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La conquête du légendaire trésor des anciens rois cafres, après avoir soulevé des compétitions nombreuses et créé des inimitiés irréconciliables, a déçu plus d’une ambition, et fait bien des victimes. Et pourtant, en dépit des difficultés nouvelles surgissant à chaque instant et des périls qui se multiplient comme à plaisir, les convoitises deviennent de plus en plus acharnées. Ce secret si bien gardé jadis, par les premiers dépositaires, est aujourd’hui à la merci de gens sans aveu qui en ont fait leur chose, le motif à peu près unique de leurs entretiens, le but essentiel de leurs existences.

On parle de la découverte de l’opulente cachette de diamants comme d’un événement qui se produira dans un temps plus ou moins long, mais avec certitude. Ceux-là mêmes qui, n’ayant pas interrompu leur labeur quotidien, étreignent dans les claims le manche du pic et de la pelle, ou inventorient anxieusement grain par grain les terres préalablement criblées, demandent, aux allants et venants, des nouvelles de la grande affaire. Ce sont les sages, les moins nombreux, naturellement. Les autres ont déserté l’ouvrage. À quoi bon ce travail de taupes, au fond de fosses calcinées par le soleil, emplies de poussières asphyxiantes, et dont le séjour est rendu si périlleux par de trop fréquents éboulements ! Ne seront-ils pas riches tout à l’heure ! Ne vaut-il pas mieux chanter, boire, se battre un peu, en attendant cet heureux moment ! Les publicains font aux assoiffés un large crédit. On escompte l’avenir, on écorne à l’avance les parts, un peu plus, on les négocierait comme des valeurs de Bourse. D’ingénieux statisticiens, – il s’en trouve partout, – ont calculé la portion probable de chacun. Le chiffre en est fantastique et met à l’envers les cerveaux détraqués déjà par l’alcool. On ne s’inquiète ni de la façon dont s’opérera le partage, ni de ceux qui en seront chargés. On jouera probablement du couteau et du revolver. Qu’importent d’ailleurs ceux qui succomberont. Les survivants auront meilleure part. Entre temps, on cherche fort peu. Il semble que le trésor doive se trouver tout seul. Bref, un vent d’insanité semble avoir soufflé sur le diggin.

Nul ne sait comment s’est répandue cette nouvelle ni quel en a été le premier colporteur. Il a suffi de quelques heures pour qu’elle fût connue de chacun et qu’elle révolutionnât le Champ d’Or. Il est à supposer pourtant que l’ivresse des Boërs a dû être communicative lors des péripéties qui suivirent le combat singulier de Joseph contre l’Américain.

Si, comme on dit vulgairement, les Boërs ont eu la langue trop longue, ils ont dû, tout d’abord, déplorer amèrement leur intempérance. Une fois l’éveil donné, il ne leur a plus été possible de réparer par de tardives dénégations la faute du premier moment. Une expédition fut, séance tenante, résolue, et les deux sauvages blancs en furent, bon gré, mal gré, bombardés chefs par les mineurs aux exigences desquels ils ne purent se dérober. Le ton comminatoire de ces exigences, et les menaces qui les ont accompagnées n’ont pas permis à Cornélis et à Pieter de refuser cet honneur non moins stérile que périlleux. Que répondre à des gens dont la dialectique se borne à la confection d’un nœud coulant ou à la formation d’un peloton d’exécution !

Ainsi mis en devoir d’obéir, les deux frères, faisant contre fortune bon cœur, ont feint de se conformer à l’ultimatum de leurs associés forcés. Ils ont opéré la levée en masse des sacripants dont l’avidité s’accommodait bien mieux des hasards d’une expédition dangereuse, que du travail régulier du diggin. On s’est juré fidélité réciproque, on a largement festoyé à l’occasion du traité, on s’est groupé, puis, on est parti. Les Boërs, tout naturellement, ne pensaient qu’à se soustraire le plus tôt possible à cette troupe encombrante, à rompre leur engagement, et à laisser les aventuriers en tête-à-tête avec leurs illusions envolées.

