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– Moi !... non, ce sera moi.

Un groupe de diggers se rua près du tronc, en bousculant dans leur précipitation le président et les accusés. L’Américain s’arc-bouta le long du tronc, fit la courte échelle à un de ses compagnons qui escalada lestement les basses branches.

Pendant ce temps, Albert et Alexandre, saisis par des mains brutales, se débattaient avec toute l’énergie du désespoir, soulevant à chaque effort une grappe d’hommes vociférants et furieux.

Ils allaient succomber sous le nombre.

– Jetez-moi les cordes, hurla d’une voix rauque l’individu qui, perché sur la branche, revendiquait le sinistre hommage de préparer l’instrument du supplice.

– Voilà ! lui cria-t-on d’en bas.

Le misérable étendait la main pour saisir à la volée la corde qu’on lui lançait, quand on le vit, à la lueur des torches, porter la main à sa gorge, et pousser un râle étouffé. Il fit de vains efforts pour conserver son appui, oscilla deux ou trois fois, et s’abattit lourdement sur le sol.

Un cri d’épouvante échappa à ses camarades, en voyant enroulé autour de son cou, un serpent bleu d’acier dont les anneaux l’entouraient comme un câble de métal, pendant que la gueule du monstre, largement ouverte, se collait à la peau avec une sensualité hideuse.

En même temps, le sifflement métallique du pickakolou en fureur se faisait entendre sous les feuilles du géant végétal.

III

Invasion de serpents. – Déroute. – Crocodiles en chasse. – Encore une fois réunis. – Terreur de master Will. – Joseph déclare qu’il est « apprenti crocodile ». – « Ceux de l’Alligator ». – Singulière coutume des Bakouénas. – Les talents de Zouga. – Sur le fleuve. – Comment les Bakouénas effectuent les reconnaissances. – Procédés de natation en usage chez les hommes-alligators. – Joseph en compte avec le bushranger lui a « emprunté » sa pirogue. – À travers l’inconnu.

Au moment où le râlement strident du terrible ophidien de l’Afrique Australe se faisait entendre sous les branches du banian, les diggers épouvantés qui s’étaient tout d’abord portés au secours de leur camarade, avaient prudemment opéré un pas de retraite. Tous savaient que sa morsure ne pardonne pas, et nul ne se sentait le courage d’affronter celui qui, collé à la gorge du moribond, semblait se repaître de son sang avec une sensualité gloutonne.

De nouveaux sifflements s’échappant en outre de la futaie aérienne ou s’ébattait sans doute un clan de reptiles, personne parmi les Lyncheurs ne se présenta pour aller assujettir de nouveau l’instrument du supplice. Bien plus, la chute du bourreau volontaire si hideusement cravaté par le pickakolou, avait eu pour résultat immédiat d’isoler du groupe Albert, Alexandre, le président et master Will qui, tous quatre, dans le premier mouvement d’une stupeur bien naturelle, s’étaient adossés au tronc.

Un silence de mort avait tout à coup succédé aux clameurs furieuses emplissant naguère la clairière. Les mineurs en entendant ces sifflements, et appréhendant non sans raison l’arrivée subite de nouveaux reptiles, reculaient de plus en plus en formant un demi-cercle s’agrandissant lentement derrière les torches. L’éclat de ces flambeaux primitifs devait en effet les attirer, et les racines émises verticalement jusqu’au sol par les branches horizontales pouvaient leur offrir de nombreux points de communication avec la terre.

Une détonation d’arme à feu éclata soudain dans la direction du fleuve, et se répercuta comme un tonnerre sur les eaux qui venaient mourir en clapotant à quelques pas. Comme si cette détonation eût été un signal auquel obéissaient les génies malfaisants de cette nature troublée par l’invasion de l’homme, les sifflements se firent entendre de plus belle, et peu à peu on vit se tordre et évoluer doucement le long des lianes, avec un imperceptible susurrement d’écailles froissés, une formidable avant-garde de reptiles. Enroulant et déroulant leurs anneaux avec une molle lenteur, ils semblent prendre un plaisir extrême à darder de droite et de gauche leurs têtes effilées, en imprimant à leurs cols des ondulations capricieuses qui font courir sur leur peau azurée les jeux de lumière les plus inattendus.

