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Mais la mitrailleuse se taisait alors. Les Makololos, cherchant un abri contre ce torrent de mitraille, avaient disparu. Ils s’étaient rangés sur les flancs du fortin, laissant le plateau couvert de leurs morts.

Pendant ce moment de répit, que faisaient le colonel Everest et Mathieu Strux? Ils avaient regagné leur poste dans le donjon, et là, l’œil appuyé aux lunettes du cercle répétiteur, ils épiaient dans l’ombre le pic du Volquiria. Ni les cris ni les dangers ne pouvaient les émouvoir! Le cœur calme, le regard limpide, admirables de sang-froid, ils se succédaient devant l’oculaire, ils regardaient, ils observaient avec autant de précision que s’ils se fussent trouvés sous la coupole d’un observatoire, et quand, après un court repos, les hurlements des Makololos leur eurent appris que le combat recommençait, ces deux savants, à tour de rôle, restèrent de garde près du précieux instrument.

En effet, la lutte venait de reprendre. La mitrailleuse ne pouvait plus suffire à atteindre les indigènes qui se présentaient en foule devant toutes les brèches, en poussant leurs cris de mort. Ce fut dans ces conditions et devant ces ouvertures défendues pied à pied, que le combat continua pendant une demi-heure encore. Les assiégés, protégés par leurs armes à feu, n’avaient reçu que des égratignures dues à quelques pointes d’assagaies. L’acharnement ne diminuait pas de part et d’autre, et la colère grandissait au milieu de ces engagements corps à corps.

Ce fut alors, vers onze heures et demie, au plus épais de la mêlée, au milieu des fracas de la fusillade, que Mathieu Strux apparut près du colonel Everest. Son œil était à la fois rayonnant et effaré. Une flèche venait de percer son chapeau et tremblotait encore au-dessus de sa tête.

«Le fanal! le fanal! s’écria-t-il.

– Hein! répondit le colonel Everest, en achevant de charger son fusil.

– Oui! le fanal!

– Vous l’avez vu?

– Oui!»

Cela dit, le colonel, déchargeant une dernière fois son rifle, poussa un hurrah de triomphe, et se précipita vers le donjon, suivi de son intrépide collègue.

Là, le colonel s’agenouilla devant la lunette et, comprimant les battements de son cœur il regarda. Ah! comme en ce moment toute sa vie passa dans son regard! Oui! le fanal était là, étincelant entre les fils du réticule! Oui! la lumière brillait au sommet du Volquiria! Oui! le dernier triangle venait enfin de trouver son point d’appui!

Ç’eût été vraiment un spectacle merveilleux que de voir opérer les deux savants pendant le tumulte du combat. Les indigènes, trop nombreux, avaient forcé l’enceinte. Sir John, le bushman, leur disputaient le terrain pas à pas. Aux balles répondaient les flèches des Makololos, aux coups d’assagaies, les coups de hache. Et cependant, l’un après l’autre, le colonel Everest et Mathieu Strux, courbés sur leur appareil, observaient sans cesse! Ils multipliaient les répétitions du cercle pour corriger les erreurs de lectures, et l’impassible Nicolas Palander notait sur son registre les résultats de leurs observations! Plus d’une fois, une flèche leur rasa la tête, et se brisa sur le mur intérieur du donjon. Ils visaient toujours le fanal du Volquiria, puis ils contrôlaient à la loupe les indications du dernier, et l’un vérifiait sans cesse le résultat obtenu par l’autre!

«Encore une observation,» disait Mathieu Strux, en faisant glisser les lunettes sur le limbe gradué.

Enfin, une énorme pierre lancée par la main d’un indigène fit voler le registre des mains de Palander, et, renversant le cercle répétiteur, le brisa.

Mais les observations étaient terminées! La direction du fanal était calculée avec une approximation d’un millième de seconde!

Maintenant, il fallait fuir, sauver le résultat de ces glorieux et magnifiques travaux. Les indigènes pénétraient déjà dans la casemate et pouvaient d’un instant à l’autre apparaître dans le donjon. Le colonel Everest et ses deux collègues, reprenant leurs armes, Palander, ramassant son précieux registre, s’enfuirent par une des brèches. Leurs compagnons étaient là, quelques-uns légèrement blessés, et prêts à couvrir la retraite.

Mais au moment de descendre les pentes septentrionales du Scorzef:

«Notre signal!» s’écria Mathieu Strux.

En effet, il fallait répondre au fanal des deux jeunes astronomes par un signal lumineux. Il fallait, pour l’achèvement de l’opération géodésique, que William Emery et Michel Zorn visassent à leur tour le sommet du Scorzef et, sans doute, du pic qu’ils occupaient, ils attendaient impatiemment que ce feu leur apparût.

«Encore un effort!» s’écria le colonel Everest.

Et pendant que ses compagnons repoussaient avec une surhumaine énergie les rangs des Makololos, il rentra dans le donjon.

Ce donjon était fait d’une charpente compliquée de bois sec. Une étincelle pouvait y mettre le feu. Le colonel l’enflamma au moyen d’une amorce. Le bois pétilla aussitôt, et le colonel, se précipitant au dehors, rejoignit ses compagnons.

Quelques minutes après, sous une pluie de flèches et de corps précipités du haut du Scorzef, les Européens descendaient les rampes, faisant glisser devant eux la mitrailleuse qu’ils ne voulaient point abandonner. Après avoir repoussé encore une fois les indigènes sous leur meurtrière fusillade, ils atteignirent la chaloupe.

Le mécanicien, suivant les ordres de son chef, l’avait tenue en pression. L’amarre fut larguée, l’hélice se mit en mouvement, et la Queenand Tzar s’avança rapidement sur les eaux sombres du lac.

Bientôt la chaloupe fut assez éloignée pour que les passagers pussent apercevoir le sommet du Scorzef. Le donjon, tout en feu, brillait comme un phare et devait facilement transmettre sa lueur éclatante jusqu’au pic du Volquiria.

Un immense hurrah des Anglais et des Russes salua ce gigantesque flambeau dont l’éclat rompait sur un vaste périmètre l’obscurité de la nuit.

Ni William Emery ni Michel Zorn ne pourraient se plaindre!

Ils avaient montré une étoile, on leur répondait par un soleil!

Chapitre XXII Où Nicolas Palander s’emporte.

Lorsque le jour parut, la chaloupe accostait la rive septentrionale du lac. Là, nulle trace d’indigènes. Le colonel Everest et ses compagnons, qui s’étaient préparés à faire le coup de fusil, désarmèrent leurs rifles, et la Queenand Tzar vint se ranger dans une petite anse creusée entre deux parts de rocs.

Le bushman, sir John Murray et l’un des marins allèrent battre les environs. La contrée était déserte. Pas une trace de Makololos. Mais, très-heureusement pour la troupe affamée, le gibier ne manquait pas. Entre les grandes herbes des pâturages et sous le couvert des taillis paissaient des troupeaux d’antilopes. Les rives du Ngami étaient, en outre, fréquentées par un grand nombre d’oiseaux aquatiques de la famille des canards. Les chasseurs revinrent avec une ample provision. Le colonel Everest et ses compagnons purent donc se refaire avec cette venaison savoureuse qui ne devait plus leur faire défaut.

Dès cette matinée du 5 mars, le campement fut organisé sur la rive du Ngami, au bord d’une petite rivière, sous l’abri de grands saules. Le lieu de rendez-vous convenu avec le foreloper était précisément cette rive septentrionale du lac, échancrée en cet endroit par une petite baie. Là, le colonel Everest et Mathieu Strux devaient attendre leurs collègues, et il était probable que ceux-ci effectueraient le retour dans des conditions meilleures, et, en conséquence, plus rapidement. C’étaient donc quelques jours de repos forcé dont personne ne songea à se plaindre, après tant de fatigues. Nicolas Palander en profita pour calculer les résultats des dernières opérations trigonométriques. Mokoum et sir John se délassèrent en chassant comme des enragés dans cette contrée giboyeuse, fertile, bien arrosée, que l’honorable Anglais eût volontiers achetée pour le compte du gouvernement britannique.