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» Allez !

– Au revoir, gentleman.

– Au revoir, mon garçon.

Le bushranger se remit à son étude topographique et Cornélis reprit sa faction, pendant que Pieter, insoucieux du vertige, descendait, avec sa placidité habituelle, l’abrupt sentier aux escarpements capricieux.

En moins de deux heures il avait rejoint les mystérieux possesseurs du troupeau. Il reconnut aussitôt les sauvages cavaliers, – en admettant toutefois que ce mot de cavaliers puisse s’appliquer à des hommes faisant leurs montures de bêtes à cornes, – pour appartenir à une fraction de la tribu des Makololos.

Le Boër qui n’ignorait ni leurs coutumes ni leur idiome, les aborda en homme pour lequel n’a pas de mystère le formulaire primitif du désert. L’accueil qu’il reçut fut, pour ce motif, d’autant plus cordial que son épiderme blanc avait en outre prévenu tout d’abord ses hôtes en sa faveur. Sachant l’attachement que portent les Makololos à leurs animaux, il examina en connaisseur le troupeau, et s’extasia sur la beauté de ceux qui le composaient.

Il y a en effet de quoi faire pâmer d’aise le moins impressionnable des éleveurs, et exciter tout à la fois un profond étonnement chez celui-là même qui eût été familiarisé antérieurement avec les procédés bizarres employés à l’égard de leur bétail par les sauvages africains.

Les bêtes composant ce troupeau appartiennent à deux races différentes. L’une, qu’ils appellent Batoka parce qu’ils l’ont prise à la tribu de ce nom, est de petite taille, mais de formes admirables, et de tous points semblable à celle que les Anglais appellent courte-corne. Les vaches sont bonnes laitières, et d’une excessive douceur. Les bœufs, très familiers, servent de monture. Ils sont d’une gaieté remarquable. Il suffit que le pâtre qui les précède commence à sauter, pour que le troupeau tout entier se mette à gambader follement. Le soir, ils reviennent en folâtrant se coucher auprès des feux allumés pour la nuit, et restent volontiers à côté de leurs maîtres sans qu’il soit utile de les entraver.

L’antre race qu’ils appellent Barotsé, parce qu’elle est originaire de la vallée de ce nom est énorme. Il n’est pas rare de voir des bœufs mesurant près de deux mètres du sabot à l’épaule. Haut montés sur leurs longues jambes, sèches, ils porter fièrement leur tête aux cornes démesurées atteignant parfois deux mètres, cinquante de longueur.[51]

Ces appendices naturels dont la croissance est très rapide, ont de tout temps excité l’instinct décoratif des Cafres qui, patients à rendre des points aux Chinois et comme eux amateurs de formes étranges, s’ingénient à leur faire prendre les apparences les plus invraisemblables. Depuis Levaillant jusqu’à Livingstone, tous les voyageurs ont contemplé, avec un étonnement voisin de la stupeur, ces cornes, affectant l’aspect de cercles parfait, de bois de cerf ou de spirale. Tel bœuf porte quatre, six et huit cornes, chez tel autre, elles sont réunies et soudées en une seule comme celle de la licorne héraldique, etc.

Le bon Levaillant, curieux de connaître la méthode grâce à laquelle les artistes de pays obtenait d’aussi bizarres résultats, voulut en faire l’apprentissage, et suivit, comme il le dit plaisamment, un cours complet sur la matière.

Ils prennent, autant que possible, l’animal en bas âge. Dès que la corne commence à ce montrer, ils lui donnent verticalement un petit trait de soie ou de tout autre instrument tranchant et la partagent en deux. Le tissu en voie de formation, loin de se rapprocher, s’isole de lui-même, et les deux fragments croissant indépendants l’un de l’autre. L’animal, de cette façon, porte quatre cornes bien distinctes. Son maître veut-il qu’il en ait six et même huit, il multiplie les traits de scie et les croise autant de fois qu’il veut en obtenir. S’agit-il de forcer l’une de ces divisions ou la corne entière, d’affecter, par exemple, un cercle complet, le Cafre enlève, à côté de la pointe qu’il se garde bien d’offenser, une légère partie de son épaisseur. Cette amputation, souvent renouvelée et exécutée avec une patience infinie, amène la corne à se courber en sens contraire et la pointe venant peu à peu se joindre à la racine, elle offre un cercle parfaitement régulier. On conçoit sans peine que l’incision produisant toujours une courbure plus ou moins forte, il est possible de varier à l’infini l’aspect de ces appendices dont quelques-unes sont positivement invraisemblables.

