Si. Remonter la rivière jusqu’au pont Forodugu et revenir par la rive sud. En tout, quatre heures de piste…

Malko se retourna vers le DC 10. Il avait vraiment l’impression d’abandonner la civilisation… Une véritable meute prenait les hélicoptères d’assaut. Jim Dexter gagna celui peint en vert, et fit monter Malko dans la cabine avant, derrière le pilote. À l’arrière, il y avait quinze passagers pour sept places, plus les bagages. Impassible, le pilote polonais s’affairait sur ses instruments. Malko regarda avec inquiétude le tableau de bord.

— Ça va aujourd’hui ! fit Jim Dexter. On n’a que 30 % de surcharge…

Flegmatique, le pilote avait lancé ses rotors. Malko fixait un voyant qui s’obstinait à demeurer au rouge. Rotor Low Engine 2.

L’appareil se mit à rouler, comme un avion. Au moment où il quittait le sol, le voyant s’éteignit enfin… Pesamment, l’hélico s’éleva au-dessus du bras de mer, volant au ras des flots… Le vacarme était épouvantable. Jim Dexter hurla à l’oreille de Malko :

— J’espère qu’on vous a prévenu que ce ne serait pas facile…

* * *

L’hélicoptère atterrit sur un rectangle de ciment derrière l’hôtel Mammy Yoko, le long de Lumley Beach. Tous les hôtels de Freetown se trouvaient à l’ouest de la ville, à Aberdeen, séparés du centre par un bras de mer. Même chaleur inhumaine…

C’était bon de retrouver la climatisation. Jim Dexter consulta sa Seiko-quartz.

— On va dîner en ville, annonça-t-il. Ici, c’est immonde…

Malko n’eut que le temps de passer une chemise sèche… L’Oldsmobile de l’Américain dévala le pont séparant Aberdeen de Murray Town, le quartier le plus à l’ouest de Freetown et Malko eut l’impression de pénétrer dans une ville fantôme. Tous les lampadaires étaient désespérément éteints. Seuls brillaient les lumignons de centaines de marchands installés sur les trottoirs, vendant un peu de tout. Les phares de l’Oldsmobile éclairaient des façades en bois disjointes, décrépites, délavées. Peu de circulation, des piétons presque invisibles dans le noir.

— C’est toujours comme ça ? demanda Malko.

— Le pays fout le camp, expliqua l’Américain. Plus de pétrole, donc plus d’électricité, souvent pas d’eau, à cause des pompes. Pas de téléphone, pas de journaux étrangers, pas d’essence… Et on vole tout. Même les ampoules des lampadaires. Ce qui a peu d’importance, puisqu’il n’y a plus de courant.

Ils empruntèrent l’avenue Siaka Stevens, tout aussi sinistre, pour tourner dans Pademba Road. Partout de vieilles maisons créoles en bois coloré dont la peinture s’écaillait. Jim Dexter s’arrêta en face d’une maison de deux étages, peinte en rose. L’enseigne annonçait : « AFRO DINING ». L’intérieur était étonnant. Des petites pièces sombres, éclairées de lampes rouges comme un bordel. Un générateur installé dans la cour faisait un bruit d’enfer.

— Le meilleur restaurant de la ville, annonça Jim Dexter. Cuisine créole, hyper épicée. Prévenez votre estomac…

Une jeune Noire, avec de grands yeux en amande, la poitrine arrogante sous le gara[12] et l’habituelle croupe callipyge, les guida jusqu’à un minuscule salon où grimaçaient des masques africains éclairés de l’intérieur. Très ambiance sorcellerie…

— J’ai demandé à ma meilleure source de nous rejoindre, annonça l’Américain.

— Qui est-ce ?

— Rugi Dougan. Une Krio[13] fortunée qui organise des ballets folkloriques. Elle sait tout ce qui se passe en ville et n’aime pas les Libanais… C’est un cancer qui ronge le pays… Ils ont de la chance que les Sierra Leonais soient gentils, pacifiques et pas xénophobes pour un sou.

La fille apporta deux bières Star. Dexter remplit les verres puis leva le sien :

— Au succès de votre mission.

Malko leva son verre à son tour. Pas vraiment euphorique. Il avait rarement abordé une mission avec aussi peu d’éléments. La CIA ignorait pratiquement tout de ce qui se tramait en Sierra Leone contre les États-Unis. Pour commencer son enquête, il ne disposait que de quelques éléments disparates.

Des écoutes radio révélant qu’une action terroriste était en préparation à partir de la Sierra Leone, menée par des Iraniens.

La photo d’un terroriste chiite libanais lié à Téhéran supposé se trouver à Freetown.

L’existence d’un réseau de soutien pro-iranien qui s’étendait de Freetown à Abidjan.

La CIA semblait persuadée que les Iraniens allaient frapper, mais ignorait totalement où, quand et comment…

Malko trempa les lèvres dans sa bière. Se demandant si une mondaine organisatrice de tournées folkloriques pouvait être le pivot d’une mission hyper délicate : découvrir ce qui se tramait et l’empêcher. Comme pour faire écho à ses pensées, Jim Dexter jeta un coup d’œil agacé à sa montre et soupira :

— Qu’est-ce que fait Rugi ! Je lui avais dit à neuf heures.

— En attendant qu’elle arrive, demanda Malko, si vous me disiez un peu ce que vous savez sur cette affaire et comment vous pouvez m’aider ? Et d’abord pourquoi les Iraniens se sont-ils implantés ici ? Apparemment, il n’y a pas grand-chose.

— La réponse est simple, fit l’Américain. À cause des Libanais. La Sierra Leone est devenue indépendante le 27 avril 1961 et les Britanniques qui l’avaient colonisée s’en sont désintéressés. On les comprend : un pays grand comme l’Irlande, peuplé de quatre millions de morts de faim avec le plus haut taux de mortalité infantile du monde, il n’y a pas de quoi s’exciter… Il avait toujours existé une importante colonie libanaise chiite ici. Nabil Bern, le leader d’Amal[14] est né à Kissy, un quartier pauvre de Freetown. Au départ des Anglais, ils se sont peu à peu emparés de tous les leviers économiques du pays.

— Et les Sierra Leonais ? Ils se sont laissés faire ?

— Ils préfèrent la musique et le farniente. Ici, il n’y a pas eu de guerre de libération, les gens sont pacifiques. Il n’y a même pas d’opposition marxiste, la liberté de la presse est totale, mais les Libanais ont tout gangrené, en corrompant les officiels, jusqu’au général Momoh, le chef de l’État. Grâce à leurs complicités, ils peuvent faire entrer et sortir de Sierra Leone qui ils veulent. Ils contrôlent la seule richesse du pays – le diamant – et personne ne vient fourrer le nez dans leurs affaires. La Sierra Leone, dépourvue d’intérêt stratégique, est trop petite pour intéresser vraiment les grandes puissances.

— Et les Iraniens ? Comment sont-ils venus ?

— Grâce à leurs copains chiites libanais, ils savaient qu’ici on leur ficherait la paix. On les a vu arriver il y a deux ans. C’est Karim Labaki, le Libanais le plus riche du pays, qui a demandé à Momoh de les accueillir. Ça s’est réglé avec un chargement de pétrole iranien de deux cent quarante mille tonnes « offert » par Téhéran. En échange de quoi, Momoh leur a laissé ouvrir une ambassade et un centre culturel.

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12

Sorte de boubou.

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13

Créole.

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14

Organisation chiite libanaise.