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– Allons, disait-il en chassant les moustiques acharnés à son épiderme, M. Albert doit penser bientôt au retour.

Alexandre tressaillit soudain en entendant un bruit de branches froissées comme par la brutale trouée d’un fauve. Sa première pensée fut que son ami était en péril. Il allait bondir sur la rive et s’élancer sur sa piste, quand Albert apparut, les yeux hagards, la face et les mains lacérées par les épines, les habits en lambeaux.

Alexandre, pressentant une catastrophe, n’osa tout d’abord l’interroger.

La douleur du malheureux jeune homme éclata soudain en un sanglot déchirant.

– Le wagon est là... vide !... abandonné. Je n’ai plus trouvé de traces !... Rien !...

V

Comme feu son compatriote Marlborough, Sam Smith, s’en « va-t-en guerre ». – Vaincu sans combat. – Ivrognerie et diplomatie combinées. – Le bushranger songe à fonder la raison sociale Sam Smith and Co. – Trois empreintes humaines. – Comment marchent les forçats français et les convict anglais. – Aventures dramatiques de James Willis. – Émanations d’acide formique. – Disséqué tout vif. – Un peu noyé. – Que peut bien devenir un homme qui exécute un plongeon dans la faille de la cataracte Victoria.

L’étoile de Sam Smith, après avoir jadis brillé d’un vif éclat, était bel et bien en passe de devenir une simple nébuleuse. Le bushranger, en véritable philosophe, n’hésita pas à se faire à lui-même cet aveu, dépouillé d’artifice, que décidément l’Afrique Australe ne valait plus rien pour lui, en voyant qu’il était, comme on dit vulgairement, brûlé même chez les indigènes. Sa rencontre inopportune avec les trois Français, au moment où il conduisait les Batokas contre les Makololos, eut pour résultat de le compromettre d’autant plus, qu’Alexandre venait, avec l’entremise de Gun, le fils de Magopo, de réunir, par un pacte d’alliance, les deux peuplades ennemies.

Les noirs en général, et ceux de l’Afrique Australe en particulier, oublient volontiers les engagements contractés entre eux ou vis-à-vis des étrangers quand ces engagements sont relatifs aux actes habituels de l’existence. Mais, ils se montrent généralement de rigoureux observateurs de la foi jurée, lorsqu’il s’agit d’un traité solennellement passé, surtout après exécution du formulaire usité en pareil cas, et exhibition des naïfs emblèmes de leurs grossières superstitions. Or, on avait enterré les pointes de flèches et de sagaies avec les balles et la poudre, le rameau de paix avait été planté sur la fosse, et de plus, Gun était encore nanti du Polouma, ce fétiche redoutable qui confère l’inviolabilité la plus absolue. C’était plus qu’il n’en fallait pour rendre amis Seshéké et Magopo, les chefs des nations rivales. Les deux noirs ne furent d’ailleurs pas longtemps à s’apercevoir qu’il y avait entre eux un malentendu qu’il fallait éclaircir, en buvant, naturellement.

C’est en vain que Sam Smith, désireux de faire parler la poudre et de tirer son épingle du jeu en excitant les deux partis l’un contre l’autre, proférait de bruyants appels aux armes. Magopo désabusé commençait à le regarder de travers, et, n’eût été le respect que les riverains de cette partie du Zambèze professent pour les blancs, sa vie eût couru un danger pressant. Le monarque Batoka, se rendant compte de la faiblesse numérique de ses guerriers, ne se sentait pas d’aise, en constatant l’heureux résultat de la négociation entreprise à son insu par son fils. Il voyait en outre pacifiquement alignés en bataille une superbe rangée de paniers pleins de boyaloa (bière cafre) et devant cet énorme régal des yeux précédant celui de l’estomac, le digne chef ne pouvait plus ressentir la moindre animosité.

