– À moi !... À moi !... Tout !... hoqueta le gredin en plongeant ses mains au milieu des diamants.
» Je suis riche !... Enfin !... La destinée me devait bien cela !...
Il saisit ensuite à pleines poignées les gemmes, les serrant au point de faire pénétrer les pointes dans sa chair, comme s’il eût besoin de ce contact brutal avec sa propre substance, pour être bien convaincu de leur possession. Puis, insensible à tout le reste, oubliant derechef la faim, la soif et la fatigue, il se mit comme un enfant qui s’amuse à laisser couler du sable entre ses doigts, à faire glisser d’une main dans l’autre, les diamants qui parurent animés, en rappelant les ébats d’un clan de moustiques dans un rayon de soleil.
La muette contemplation de ce grimoire de feu le retint longtemps. Puis enfin, il sembla se raviser. Un spectateur indifférent de cette scène étrange eût cru qu’il allait enfin obéir aux exigences de la nature. Il n’en fut rien. L’âpre convoitise qu’une pareille découverte eût dû assouvir, au moins pour un moment, se manifesta d’une étrange façon. Le misérable laissa échapper dans le tonnelet les poignées de diamants qui retombèrent avec un crépitement sec. Avisant alors les pierres éparses dans les anfractuosités formées par les fragments de charbon de terre, il les ramassa une à une, lentement, posément, pour les replacer avec les autres, comme ces laboureurs parcimonieux qui ne veulent pas laisser perdre les grains de blé tombés de la gerbe.
Ce travail absurde dura longtemps, et le Révérend, succombant enfin sous les exigences de la nature, fatigué de cette émouvante contemplation, sans en être rassasié pour cela, pensa enfin à absorber quelques aliments. Mais, comme s’il eût voulu préalablement opérer une prise de possession définitive, il se mit à enfouir pêle-mêle dans ses poches les diamants et les pièces d’or. Il s’assit alors sur le baril complètement vide, et les jambes dans le trou renfermant tout à l’heure la précieuse cachette, il dévora avidement un biscuit avec un morceau de corned-beef.
Alors seulement, il réfléchit sérieusement à sa position, et se prit à l’envisager froidement.
– Voyons, dit-il, tout en broyant sous ses dents aiguës et tranchantes comme celles d’un loup la briquette comestible, il ne s’agit pas seulement de rester en extase devant cette étrange manifestation de la fortune.
» J’ai perdu un moment la tête, tout à l’heure. Il faut avouer d’ailleurs qu’il y a de quoi, et bien d’autres à ma place eussent fait pis encore. Raisonnons donc comme il convient à un être intelligent.
» Il est impossible d’admettre que je sois dans le lieu où se trouve le Trésor des Rois Cafres. L’agencement de cette grotte souterraine, les objets qu’elle renferme, tout me prouve que le propriétaire ou les propriétaires de ce retiro sont des Européens. Il n’y a pas d’erreur possible. L’ordre parfait que je constate en toutes choses, l’excellent état des armes, la conservation des effets d’habillement et d’équipement, la qualité des vivres, m’annoncent en outre que cet entrepôt est fréquemment visité. Ma claustration ne saurait être bien longue, quand même je ne trouverais pas d’issue.
» Eh ! pardieu, il en existe bien une, mais elle est pour le moment inaccessible à mes moyens actuels. C’est ce damné couloir vertical qui se dresse au-dessus de ma tête comme une cheminée. C’est évidemment par là que s’accomplissent les voyages d’aller et de retour de mes mystérieux et involontaires pourvoyeurs. Il suffit d’une corde à nœuds pour opérer lestement ce mouvement de va et vient. Il me semble, en effet, apercevoir des érosions nombreuses causées sans doute par le contact de ces inconnus avec les parois du passage.
