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Précisément, en cet instant même, une détonation retentit dans un taillis de bruyères arborescentes, hautes de douze à quinze pieds, qui descendait sur la droite en suivant la pente des collines. Presque aussitôt, le bushman et Top parurent sur la lisière du bois. Mokoum traînait la dépouille d’un animal que son fusil venait d’abattre.

«Arrivez, arrivez, maître pourvoyeur! lui cria William Emery. Qu’apportez-vous pour notre souper?

– Un spring-bok, monsieur William,» répondit le chasseur en jetant à terre un animal dont les cornes s’arrondissaient en forme de lyre.

C’était une sorte d’antilope plus généralement connue sous la dénomination de «bouc sauteur,» qui se rencontre fréquemment dans toutes les régions de l’Afrique australe. Charmant animal que ce bouc, au dos couleur de cannelle, dont la croupe disparaissait sous des touffes de poils soyeux d’une éclatante blancheur, et qui montrait un ventre ocellé de tons châtains. Sa chair, excellente à manger, fut destinée au repas du soir.

Le chasseur et l’astronome, chargeant la bête au moyen d’un bâton transversalement placé sur leurs épaules, quittèrent les sommets de la cataracte, et une demi-heure après, ils atteignaient leur campement situé dans une étroite gorge de la vallée, où les attendait le chariot gardé par deux conducteurs de race boschjesmane.

Chapitre II Présentations officielles.

Pendant les 28,29 et 30 janvier, Mokoum et William Emery ne quittèrent pas le lieu de rendez-vous. Tandis que le bushman, emporté par ses instincts de chasseur, poursuivait indistinctement le gibier et les fauves sur toute cette région boisée qui avoisinait la cataracte, le jeune astronome surveillait le cours du fleuve. Le spectacle de cette nature, grande et sauvage, le ravissait et emplissait son âme d’émotions nouvelles. Lui, homme de chiffre, savant incessamment courbé sur ses catalogues jour et nuit, enchaîné à l’oculaire de ses lunettes, guettant le passage des astres au méridien ou calculant des occultations d’étoiles, il savourait cette existence en plein air, sous les bois presque impénétrables qui hérissaient le penchant des collines, sur ces sommets déserts que les embruns de la Morgheda couvraient d’une poussière humide. C’était une joie, pour lui, de comprendre la poésie de ces vastes solitudes, à peu près inconnues à l’homme, et d’y retremper son esprit fatigué des spéculations mathématiques. Il trompait ainsi les ennuis de l’attente, et se refaisait corps et âme. La nouveauté de sa situation expliquait donc son inaltérable patience que le bushman ne pouvait partager. Aussi, de la part du chasseur, toujours mêmes récriminations, de la part du savant, mêmes réponses calmes, qui ne calmaient point le nerveux Mokoum.

Le 31 janvier arriva, dernier jour fixé par la lettre de l’honorable Airy. Si les savants annoncés n’apparaissaient pas ce jour-là, William Emery serait forcé de prendre un parti, ce qui l’embarrasserait beaucoup. Le retard pouvait se prolonger indéfiniment, et comment indéfiniment attendre?

«Monsieur William, lui dit le chasseur, pourquoi n’irions-nous pas au devant des étrangers? Nous ne pouvons les croiser en route. Il n’y a qu’un chemin, le chemin de la rivière, et s’ils la remontent, comme le dit votre bout de papier, nous les rencontrerons inévitablement.

– Une excellente idée que vous avez là, Mokoum, répondit l’astronome. Poussons une reconnaissance en aval des chutes. Nous en serons quittes pour revenir au campement par les contre-vallées du sud. Mais dites-moi, honnête bushman, vous connaissez en grande partie le cours de l’Orange?

– Oui, monsieur, répondit le chasseur, je l’ai remonté deux fois depuis le cap Volpas jusqu’à sa jonction avec le Hart sur les frontières de la république de Transvaal.

– Et son cours est navigable en toutes ses parties, excepté aux chutes de Morgheda?

– Comme vous le dites, monsieur, répliqua le bushman. J’ajouterai toutefois, que vers la fin de la saison sèche, l’Orange est à peu près sans eau jusqu’à cinq ou six milles de son embouchure. Il se forme alors une barre sur laquelle la houle de l’ouest se brise avec violence.

– Peu importe, répondit l’astronome, puisqu’au moment où nos Européens ont du atterrir, cette embouchure était praticable. Il n’existe donc aucune raison qui puisse motiver leur retard, et par conséquent, ils arriveront.»

Le bushman ne répondit pas. Il plaça sa carabine sur son épaule, siffla Top, et précéda son compagnon dans l’étroit sentier qui rejoignait quatre cents pieds plus bas les eaux inférieures de la cataracte.

Il était alors neuf heures du matin. Les deux explorateurs, – on pourrait vraiment leur donner ce nom, – descendirent le cours du fleuve en suivant sa rive gauche. Le chemin, il s’en fallait, n’offrait pas les terrassements planes et faciles d’une digue ou d’une route de hallage. Les berges de la rivière, hérissées de broussailles, disparaissaient sous un berceau d’essences diverses. Des festons de ce «cynauchum filiforme,» mentionné par Burchell, se croisaient d’un arbre à l’autre, et tendaient un réseau de verdure devant les pas des deux voyageurs. Aussi, le couteau du bushman ne demeurait-il pas inactif. Il tranchait impitoyablement ces guirlandes embarrassantes. William Emery respirait à pleins poumons les senteurs pénétrantes de la forêt, particulièrement embaumée des parfums du camphre que répandaient d’innombrables fleurs de diosmées. Fort heureusement, quelques clairières, des portions de berges dénudées, au long desquelles les eaux poissonneuses coulaient paisiblement, permirent au chasseur et à son compagnon de gagner plus rapidement vers l’ouest. À onze heures du matin, ils avaient franchi environ quatre milles.

La brise soufflait alors du côté du couchant. Elle portait donc vers la cataracte dont les mugissements ne pouvaient plus être entendus à cette distance. Au contraire, les bruits qui se propageaient en aval devaient être perçus distinctement.

William Emery, et le chasseur, arrêtés en cet endroit, apercevaient le cours du fleuve qui se prolongeait en droite ligne sur un espace de deux à trois milles. Le lit de la rivière était alors profondément encaissé et dominé par une double falaise crayeuse, haute de deux cents pieds.

«Attendons en cet endroit, dit l’astronome, et reposons-nous. Je n’ai pas vos jambes de chasseur, maître Mokoum, et je me promène plus habituellement dans le firmament étoilé que sur les routes terrestres. Reposons-nous donc. De ce point, notre regard peut observer deux ou trois milles du fleuve, et si peu que la barque à vapeur se montre au dernier tournant, nous ne manquerons pas de l’apercevoir.»

Le jeune astronome s’accota au pied d’un gigantesque euphorbe dont la cime s’élevait à une hauteur de quarante pieds. De là, son regard s’étendait au loin sur la rivière. Le chasseur, lui, peu habitué à s’asseoir, continua de se promener sur la berge, pendant que Top faisait lever des nuées d’oiseaux sauvages qui ne provoquaient aucunement l’attention de son maître.

Le bushman et son compagnon n’étaient en cet endroit que depuis une demi-heure, quand William Emery vit que Mokoum, posté à une centaine de pas au-dessous de lui, donnait des signes d’une attention plus particulière. Le bushman avait-il aperçu la barque si impatiemment attendue?