Puis, la possession du Polouma, toujours aux mains de Gun, attestait plus que tout au monde, la loyauté des intentions des Makololos. Seshéké, de son côté, fatigué des combats, ne demandait pas mieux que d’apporter une trêve à ces luttes, où ses guerriers bien que victorieux étaient cruellement décimés. Enfin, il professait ainsi que Magopo, une sincère affection pour Alexandre. Il ne fut pas longtemps à édifier son nouvel allié qui ne demandait pas mieux, sur la personnalité du bushranger. Magopo comprit bien vite qu’il avait été le jouet d’un imposteur, et son ressentiment s’accrut d’autant plus que cette erreur était un rude échec pour son orgueil. Avoir cru s’attacher comme auxiliaire un de ces blancs intrépides et loyaux, semblables au vénérable Daoud, et ne posséder que la contrefaçon du chef si vaillant, si désintéressé, auquel il devait la vie, il y avait là de quoi tourner la bile au moins impressionnable des Cafres.

Une série de réflexions, faites en un moment, achevèrent d’éclairer Magopo et de compromettre entièrement Sam Smith. Alexandre apaisait à tout prix les rivalités entre les noirs, il était sobre, n’acceptait pour sa nourriture que le strict nécessaire, et ne faisait jamais allusion au Trésor des Rois Cafres. Smith, au contraire, excita tout d’abord les Batokas au combat, et offrit ses services à Magopo. Il buvait en outre comme un gouffre, s’empiffrait comme un véritable Anglais, et assaillait le chef de propos relatifs aux Diamants des Barimos.

Non, décidément, un tel homme n’avait de commun que les traits du visage avec celui qu’ils appelaient le chef blanc. Son épiderme allait lui sauver la vie, mais il était urgent de lui interdire l’accès du kotla et de le renvoyer poliment à ses propres affaires. Le temps pressait. La bière allait s’échauffer dans les paniers, les guerriers, piqués de la tarentule tropicale, sentaient dans leurs mollets des chatouillements précurseurs d’entrechats fantastiques, il fallait en finir.

L’affaire ne traîna pas en longueur. Master Smith, en voyant le vide se faire tout à coup autour de lui, comprit que la partie était perdue. Ses alliés, tout entiers à la fête qui se préparait, le lâchaient sans plus de façon. Il sentit que la moindre insistance lui serait fatale, en interceptant les regards chargés de haine que lui lançaient les guerriers s’engouffrant pêle-mêle dans la brèche pratiquée à la palissade du kotla. Il affecta une sérénité qu’il était bien loin d’éprouver, en contemplant la ruine de ses espérance, puis, trop heureux d’en être quitte à si bon compte, il tourna noblement les talons dans la direction du fleuve.

– Après tout, se dit-il, comme fiche de consolation, je n’ai pas tout à fait perdu ma journée. J’ai vendu ma carabine un prix raisonnable à ce Français.

» Eh !... Eh !... je deviens un honnête négociant. Est-ce qu’un commerce « loyal » ne vaudrait pas mieux que mon industrie aujourd’hui si compromise.

» Il faudra voir. Plus tard, car je n’ai pas encore joué mon va-tout. Cet imbécile de nègre m’en a dit assez relativement à ce trésor, dont le souvenir me met le feu au tempes, et je ne désespère pas de le trouver, car, en somme, ses indications ne manquaient pas d’une certaine précision.

» À propos, me voici sans armes. Il me faut retourner à ma cachette et me munir du superbe express-rifle de Greener que j’ai emprunté jadis à cet explorateur anglais.

» Puis, je verrai à commencer sérieusement mes recherches. Malheureusement, je suis seul. Pour la première fois peut-être, je déplore cette unité d’action qui jusqu’à présent a fait ma force. Si j’avais pu trouver trois associé, comme ces Français ! à nous quatre, nous nous fussions taillés un royaume. Mais, voilà, ces gentlemen sont perdus de préjugés.

» Tiens !... mais j’y pense. Les Boërs !... Voilà des gaillards qui ne sont pas en nourrice chez les illusions. Diable ! l’affaire mérite un sérieuse réflexion. Mes drôles sont dans le voisinage, en quête de quelque bon coup à faire. Il s’agit de les joindre. C’est possible. Ils sont malheureusement sous la coupe de ce gredin de James Willis, que j’ai bien reconnu sous sa lévite de prédicant. Je me demande ce qui peut motiver cette singulière association ?