Ils se suivent sans précipitation, regardent les flammes de leurs yeux froids et immobiles, font mouvoir avec une étrange volubilité leur petite langue fourchue et s’arrêtent de temps en temps en formant un nœud hideux aussitôt refait que défait. Intimidés sans doute par le fracas qui retentissait tout à l’heure sous l’arbre leur servant d’abri, ils s’enhardissent peu à peu, et s’approchent de plus en plus de la lueur fascinatrice. Plusieurs ont déjà touché le sol. Ils se mettent à ramper la tête haute vers les torches près desquelles ils s’arrêtent bientôt en sifflant de plus belle comme pour appeler leurs congénères.

Les mineurs reculent toujours devant cette effroyable invasion, et semblent oublier entièrement le but de leur réunion. Un certain nombre d’entre eux opinent pour la retraite, sauf à revenir un peu plus tard terminer leur lugubre besogne si dramatiquement interrompue. Un nouvel incident vient tout à coup hâter cette retraite et la transformer en déroute. Des cris plaintifs analogues aux vagissements de nouveau-nés se font entendre dans la direction du fleuve, mais en arrière de la troupe des Lyncheurs. Les eaux brusquement agitées clapotent avec des mouvements de ressac, comme si une flottille de pirogues abordait à la côte.

Ces vagissements, inoubliables pour celui qui les a une fois entendus, sont poussés par les caïmans du Zambèze, les plus féroces peut-être de tout le continent africain.

Nul ne se trompe sur leur provenance, et chacun est édifié sur leur signification. Les voraces amphibies sentent la chair humaine. Ils accourent des profondeurs du fleuve géant sollicités sans doute par les émanations que produit cette assemblée nombreuse.

Quelque amateurs forcenés de pendaison que soient les diggers, il n’est pas de curiosité qui puisse tenir devant cette double alternative d’être mis en lambeaux par les caïmans, ou de succomber sous le venin des serpents.

Un long cri s’élève :

– Les crocodiles !... Les crocodiles !... Sauve qui peut !

Et chacun de tourner bravement les talons, et de gagner au plus vite le chemin battu conduisant du fleuve au diggin Victoria.

Les quatre hommes restent seuls sous le banian d’où tombe de temps en temps quelque nouveau serpent. Master Will, en proie à une morne épouvante, claque des dents, et semble près de défaillir. Les deux Français et l’Ingénieur ont conservé tout leur sang-froid.

– Ma foi, messieurs, leur dit-il à voix basse, je ne m’attendais pas à un dénouement aussi heureux. Vous êtes pour le moment à l’abri de la colère des hommes, tachez de profiter de ce répit pour échapper à la dent empoisonnée des reptiles.

» Tout danger n’est pas conjuré de ce côté, tant s’en faut, mais nous avons chance de nous tirer de ce mauvais pas avec un peu de prudence.

D’un mouvement spontané, Albert et Alexandre tendent, au loyal Irlandais, une main que celui-ci serre cordialement.

– Vous nous croyez innocents, au moins, vous, murmure Alexandre.

– Parbleu ! Vous avez dû vous en apercevoir à la façon dont je dirigeais les débats.

» Mais, trêve de compliments. Je vais essayer d’abattre avec mon coutelas trois fines baguettes bien flexibles. C’est la meilleure arme pour avoir raison de ces vermines.

» Quant aux caïmans, je ne les entends plus. Je doute fort qu’ils pénètrent bien avant sur les terres.

» Restez immobile, je vais me mettre en quête des badines.

– Pas besoin branche pour pickakolous, chef, dit en mauvais anglais une voix gutturale partie des hautes herbes, et appartenant à un individu que l’on ne pouvait apercevoir.