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À sa droite, master Will, que l’on a reconnu, redresse sa haute taille et essaie de payer d’audace, nonobstant la rude mercuriale qu’il vient de recevoir, et malgré la terrible menace qui plane sur sa tête.

À gauche enfin, Albert de Villeroge et Alexandre Chauny, que le gredin ose accuser, en dépit des bons offices dont il leur est redevable, se tiennent tristes et fiers, sans forfanterie comme sans faiblesse, et produisant sur tous ces déclassés qui se connaissent en courage la plus favorable impression.

Albert, dévoré d’angoisse, semble étranger a ce qui se passe autour de lui. Sa pensée accompagne la chère captive au secours de laquelle il voudrait voler, et dont l’implacable fatalité l’a séparé, au moment où, plus que jamais, la pauvre enfant avait besoin de protection.

Il espère pourtant, car Joseph est libre et il a une foi absolue dans l’adresse et le dévouement de son frère de lait. L’essentiel est de sortir de ce mauvais pas. Il essaie de réagir, de vaincre ses préoccupations et il y parvient à peine.

Heureusement qu’Alexandre est là. Aussi à l’aise que s’il se trouvait dans un salon parisien, il semble plutôt un spectateur qu’un acteur du drame qui se joue en ce moment, et auquel il fournira peut-être un terrible dénouement. Il attend paisiblement l’occasion de répondre à une question, et fait son profit de la maladresse avec laquelle vient de procéder master Will. La situation ne lui paraît aucunement compromise, au contraire.

Les diggers, chose rare, conservent leur attitude correcte. Il est en effet, absolument inusité que, dans de semblables conjonctures, on n’ait pas à constater des cris, des imprécations, et jusqu’à des voies de fait se produisant fatalement entre les partisans ou les ennemis des accusés. Ce phénomène est d’autant plus étonnant, que la plupart sont des gens sans aveu ou tout au moins des déclassés auxquels les préjugés sont inconnus.

– J’ai demandé tout à l’heure, reprit le président de sa voix grave, si nous nous trouvions en présence d’un vol ou simplement d’un assassinat.

» Je m’explique. Notre société, à peine en voie de formation, est ainsi organisée, que nous cherchons avant tout à garantir la propriété au moyen de mesures tout à fait exceptionnelles.

» Si nous punissons le vol de mort, nous n’avons pas, quant à présent, à nous occuper des meurtres survenant à la suite de rixes hélas ! trop fréquentes.

– Pardieu ! Il ne manquerait plus que cela, exclama un Yankee occupé à taillader un morceau de bois avec son bowie-knife.

» Est-ce que, dans la plupart des nations civilisées, le duel n’est pas excusé. Ici, nous nous battons quand nous jouons et quand nous avons bu, c’est-à-dire un peu tous les jours. Nous ne faisons de tort à personne et nous sommes bien libres de pratiquer à nos peaux autant de trous qu’il nous convient.

» N’est-ce pas, gentlemen ?

Cette saillie cynique souleva un gros rire qui montrait suffisamment dans quelle singulière situation d’esprit se trouvaient ces aventuriers.

– Aussi, continua l’interrupteur, je vois bien où veut en venir l’honorable président. Il se pourrait que l’un de nous songeât à reprocher à ces deux gentlemen la façon un peu brusque dont ils ont jadis quitté le kopje.

» By God ! Il y en a parmi nous plusieurs qui portent encore leurs marques. Sans compter le pauvre Dick, mon associé, si proprement saigné d’un coup de navaja. Ma foi, tant pis ! C’était de bonne guerre. Ils nous ont canardés à coups de fusil, assommés sous la muraille de l’écurie du Kraal, nous ont fait piétiner sous les sabots d’un escadron de chevaux affolés, tout cela, je le répète, est de bonne guerre.

» By God ! La belle retraite ! J’eusse donné mon claim pour me trouver avec eux. Cela, d’autant plus volontiers, que nous avions tous les torts.

» Comment avons-nous été assez niais pour croire ces lourdauds de Boërs qui voulaient absolument nous faire prendre le gentleman pour Sam Smith le bushranger !

– C’est vrai !... C’est vrai !... exclamèrent vingt voix différentes, avec les accents les plus divers.

– Nous avons revu Sam Smith depuis ce moment, et nous avons pu reconnaître notre erreur.

» Le gentleman l’a échappé belle. Cela nous apprendra une autre fois à être plus circonspects.

– Vous avez raison, reprit haineusement master Will sortant enfin de son mutisme, en se rappelant la menace du président.

» Mais autre chose est de défendre sa vie par tous les moyens possibles, et d’assassiner lâchement, pendant la nuit, un vieillard inoffensif pour s’emparer de son avoir.

Alexandre haussa les épaules et sourit dédaigneusement.

– Gentlemen, un certain nombre d’entre vous se trouvaient au kopje de Nelson’s Fountain quand eut lieu ce crime abominable.

» Le Juif était au diggin depuis quelques jours seulement, lorsque arrivèrent, on ne sait d’où, deux Français. L’un est en fuite en ce moment, l’autre se tient près du principal accusé. Celui-ci travaillait aux mines et vous l’avez également reconnu lorsque nous opérâmes hier son arrestation. Il eut avec les nouveaux venus un conciliabule assez long, puis ils se rendirent, la nuit venue, au dray occupé par le Juif et sa fille.

» Le motif de cette entrevue était de céder le claim qu’il exploitait. Les fonds furent versés par l’acquéreur, et les trois Français disparurent aussitôt.

» Le lendemain matin, le mercanti gisait égorgé dans une mare de sang. Sa fille et sa servante étaient garrottées au fond du dray, le coffre-fort était forcé, et les marchandises mises à sac.

Les deux amis, privés de nouvelles depuis leur départ de Nelson’s Fountain, ignoraient naturellement ce lugubre événement. Se voyant appréhendés par les mineurs que conduisait master Will, apprenant la qualité de celui-ci, et en s’entendant accusés de vol et d’assassinat, Alexandre pensait qu’il allait avoir à répondre de crimes imputables à Sam Smith. Du moment où son individualité était parfaitement établie par les mineurs qui le connaissaient, il espérait, avec juste raison, sortir indemne de cet imbroglio, et démontrer péremptoirement qu’il y avait là, comme toujours, un quiproquo déplorable, produit par sa ressemblance avec le bushranger.

Mais cette accusation si nettement formulée par le policeman, relativement à un crime commis alors que Smith était manifestement absent du Champ de Diamants, compliquait singulièrement l’affaire, et faisait planer sur le jeune homme un danger terrible.

En dépit de son sang-froid, Alexandre tressaillit visiblement, et s’écria d’une voix altérée :

– Assassiné !... Le Juif de Nelson’s Fountain.

– Oui ! monsieur le Français. Assassiné quelques heures avant ce départ précipité que vous avez effectué avec vos deux compagnons.

C’était bien maladroit de votre part. Il fallait au moins rester quelques jours encore. Nul ne vous eût soupçonnés. Tandis que disparaissant seuls du diggin, fuyant en dissimulant vos traces, il y avait fort à présumer que vous aviez de bonnes raisons pour vous éclipser ainsi !