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Le Révérend eut comme un éblouissement. Quoique les derniers incidents de sa vie aventureuse eussent dû le mettre en garde contre les manifestations de l’imprévu, il fut littéralement stupéfait. Mais cette stupéfaction n’avait rien que de joyeux, car quelles que pussent être les exigences du reclus, jamais il n’eût osé espérer pour elles une satisfaction aussi complète. Il était encore prisonnier, mais quelle prison plantureuse lui donnait le hasard ! Jugez-en plutôt.

Ce qui frappa tout d’abord son regard, fut une superbe collection d’armes symétriquement rangées le long de la paroi parfaitement sèche, grâce au système de ventilation produit par la conformation de ce retiro mystérieux. Quelques carabines, au canon bronzé, alignaient leurs profils sévères sur la muraille noire. Il y avait des Martini-Henry, des Winchester-express, des Wetterli à répétition, en un mot des spécimens accomplis de l’art contemporain, dans la confection desquels l’arquebuserie semble avoir dit son dernier mot. Les armes de chasse étaient aussi dignement représentées par les fusils à percussion centrale, au milieu desquels apparaissaient modestement des fusils à piston, dont les mérites ne sont pas à dédaigner quand l’approvisionnement de cartouches fait défaut. Les munitions, soigneusement classées par catégories, étaient emballées dans des morceaux de prélart goudronné, de façon à braver des variations atmosphériques fort improbables en pareil lieu.

À côté de ces redoutables instruments de défense et d’attaque, bien enduits d’une couche de graisse, le Révérend aperçut, avec une joie inexprimable, une série de petites caisses contenant, soit du biscuit, soit du tabac, soit des conserves alimentaires variées, enfermés dans des boîtes d’étain ornées de leurs étiquettes multicolores. Puis, des habits de toutes sortes : vareuses de laine bleue, pantalons de même étoffe, chemises de flanelle, bottes à l’écuyère paraissant destinées à chausser des capitans, humbles souliers de piéton, chapeaux de feutre, et jusqu’à des casques insolaires. Puis des couteaux, des sabres d’abatis, des haches, des harnachements complets pour les chevaux, jusqu’à des boussoles, des montres, de l’argenterie, et des nécessaires de toilette !...

Le mystérieux organisateur de ce bazar souterrain devait être non seulement un collectionneur émérite, mais encore un homme comprenant merveilleusement le confort. Dans une sorte de niche, se trouvait en effet un monceau d’épaisses fourrures devant former un lit moelleux auquel le sybarite le plus convaincu n’eût rien trouvé à redire.

James Willis, émerveillé, contemplait, avec un étonnement toujours croissant, ces trésors qui, dans sa situation actuelle, étaient pour lui d’un prix inestimable. Quelque peu superstitieux qu’il fût, il eût volontiers admis l’intervention d’une puissance surnaturelle, ou, tout au moins, la possibilité d’un cauchemar produit sur son esprit ébranlé par les lugubres événements de la veille.

Mais non, la réalité s’offrait à ses yeux sous des formes matérielles dont ses sens ne pouvaient suspecter l’indéniable évidence. Après avoir touché, palpé, inventorié ces objets si disparates, et s’être bien convaincu que la fantasmagorie n’était pour rien dans cette incroyable aventure, il allait, sans plus tarder, procéder à l’ouverture d’une boîte de corned-beef, quand son regard tomba sur une légère dépression du sol. Cette dépression, de forme circulaire, semblait indiquer que la couche de charbon avait été récemment remuée en cet endroit.

Phénomène étrange, cet homme mourant de faim et dont l’unique désir, après une copieuse restauration dont il possédait tous les éléments, eût dû être de se jeter sur le lit, pour goûter quelques heures d’un sommeil réparateur, – cet homme, réduit naguère à la plus affreuse nécessité, n’eut plus qu’une pensée, fouiller ce qu’il pensait être une mystérieuse cachette. Il laissa retomber sa boîte d’étain et planta dans la matière grenue et cassante, formée de fragments de houille pulvérisée, le sabre qui devait lui servir à opérer la section.

Il ne s’était pas trompé dans ses prévisions. Le charbon de terre avait été fouillé peu de temps auparavant, à en juger par sa friabilité. Le Révérend, persuadé que l’objet ainsi enfoui devait posséder une valeur incalculable, pour que le propriétaire de toutes ces richesses se fût donné la peine de le dissimuler ainsi dans ce lieu inaccessible, brandissait avec acharnement sa lame, et retirait les débris avec une telle précipitation, que le sang coulait en filaments rosés sur le noir enduit dont ses doigts étaient souillés.

Le sabre d’abatis rencontra bientôt un corps dur qui rendit sous le choc un bruit sonore.

– J’en étais sûr, murmura le bandit en se penchant sur l’excavation.

» Tiens, c’est un baril. Un de ces tonnelets dans lesquels on conserve les anchois salés dont les publicains sont toujours si bien approvisionnés.

» Cela se conçoit. Les anchois excitent une soif inextinguible, et le publicain, sans avoir besoin, comme on dit, de pousser à la consommation, trouve le moyen d’écouler les vitriols variés composant le fond de son bar.

» Voyons donc ce que contient ce baril. Je serais étonné que ce fût du wisky, bien que mon pourvoyeur anonyme ait semblé négliger l’importante question des liquides.

James Willis exhuma avec effort le tonnelet, et le déposa sur un de ses bouts, juste au-dessous du point central de la rotonde, sur lequel se concentraient les rayons lumineux venus d’en haut.

C’est en vain qu’il essaya de forcer les douves avec la lame de son sabre. Le bois résista à sa pesée, et la pointe se cassa avec un bruit sec. Avisant alors une hache américaine, au croissant élégant et dont l’acier miroitait avec une belle couleur d’azur, il saisit le manche de frêne, et asséna un coup violent sur le fond.

Le bois craqua, les cercles éclatèrent, le récipient se fendit.

Ébloui, fasciné, haletant, le bandit poussa un hurlement de fauve à la vue du spectacle invraisemblable qui s’offrit à ses regards.

Imaginez-vous l’écrin d’une sultane apparaissant tout à coup avec ses fulgurations, la cassette d’un nabab s’ouvrant avec de flamboyantes irisations, la splendide moisson des mineurs de Golconde ou de Visapour s’éparpillant soudain en un capricieux ruissellement de feux multicolores, et vous aurez peine à concevoir l’incomparable splendeur du trésor découvert par le gredin, d’une façon si imprévue.

Le choc de la hache avait fait jaillir, çà et là, des centaines de diamants qui, s’épandant en un semis irrégulier sur la couche de houille, semblaient autant d’étoiles tombées d’un coin de la voûte du firmament, sur une nappe de velours noir. Le Révérend contempla d’un œil affolé cette opulente constellation, et un nouveau rugissement de bête de proie à la curée sortit de sa poitrine. Puis, ses regards se reportèrent sur le baril. L’humble récipient était à demi plein de gemmes de toute grosseur, au milieu desquelles se détachaient jaunâtres et sans reflet, des disques de métal, des pièces d’or, évidemment.

Bien que toutes les pierres composant cette merveilleuse collection fussent encore dans leur état primitif, bien que l’art du lapidaire et le caprice du joaillier fussent étrangers à leur forme et à leur agencement, elles n’en formaient pas moins un trésor inestimable. Leurs facettes naturelles, éclairées par le faisceau lumineux venu d’en haut, accrochaient tous les rayons, et le hasard qui les avait placées sur les pièces de monnaie, leur donnait cet inexprimable scintillement d’un œil de tigre, avec son iris d’or enchâssant sa prunelle à l’éclat troublant.