» Mais, qui diable peuvent-ils bien être ! Des mineurs ne s’amuseraient pas à dissimuler ainsi le fruit de leur travail. Ils s’empresseraient de réaliser au plus vite une pareille fortune. Un publicain ne penserait pas à établir ici un entrepôt. Et d’ailleurs, quel serait l’homme assez fou pour laisser dormir ce stock de diamants, et vendre à des ivrognes de l’alcool et du vitriol.
» Une fantaisie de millionnaire peut seule avoir créé une semblable étrangeté. Une fantaisie de millionnaire... qui sait ? Peut-être bien aussi une précaution de voleur.
» De voleur !...
Un rire inextinguible s’échappa à ces mots de la bouche de James Willis.
– Que le diable m’emporte, s’écria-t-il secoué par une hilarité qui s’en allait croissant, si c’était vrai !...
» L’aventure serait extravagante.
» Pourquoi pas ! J’en ai tant vu depuis vingt-quatre heures.
» Je ne connais qu’un seul voleur susceptible d’installer avec tant d’ordre une collection aussi variée. Ce n’est certes pas la première fois qu’il m’est donné de contempler un pareil spectacle, avec les diamants en moins, bien entendu.
» Je me souviens de l’hospitalité jadis offerte en Australie par un gentleman de grands chemins, dans une grotte spacieuse où se trouvaient réunies, avec une entente parfaite du confort, toutes les choses indispensables à l’existence.
» Mon ancien compère, le bushranger, était un homme de précautions, et nous fîmes quelques larges bombances, alors que les détectives de la police coloniale galopaient, mais en vain, sur nos traces.
» Est-ce que le hasard qui, parfois, fait si bien les choses, ne m’aurait pas envoyé dans la maison de campagne de cet excellent Sam Smith ?
» S’il en est ainsi, ma parole, c’est à ne plus douter de rien. C’est bien le cas où jamais de dire que tout arrive dans la vie. Oui, tout arrive. Quelque bizarre que soit ma destinée, j’aurai été le jouet d’événements si imprévus, qu’il ne me manque plus que de devenir un honnête homme.
VII
Première réunion des actionnaires composant la raison sociale Sam Smith and Co. – Le bushranger prétend qu’il faut être honnête quand on est riche. – Ce qu’on entend en Afrique Australe par bœufs salés. – Pieter préposé à l’achat d’un attelage. – Singularités particulières au bétail sud-africain. – Les faiseurs de monstres. – Souvenir aux Comprachicos et à l’Homme qui rit. – Ornementation ou mutilation. – La maladie des bœufs. – Virus toxique et virus vaccin. – Adeptes sans le savoir de la doctrine de M. Pasteur.
Pendant que le Révérend, après avoir échappé à la terrible vengeance de Sam Smith, évoluait dans la grotte mystérieuse, le bushranger tenait conseil avec ses nouveaux associés. Les trois hommes avaient gagné la terre ferme et, laissant sur la droite le chemin conduisant au kopje Victoria, s’étaient dirigés vers les collines basaltiques enserrant le Zambèze en aval des Cataractes. Un sentier, ou plutôt une espèce de corniche accrochée au sommet de la muraille à pic, au bas de laquelle mugissaient les eaux, les conduisit à une plate-forme entourée d’un épais rempart d’aloès, d’euphorbes et de nopals. Grâce à quelques éclaircies pratiquées habilement dans cette redoutable haie vive, hérissée de piquants devant lesquels eût reculé un régiment, ils pouvaient examiner, dans un périmètre immense, la plaine qui s’étendait à perte de vue.
Les deux Boërs, accroupis devant un monstrueux quartier de venaison froide, qui eût largement suffi au repas d’une escouade de soldats anglais, avaient tiré leurs couteaux et s’apprêtaient à engloutir quelques larges bouchées. Smith, assis sur un fragment de roche, consultait attentivement le plan tracé sur un mouchoir par le malheureux père de madame de Villeroge, et jetait de temps en temps de rapides regards sur les terres environnantes.