L’espèce dite batoka n’ayant pour ainsi dire pas de cornes, les Cafres ne se tiennent pas pour battus. À défaut des excroissances frontales, c’est la peau de l’animal qui est maquillée, transformée, mutilée au goût baroque des sauvages artistes. Les uns donnent à la robe de leur bête favorite, l’apparence de celle du zèbre. Ils lui tracent à cet effet sur le col, l’échine et la croupe, des raies transversales et parallèles avec une lame brûlante, de façon à décolorer le poil mis en contact avec le métal. Les autres dissèquent patiemment des lanières de peau autour de la tête, des cuisses et des jarrets. Les plaies rapprochées par des points de suture habilement pratiqués n’offrent bientôt plus que des cicatrices linéaires, et les lanières qui restent attachées à leur base, retombent en affectant la forme de collerettes et de bracelets.

J’en passe et des plus extraordinaires.

Ces animaux supportent avec une singulière impassibilité cette série de modifications plus barbares peut-être dans la forme que douloureuses dans l’application, étant donnée la patience, la dextérité de ces primitifs faiseurs de monstres, rappelant, toutes proportions gardées, les comprachicos dont notre immortel Victor Hugo a raconté, dans l’Homme qui rit, les sauvages pratiques.

Les bœufs cafres, employés au joug ou à la selle sont, en raison de leur éducation, susceptibles de rendre d’inappréciables services. Ils sont, en outre, grâce à certaines pratiques auxquelles les soumettent les éleveurs indigènes, prémunis contre une maladie terrible qui les décime cruellement, et qui est connue là-bas sous la dénomination de maladie des bœufs. Quelque vague que soit cette appellation, je la préfère pourtant à celle de maladie pulmonaire que lui donnent les Anglais du Cap et les Hollandais du Waal. Cette affection, à forme endémique, sévit avec une effroyable intensité dans l’Afrique Australe, surtout entre les 15° et 27° de latitude Sud. Elle débute brusquement par une pneumonie intense qui se termine fatalement par la mort sept fois sur dix. Je serais personnellement porté à croire que cette pneumonie est seulement la manifestation d’un état pathologique spécial, analogue à l’intoxication charbonneuse dont un des savants les plus éminents de notre époque, M. Pasteur a si merveilleusement défini les effets et les causes.

En effet, la chair des animaux ayant succombé à cette affection donne le charbon aux personnes qui en mangent, et la moindre piqûre pratiquée avec un instrument souillé du sang de la bête donne également naissance au charbon. Le fait, relaté par les missionnaires, s’est fréquemment produit, et les Cafres sont morts en grand nombre en dépouillant les bœufs ou en fabriquant des boucliers avec les peaux.

Désespérant d’opposer une médication curative à ce fléau qui décime leurs troupeaux, les indigènes, avec une sagacité que l’on ne saurait trop admirer, ont songé à appliquer un remède préventif. Ce remède, c’est l’inoculation.

Vous avez bien lu, l’inoculation. Longtemps avant les mémorables expériences de Pouilly-le-Fort, qui, tout récemment, ont définitivement consacré l’infaillibilité des doctrines de l’illustre Pasteur, d’humbles sauvages pensèrent à enrayer la marche du mal, en provoquant ce mal d’une certaine façon.

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51

Le docteur Livingstone a rapportée du pays des Makololos, des cornes ayant précisément ces dimensions. On peut les voir au British Muséum.