Выбрать главу

Cette coque, longue de trente-cinq pieds, se composait de trois parties, comme celle du Mâ-Robert, chaloupe à vapeur qui servit au docteur Livingstone pendant son premier voyage au Zambèse. Elle était faite d’acier galvanisé, à la fois léger et résistant. Des boulons, ajustant les plaques sur une membrure de même métal, assuraient leur adhérence et l’étanchement de la barque.

William Emery fut véritablement émerveillé de la simplicité du travail et de la rapidité avec laquelle il s’accomplit. Le chariot n’était pas arrivé depuis une heure, sous la conduite du chasseur et de ses deux bochesjmen, que l’embarcation était prête à être chargée.

Ce chariot, véhicule un peu primitif, reposait sur quatre roues massives, formant deux trains séparés l’un de l’autre par un intervalle de vingt pieds. C’était un véritable «car» américain, par sa longueur. Cette lourde machine, criarde aux essieux et dont le heurtequin dépassait les roues d’un bon pied, était traînée par six buffles domestiques, accouplés deux à deux, et très-sensibles au long aiguillon de leur conducteur. Il ne fallait pas moins que de tels ruminants pour enlever le véhicule, quand il se mouvait à pleine charge. Malgré l’adresse du «leader», il devait plus d’une fois rester embourbé dans les fondrières.

L’équipage du Queen and Tzar s’occupa de charger le chariot, de manière à bien l’équilibrer en toutes ses parties. On connaît l’adresse proverbiale des marins. L’arrimage du véhicule ne fut qu’un jeu pour ces braves gens. Les grosses pièces de la chaloupe reposèrent directement au-dessus des essieux au point le plus solide du chariot. Entre elles, les caisses, caissons, barils, colis plus légers ou plus fragiles, trouvèrent aisément place. Quant aux voyageurs proprement dits, une course de quatre milles n’était pour eux qu’une promenade.

À trois heures du soir, le chargement entièrement terminé, le colonel Everest donna le signal du départ. Ses compagnons et lui, sous la conduite de William Emery, prirent les devants. Le bushman, les gens de l’équipage et les conducteurs du chariot suivirent d’un pas plus lent.

Cette marche se fit sans fatigue. Les rampes qui menaient au cours supérieur de l’Orange facilitaient le parcours par cela même qu’elles l’allongeaient considérablement. C’était une heureuse circonstance pour le chariot lourdement chargé, qui, avec un peu plus de temps, atteindrait plus sûrement son but.

Quant aux divers membres de la commission scientifique, ils gravissaient lestement le revers de la colline. La conversation, entre eux, se généralisait. Mais du but de l’expédition, il ne fut aucunement question. Ces Européens admiraient fort les sites grandioses qui se déplaçaient sous leurs yeux. Cette grande nature, si belle dans sa sauvagerie, les charmait comme elle avait charmé le jeune astronome. Leur voyage ne les avait pas encore blasés sur les beautés naturelles de cette région africaine. Ils admiraient, mais avec une admiration contenue, comme des Anglais ennemis de tout ce qui pourrait paraître «improper». La cataracte obtint de leur part quelques applaudissements de bon goût, du bout des doigts peut-être, mais significatifs. Le nil admirari n’était pas tout à fait leur devise.

D’ailleurs, William Emery croyait devoir faire à ses hôtes les honneurs de l’Afrique australe. Il était chez lui, et comme certains bourgeois trop enthousiastes, il ne faisait pas grâce d’un détail de son parc africain.

Vers quatre heures et demie, les cataractes de Morgheda étaient tournées. Les Européens, parvenus sur le plateau, virent le cours supérieur du fleuve se dérouler devant eux au delà des limites du regard. Ils campèrent donc sur la rive en attendant l’arrivée du chariot.

Le véhicule apparut au sommet de la colline vers cinq heures. Son voyage s’était heureusement accompli. Le colonel Everest fit aussitôt procéder au déchargement, en annonçant que le départ aurait lieu le lendemain matin dès l’aube.

Toute la nuit fut employée à divers travaux. La coque de l’embarcation rajustée en moins d’une heure, la machine de l’hélice remise en place, les cloisons métalliques dressées entre les chambres, les soutes refaites, les divers colis embarqués avec ordre, toutes ces dispositions, rapidement prises, prouvèrent en faveur de l’équipage du Queen and Tzar. Ces Anglais et ces Russes étaient des gens choisis, des hommes disciplinés et habiles, sur lesquels on pouvait justement compter.

Le lendemain 1er février, dès l’aube, l’embarcation fut prête à recevoir les passagers. Déjà la fumée noire s’échappait en tourbillon de sa cheminée, et le mécanicien, afin d’activer le tirage, lançait à travers cette fumée des jets de vapeur blanche. La machine étant à haute pression, sans condenseur, perdait sa vapeur à chaque coup de piston, d’après le système appliqué aux locomotives. Quant à la chaudière, munie de bouilleurs ingénieusement disposés, et présentant une grande surface de chauffe, elle n’exigeait pas une demi-heure pour fournir une quantité suffisante de vapeur. On avait fait une bonne provision de bois d’ébène et de gaïac, qui abondait aux environs, et l’on chauffait à grand feu avec ces précieuses essences.

À six heures du matin, le colonel Everest donna le signal du départ. Passagers et marins s’embarquèrent sur le Queen and Tzar. Le chasseur, à qui la route du fleuve était familière, les suivit à bord, laissant aux deux bochesjmen le soin de ramener le chariot à Lattakou.

Au moment où l’embarcation larguait son amarre, le colonel Everest dit à l’astronome:

«À propos, monsieur Emery, vous savez ce que nous venons faire ici?

– Je ne m’en doute même pas, colonel.

– C’est bien simple, monsieur Emery. Nous venons mesurer un arc de méridien dans l’Afrique australe.»

Chapitre IV Quelques mots à propos du mètre.

De tout temps, on peut l’affirmer, l’idée d’une mesure universelle et invariable, dont la nature fournirait elle-même la rigoureuse évaluation, a existé dans l’esprit des hommes. Il importait, en effet, que cette mesure pût être exactement retrouvée, quels que fussent les cataclysmes dont la terre aurait été le théâtre. Très-certainement, les anciens pensèrent ainsi, mais les méthodes et les instruments leur manquèrent pour exécuter cette opération avec une approximation suffisante.

Le meilleur moyen, en effet, d’obtenir une immuable mesure, c’était de la rapporter au sphéroïde terrestre, dont la circonférence peut être considérée comme invariable, et par conséquent, de mesurer mathématiquement tout ou partie de cette circonférence.

Les anciens avaient cherché à déterminer cette mesure. Aristote, d’après certains savants de son époque, considérait le stade, ou coudée égyptienne au temps de Sésostris, comme formant la cent millième partie du pôle à l’équateur. Ératosthène, au siècle des Ptolémées, calcula d’une manière assez approximative la valeur du degré le long du Nil, entre Syène et Alexandrie. Mais Posidonius et Ptolémée ne purent donner une exactitude suffisante aux opérations géodésiques du même genre qu’ils entreprirent. De même, leurs successeurs.

Ce fut Picard qui, la première fois en France, commença à régulariser les méthodes employées pour la mesure d’un degré, et en 1669, déterminant la longueur de l’arc céleste et de l’arc terrestre entre Paris et Amiens, il donna pour la valeur d’un degré cinquante-sept mille soixante toises.