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Toute la nuit du 27 au 28 février se passa en observations. L’obscurité, calme et pure, favorisait singulièrement les astronomes. Mais l’horizon demeura perdu dans l’ombre épaisse. Pas une lueur n’en détacha le profil. Rien n’apparut dans l’objectif de la lunette.

Toutefois, le minimum du délai attribué à l’expédition de Michel Zorn et de William Emery était à peine atteint. Leurs collègues ne pouvaient donc que s’armer de patience et attendre.

Pendant la journée du 28 février, la petite garnison du Scorzef mangea son dernier morceau de viande et de biscuit. Mais l’espoir de ces courageux savants ne faiblissait pas encore, et dussent-ils se repaître d’herbes, ils étaient résolus à ne point abandonner la place avant l’achèvement de leur travail.

La nuit du 28 février au 1er mars ne donna encore aucun résultat. Une ou deux fois, les observateurs crurent apercevoir la lueur du fanal. Mais, vérification faite, cette lueur n’était qu’une étoile embrumée à l’horizon.

Pendant la journée du 1er mars, on ne mangea pas. Probablement accoutumés depuis quelques jours à une nourriture très-insuffisante, le colonel Everest et ses compagnons supportèrent plus facilement qu’ils ne le croyaient ce manque absolu d’aliments, mais, si la Providence ne leur venait pas en aide, le lendemain leur réservait de cruelles tortures.

Le lendemain, la Providence ne les combla pas sans doute; aucun gibier d’aucune sorte ne vint solliciter un coup de fusil de sir John Murray, et, cependant, la garnison, qui n’avait pas le droit de se montrer difficile, parvint à se restaurer tant soit peu.

En effet, sir John et Mokoum, tiraillés par la faim, l’œil hagard, s’étaient mis à errer sur le sommet du Scorzef. Une faim tenace leur déchirait les entrailles. En viendraient-ils donc à brouter cette herbe qu’ils foulaient du pied, ainsi que l’avait dit le colonel Everest!

«Si nous avions des estomacs de ruminants! pensait le pauvre sir John, quelle consommation nous ferions de ce pâturage. Et pas un gibier, pas un oiseau!»

En parlant ainsi, sir John portait ses regards sur ce vaste lac qui s’étendait au-dessous de lui. Les marins de la Queenand Tzar avaient essayé de prendre quelques poissons, mais en vain. Quant aux oiseaux aquatiques qui voltigeaient à la surface de ces eaux tranquilles, ils ne se laissaient point approcher.

Cependant, sir John et son compagnon, qui ne marchaient pas sans une extrême fatigue, s’étendirent bientôt sur l’herbe, au pied d’un monticule de terre, haut de cinq à six pieds. Un sommeil pesant, plutôt un engourdissement qu’un sommeil, envahit leur cerveau. Sous cette oppression, leurs paupières se fermèrent involontairement. Peu à peu, ils tombèrent dans un véritable état de torpeur. Le vide qu’ils sentaient en eux les anéantissait. Cette torpeur, au surplus, pouvait suspendre un instant les douleurs qui les déchiraient, et ils s’y laissaient aller.

Combien de temps eût duré cet engourdissement, ni le bushman ni sir John n’auraient pu le dire; mais, une heure après, sir John se sentit réveillé par une succession de picotements très-désagréables. Il se secoua, il chercha à se rendormir, mais les picotements persistèrent, et, impatienté enfin, il ouvrit les yeux.

Des légions de fourmis blanches couraient sur ses vêtements. Sa figure, ses mains en étaient couvertes. Cette invasion d’insectes le fit se lever comme si un ressort se fût détendu en lui. Ce brusque mouvement réveilla le bushman, étendu à son côté. Mokoum était également couvert de ces fourmis blanches. Mais, à l’extrême surprise de sir John, Mokoum, au lieu de chasser ces insectes, les prit par poignées, les porta à sa bouche et les mangea avidement.

«Ah! pouah! Mokoum! fit sir John, que cette voracité écœurait.

– Mangez! mangez! faites comme moi! répondit le chasseur, sans perdre une bouchée. Mangez! C’est le riz des Bochjesmen!…»

Mokoum venait, en effet, de donner à ces insectes leur dénomination indigène. Les Bochjesmen se nourrissent volontiers de ces fourmis dont il existe deux espèces, la fourmi blanche et la fourmi noire. La fourmi blanche est, suivant eux, de qualité supérieure. Le seul défaut de cet insecte, considéré au point de vue alimentaire, c’est qu’il en faut absorber des quantités considérables. Aussi, les Africains mélangent-ils habituellement ces fourmis avec la gomme du mimosa. Ils obtiennent ainsi une nourriture plus substantielle. Mais le mimosa manquait sur le sommet du Scorzef, et Mokoum se contenta de manger son riz «au naturel.»

Sir John, malgré sa répugnance, poussé par une faim que la vue du bushman se rassasiant accroissait encore, se décida à l’imiter. Les fourmis sortaient par milliards de leur énorme fourmilière, qui n’était autre que ce monticule de terre près duquel les deux dormeurs s’étaient accotés. Sir John les prit à poignées et les porta à ses lèvres. Véritablement, cette substance ne lui déplut pas. Il lui trouva un goût acide fort agréable, et sentit ses tiraillements d’estomac se calmer peu à peu.

Cependant, Mokoum n’avait point oublié ses compagnons d’infortune. Il courut au fortin et en ramena toute la garnison. Les marins ne firent aucune difficulté de se jeter sur cette nourriture singulière. Peut-être le colonel, Mathieu Strux et Palander hésitèrent-ils un instant. Cependant, l’exemple de sir John Murray les décida, et ces pauvres savants, à demi-morts d’inanition, trompèrent au moins leur faim en avalant des quantités innombrables de ces fourmis blanches.

Mais un incident inattendu vint procurer une alimentation plus solide au colonel Everest et à ses compagnons. Mokoum, afin de faire une provision de ces insectes, eut l’idée de démolir un côté de l’énorme fourmilière. C’était, on l’a dit, un monticule conique, flanqué de cônes plus petits, disposés circulairement à sa base. Le chasseur, armé de sa hache, avait déjà porté plusieurs coups à l’édifice, quand un bruit singulier attira son attention. On eût dit un grognement qui se produisait à l’intérieur de la fourmilière. Le bushman suspendit son travail de démolition, et il écouta. Ses compagnons le regardaient sans prononcer une parole. Quelques nouveaux coups de hache furent portés par lui. Un grognement plus accentué se fit entendre.

Le bushman se frotta les mains sans mot dire, et ses yeux brillèrent de convoitise. Sa hache attaqua de nouveau le monticule, de manière à pratiquer un trou large d’un pied environ. Les fourmis fuyaient de toutes parts, mais le chasseur ne s’en préoccupait pas, et laissait aux matelots le soin de les enfermer dans des sacs. Tout à coup, un animal bizarre parut à l’orifice du trou. C’était un quadrupède, pourvu d’un long museau, bouche petite, langue extensible, oreilles droites, jambes courtes, queue longue et pointue. De longues soies grises à teintes rouges couvraient son corps plat, et d’énormes griffes armaient ses jambes.