Douze heures à peine après la sortie du Champ de Diamants, ils firent la rencontre de Klaas qui, fidèle à la consigne transmise par Caïman, le mangeur d’hommes, conduisait au rendez-vous son attelage épuisé. On a vu précédemment quel fut le résultat de la première entrevue des trois vauriens et comment Klaas refusa d’entendre parler d’accommodement. On se souvient enfin du plan diabolique, au moyen duquel il put se soustraire à une attaque probable dont le résultat eût été la ruine absolue d’espérances depuis si longtemps caressées.

Klaas, en employant contre les diggers son sauvage procédé de défense, fournit inconsciemment à ses frères l’occasion de se dérober à leurs avides compagnons. Un hasard prodigieux les ayant mis en possession du plan dressé jadis par master Smithson, ils s’enfuirent quelques heures avant l’empoisonnement des eaux du ruisseau. Nul doute qu’ils n’eussent été poursuivis à outrance par les mineurs furieux, si Klaas n’eût frappé de cécité la troupe entière au moyen du suc redoutable de l’euphorbe. Les malheureux allaient vraisemblablement succomber aux suites de ce traitement barbare, sans l’arrivée providentielle du Bushman et de Zouga.

Cornélis et Pieter, enfin débarrassés, guidés en outre par le Révérend qui pouvait lire la route à suivre sur ce plan, étaient déjà bien loin, jurant qu’on ne les reprendrait plus de longtemps à fréquenter les endroits civilisés où les publicains élaborent des drogues pharmaceutiques, auxquelles il est si difficile de résister, et où d’indiscrètes oreilles recueillent les propos envolés avec les buées d’alcool.

Master Will, pendant ce temps, ne demeurait pas inactif. Confiné au kopje depuis quelques jours, il était complètement resté en dehors de l’expédition ayant pour but le trésor des Rois Cafres. Peu lui importaient tous les diamants du monde, pourvu qu’il retrouvât les auteurs du crime de Nelson’s Fountain. Passionnément épris de ce qu’il appelait son art, désintéressé à sa manière, mais aveuglé par une vanité prétentieuse, il manquait de ce flair qui ne s’acquiert pas et dont le véritable limier de police est instinctivement doué.

Le chien destiné à chasser les fauves apporte en naissant des aptitudes spéciales absolument indispensables aux exercices que son maître exigera plus tard de lui. Si ces aptitudes sont susceptibles d’être développées par un dressage bien entendu, il n’en est pas moins vrai que l’animal auquel elles font défaut ne vaudra jamais rien, quel que soit le soin que l’on prenne de son éducation.

De même le détective auquel la société confie la difficile mission de dépister ces hommes de proie qui constituent pour elle, à l’état permanent, un péril redoutable. La police est un art multiple tout d’intuition, dont on en peut formuler une définition bien précise, qui ne saurait être étudié dans les livres, et dont l’exercice comporte autant de tact que d’intelligence. Une éducation spéciale complétera ces facultés apportées en naissant, et fera, de celui qui les possède, un policier émérite.

Tel n’est pas master Will, qui s’est farci le cerveau de romans judiciaires, et s’imagine de bonne foi être un de ces merveilleux limiers dont l’imagination des romanciers a encore exagéré les exploits. Ses idées relatives à l’assassinat du mercanti ne se sont aucunement modifiées, au contraire. Fourvoyé tout d’abord sur une fausse piste, il s’est acharné à la suivre avec cet entêtement particulier aux cerveaux étroits. Puis, sa ténacité anglo-saxonne aidant, et aussi cette haine inconsidérée que certains Anglais nourrissent encore contre les Français, il s’est plus que jamais arrêté à cette idée stupide qu’Albert et Alexandre doivent être les assassins. Ne lui demandez ni pourquoi ni comment. Il l’ignore complètement, et s’imagine, dans son naïf et injustifiable orgueil, que cette certitude est une des manifestations de son génie.