Cependant, à cheminer sous ce soleil de feu, à travers cette atmosphère qui ne contenait pas un atome de vapeur, à poursuivre les opérations géodésiques par des jours et des nuits dont aucun souffle ne tempérait la chaleur, les astronomes se fatiguaient visiblement. Leur réserve d’eau, contenue dans des barils échauffés, diminuait. Ils avaient déjà dû se rationner, et souffraient beaucoup de ce rationnement. Cependant, leur zèle était si grand, leur courage tel, qu’ils dominaient fatigues et privations, et ne négligeaient aucun détail de leur immense et minutieux travail. Le 25 janvier, la septième portion de la méridienne, comprenant un nouveau degré, avait été calculée au moyen de neuf triangles nouveaux, ce qui portait à cinquante-sept le nombre total des triangles construits jusqu’alors.
Les astronomes n’avaient plus qu’une portion du désert à franchir, et dans l’opinion du bushman, ils devaient atteindre les rives du lac Ngami avant les derniers jours de janvier. Le colonel et ses compagnons pouvaient répondre d’eux-mêmes et tenir jusque-là.
Mais les hommes de la caravane, les Bochjesmen, qui n’étaient pas entraînés par cette ardeur, gens à gages, dont l’intérêt ne se confondait pas avec l’intérêt scientifique de l’expédition, indigènes assez peu disposés à poursuivre leur marche en avant, ceux-là supportaient mal les épreuves de la route. Ils se montraient très-sensibles à la disette d’eau. Déjà, quelques bêtes de somme, affaiblies par la faim et la soif, avaient dû être laissées en arrière, et il était à craindre que leur nombre ne s’augmentât de jour en jour. Les murmures, les récriminations s’accroissaient avec les fatigues. Le rôle de Mokoum devenait très-difficile, et son influence baissait.
Il fut bientôt évident que le manque d’eau serait un invincible obstacle, qu’il faudrait arrêter la marche au nord, et se porter, soit en arrière, soit sur la droite de la méridienne, au risque de se rencontrer avec l’expédition russe, afin de gagner les bourgades, distribuées dans une contrée moins aride sur l’itinéraire de David Livingstone.
Le 15 février, le bushman fit connaître au colonel Everest ces difficultés croissantes contre lesquelles il s’employait en vain. Les conducteurs de chariots refusaient déjà de lui obéir. Chaque matin, à la levée du camp, c’étaient des scènes d’insubordination auxquelles la plupart des indigènes prenaient part. Ces malheureux, il faut l’avouer, accablés par la chaleur, dévorés par la soif, faisaient pitié à voir. D’ailleurs, les bœufs et les chevaux, insuffisamment nourris d’une herbe courte et sèche, nullement abreuvés, ne voulaient plus marcher.
Le colonel Everest connaissait parfaitement la situation. Mais, dur pour lui-même, il l’était pour les autres. Il ne voulut en aucune façon suspendre les opérations du réseau trigonométrique, et déclara que, fût-il seul, il continuerait à se porter en avant. Du reste, ses deux collègues parlaient comme lui, et ils étaient prêts à le suivre aussi loin qu’il lui plairait d’aller.
Le bushman, par de nouveaux efforts, obtint des indigènes qu’ils le suivraient pendant quelque temps encore. D’après son estime, la caravane ne devait pas être à plus de cinq ou six jours de marche du lac Ngami. Là, chevaux et bœufs retrouveraient de frais pâturages et des forêts ombreuses. Là, les hommes auraient toute une mer d’eau douce pour se rafraîchir. Mokoum fit valoir ces considérations aux principaux Bochjesmen. Il leur démontra que, pour se ravitailler, le plus court était d’aller au nord. En effet, se rejeter dans l’ouest, c’était marcher au hasard; revenir en arrière, c’était retrouver le Karrou désolé, dont tous les cours d’eau devaient être taris. Enfin les indigènes se rendirent à tant de raisons et de sollicitations, et la caravane, presque épuisée, reprit sa marche vers le Ngami.
Fort heureusement, dans cette plaine si vaste, les opérations géodésiques s’accomplissaient facilement au moyen de poteaux ou de pylônes. Afin de gagner du temps, les astronomes travaillaient nuit et jour. Guidés par la lueur des lampes électriques, ils obtenaient des angles très-nets, qui satisfaisaient aux plus scrupuleuses déterminations.
Les travaux continuaient donc avec ensemble et méthode, et le réseau s’augmentait peu à peu.
Le 16 janvier, la caravane put croire un instant que cette eau dont la nature se montrait si avare, allait enfin lui être abondamment restituée.
Un lagon, d’une largeur d’un à deux milles, venait d’être signalé à l’horizon.
On comprend si cette nouvelle fut bien accueillie. Toute la caravane se porta rapidement dans la direction indiquée, vers une assez vaste étendue d’eau, qui miroitait sous les rayons solaires.
Le lagon fut atteint vers cinq heures du soir. Quelques chevaux, brisant leurs traits, échappant à la main de leurs conducteurs, s’élancèrent au galop vers cette eau tant désirée. Ils la sentaient, ils l’aspiraient, et bientôt on put les voir s’y plonger jusqu’au poitrail.
Mais, presque aussitôt, ces animaux revinrent sur la rive. Ils n’avaient pu se désaltérer à ces nappes liquides, et quand les Bochjesmen arrivèrent, ils se trouvèrent en présence d’une eau tellement imprégnée de sel, qu’ils ne purent s’y rafraîchir.
Le désappointement, on peut dire le désespoir, fut grand. Rien de cruel comme un espoir déçu! Mokoum crut qu’il lui faudrait renoncer à entraîner les indigènes au delà du lac salé. Heureusement pour l’avenir de l’expédition, la caravane se trouvait plus près du Ngami et des affluents du Zambèse que de tout autre point de cette région où l’on pût se procurer de l’eau potable. Le salut de tous dépendait donc de la marche en avant. En quatre jours, si les travaux géodésiques ne la retardaient pas, l’expédition serait rendue sur les rives du Ngami.
On repartit. Le colonel Everest, profitant de la disposition du terrain, put construire des triangles de grandes proportions qui nécessitèrent moins fréquemment l’établissement des mires. Comme on opérait surtout pendant des nuits très-pures, les signaux de feu se voyaient admirablement, et pouvaient être relevés avec une précision extrême, soit au théodolite, soit au cercle répétiteur avec une exactitude parfaite. C’était à la fois économie de temps et de fatigues. Mais, il faut l’avouer, pour ces courageux savants enflammés d’un zèle scientifique, pour ces indigènes dévorés d’une soif ardente sous ce climat terrible, comme pour les animaux employés au service de la caravane, il était temps d’arriver au Ngami. Nul n’aurait pu supporter encore quinze jours de marche dans des conditions pareilles.
Le 21 janvier, le sol plat et uni commença à se modifier sensiblement. Il devint raboteux, accidenté. Vers dix heures du matin, une petite montagne, haute de cinq à six cents pieds, fut signalée dans le nord-ouest, à une distance de quinze milles environ. C’était le mont Scorzef.
Le bushman observa attentivement les localités, et après un examen assez long, étendant la main vers le nord: