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Aventures périlleuses de trois Français au Pays des Diamants

Première partie

I

Une mine de diamants. – Installation d’un kopje. – Ce qu’on entend par claim. – La fièvre du diamant. – La vie au placer. – Le kopje de Nelson’s Fountain. – Voyageurs et mineurs. – Deux Cafres représentants de la « haute gomme ». – Victimes du krach. – Albert de Villeroge et son ami Alexandre Chauny. – Conséquences d’un duel au pistolet. – Le trésor des anciens habitants de l’Afrique Australe. – En route pour les pays inconnus. – Mystérieux assassinat.

Le kopje (mine de diamants) de Nelson’s Fountain était, ce jour-là, plus que jamais, plein de bruit et d’animation. À l’incessante activité habituellement déployée par les diggers de toute race, de toute couleur, avait brusquement succédé une sorte de frénésie dont un observateur attentif et de sang-froid eût promptement deviné la cause.

De tous côtés, le terrain escarpé, terne, composé de roches dénudées et anfractueuses, est creusé de trous profonds, béants, taillés à pic, et ressemblant à une infinité de carrières. Une poussière impalpable, s’échappe de ces excavations, monte vers la nue en un nuage grisâtre et obscurcit par moments la lumière du soleil. Une singulière particularité frappe tout d’abord l’œil du nouvel arrivant. C’est l’inextricable enchevêtrement de fils de fer accrochés d’un bout au fond de chacun de ces trous, et venant s’arrêter au bord de l’escarpement en formant un angle plus ou moins aigu, selon la profondeur de l’excavation. Sur ces fils, glissent sans relâche de vastes seaux en cuir de bœuf, remplis de gravier, et adaptés à une poulie. Un petit manège semblable à ceux des maraîchers des environs de Paris, actionné par un ou deux hommes, tourne en grinçant et enlève rapidement le récipient aussitôt rempli que vidé.

Aussi loin que la vue peut s’étendre, le sol, raviné, affecte l’aspect d’un immense damier dont les cases ont régulièrement dix mètres de côté. Chaque case est un claim ou lot de terre diamantifère, au fond duquel piochent, bêchent, criblent, vannent, affairés comme des fourmis au travail, des hommes en haillons, dont les faces noires, blanches, jaunes, souillées de boue et de poussière, ruissellent de sueur. Le seau de cuir remonte. Il contient peut-être une fortune. Le piaulement de la poulie s’arrête. Le récipient est vidé sur une table massive implantée au bord du claim. Un blanc en éparpille le contenu d’une main crispée, et cherche d’un regard avide la gemme éblouissante.

Les terres, ainsi inventoriées, sont ensuite déposées dans des brouettes et emmenées au loin, sur de petits sentiers divisant les lots par sections régulières. On frémit en voyant ces hommes marcher ainsi insoucieusement au bord des abîmes où le moindre faux pas les ferait trébucher. Mais, qu’importent à ces fiévreux les accidents assez fréquents d’ailleurs ! De temps en temps, survient un éboulement, une pierre se détache, une brouette dégringole, tant sont étroits ces sentiers pompeusement dénommés routes. Un cri d’angoisse et de douleur retentit et le seau remonte chargé d’un corps humain affreusement mutilé.

Encore une fois, qu’importe ! Le diamant abonde et ces catastrophes individuelles ne sont pour les survivants que de simples accidents. Un Polonais vient de trouver un diamant de quarante-huit carats. Un courtier lui en offre séance tenante cinq cents livres sterling (12 500 francs). L’heureux mineur en demande mille. Le courtier se retire en haussant les épaules.

Un Irlandais aux traits ravagés par la misère et les excès de travail, sursaute tout à coup comme en proie à une folie subite. Il crie, hurle, se démène et expectore toute une série de ces jurons gutturaux dont surabonde la langue celtique.

– ... Arrah !... Arrah !... Bédarrah !... mes frères, je suis mort !... La joie m’étouffe.

» Arrah !... Les enfants seront riches... et je vais boire du wisky.

» Voici un diamant de soixante-quinze carats... Le gentleman en donnera cinq mille livres !... (125 000 francs).

La nouvelle se répand avec la rapidité d’une traînée de poudre jusqu’au fond des claims, et la frénésie des travailleurs redouble encore s’il est possible.

De temps en temps, un mineur, moins impressionnable que l’Irlandais, réprime un imperceptible tressaillement. Son ardeur se ralentit, il semble préoccupé, en dépit de son sang-froid. Puis il opère une singulière manœuvre. De son pied nu, dont les orteils possèdent une dextérité presque égale à celle des doigts, il cherche à saisir un gravier dont son œil exercé a bien vite reconnu la nature. C’est un diamant enfermé dans sa gangue. Il s’arrête un moment, feint de retirer de sa chair un fragment de roche, saisit le gravier et l’avale. Mais un surveillant auquel rien n’échappe a vu le geste. Prompt comme la pensée, il s’affale au fond du puits, saisit à la gorge l’homme qui résiste et l’assomme d’un coup de poing.

– Ouvre la bouche, coquin, ou je te fais pendre.

Mais le voleur est évanoui. Le surveillant tire son bowie-knife, passe la lame entre les mâchoires contractées, opère une pesée et retire triomphant le corps du délit.

– Remontez-moi ce drôle. Qu’on lui applique vingt-cinq coups de fouet... Ce n’est pas la première fois.

Et l’ardente convoitise de tous ces fiévreux étant plus excitée que jamais par ces incidents attestant la richesse du diggin, les recherches continuent avec la même implacable intensité.

Le kopje de Nelson’s Fountain est une mine récemment découverte par des diggers d’avant-garde venus de du Toit’s Pan. Situé par 24° 30’ de longitude Est du méridien de Greenwich, et 27° 40’ de latitude Sud, à l’extrême limite du Griqua-Land-West et à environ cent soixante-dix kilomètres du fleuve Orange, ce district encore inconnu hier, est appelé, dit-on, à devenir un des plus riches de la colonie anglaise du Cap. Mais, pour le moment, l’installation extrêmement défectueuse des engins d’exploitation et le manque absolu de confortable, en font un séjour peu enviable. N’était la perspective d’une fortune instantanée, on se demande comment des êtres humains, confinés dans des trous sans air, calcinés par une chaleur de plus de 40°, pourraient y séjourner même pendant quelques heures.

Si d’une part, l’eau manque à peu près complètement, au point qu’un seau coûte entre un franc et un franc soixante-quinze, d’autre part, le camp est d’une malpropreté répugnante. Et pourtant les Anglais, avec leur esprit méthodique et leur admirable instinct colonisateur, cherchent à remédier à ce déplorable état de choses. Les cases branlantes, les tentes haillonneuses sont installées avec une certaine symétrie, et l’autorité s’occupe, tout en veillant à la sécurité des travailleurs, d’assainir ce foyer de pestilence.

Tout voleur, et ils sont nombreux, qui n’est pas condamné à la peine du fouet, est soumis à quelques jours de travaux forcés. Cette peine, fréquemment appliquée, consiste à nettoyer le camp. Les condamnés, répartis par escouades, font la corvée sous la conduite d’un policeman le revolver chargé à la main. Il semble cependant que plus on enlève les chiffons, les haillons, les débris de boîtes de conserves, les vieilles bottes, les outils brisés, plus on en retrouve quelques heures après. C’est que personne parmi les mineurs ne se préoccupe des lois les plus élémentaires de l’hygiène. On tue un animal, les intestins et la carcasse sont jetés devant la tente ; les noirs, les Chinois ou les chiens s’en emparent, s’enfuient en les dévorant avec gloutonnerie, et les dispersent de tous côtés.