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Loin de nous la pensée d’établir le moindre parallèle entre l’empirisme grossier de ces primitifs enfants de la nature, et la méthode rigoureusement scientifique employée par le maître, qui ne peut qu’être satisfait en voyant cette confirmation aussi nouvelle qu’inattendue donnée à sa découverte.

Voici comment procèdent les Cafres. Quand un animal infecté succombe, on isole séance tenante ses congénères. La bête morte est ouverte et ses poumons enlevés de la cavité thoracique. La substance pulmonaire renfermant le principe morbide est ensuite soumise à une cuisson modérée dans un vase de cuivre. Cette matière sert à enduire des mèches de coton qui vont faire pénétrer dans le sang de l’animal sain le virus retiré des organes de l’animal mort. La mèche, passée dans une longue aiguille, est introduite à la partie inférieure de la queue par l’opérateur, qui a soin de ne pas piquer les vertèbres caudales. Un point de suture immobilise le fragment de mèche, l’opération est terminée.

Une inflammation de moyenne intensité se déclare peu après au point où a été pratiquée l’inoculation et le bœuf sera généralement préservé contre la maladie, sans autre dommage que la perte de sa queue, laquelle se mortifie souvent, ou est pendant un certain temps le siège d’un léger écoulement purulent.

On assure que la mortalité, qui est de sept dixièmes pour le bétail n’ayant pas subi cette opération, n’est plus que de trois dixièmes après l’inoculation.

Ceux qui ont suivi les phases de la découverte de M. Pasteur comprendront tout d’abord que le point caractéristique de l’inoculation opérée par les Cafres n’est pas l’inoculation elle-même, mais bien la coction préalable du virus toxique. C’est là en effet la chose essentielle. Ce virus introduit tel quel dans un organisme sain, produirait infailliblement la maladie et amènerait la mort du sujet. Tandis que, après avoir été soumis à une certaine température, il perd une partie de sa toxicité, détermine chez l’animal inoculé une indisposition légère à la suite de laquelle il sera presque toujours indemne de l’affection mortelle. En un mot, il contractera, grâce à l’inoculation du virus atténué, la maladie charbonneuse à un degré très faible, et comme cette maladie ne récidive qu’exceptionnellement, il ne sera plus exposé aux risques de la contracter de nouveau.

Mais revenons aux Makololos, dont cette intéressante digression nous a pour un moment éloignés.

On conçoit sans peine quelle valeur doivent acquérir les bœufs dont la queue, plus ou moins écourtée, atteste cette précieuse immunité. Le voyageur en possession d’un pareil attelage peut espérer traverser sans trop de désagréments les espaces inconnus à travers lesquels le pousse son humeur aventureuse. S’il prend soin d’éviter les districts infestés par la tsé-tsé, s’il éclaire sa route de façon à trouver des pâturages, il atteindra lentement, mais presque sûrement son but ; soit qu’il s’éloigne des lieux civilisés, soit qu’il revienne avec une opulente cargaison de fourrures, d’ivoire ou de plumes d’autruche.

Comme jusqu’à présent il a été à peu près impossible, en raison de la difficulté des communications, d’obéir aux prescriptions du fameux adage américain « Times is money », le temps semble ne pas exister pour les habitants blancs ou noirs de ces régions inexplorées. La moindre négociation entraîne le plus souvent à des lenteurs qu’il est impossible d’abréger, et dont il est parfois difficile d’entrevoir la fin. Aussi, Pieter, comprenant qu’il lui faudrait palabrer, c’est-à-dire parlementer longtemps, – on pourrait dire dans l’espèce maquignonner, – s’arrangea-t-il de façon à employer le plus agréablement possible les moments qu’il allait avoir à passer chez les Makololos.

Trop rusé pour risquer de compromettre par des offres hâtives le succès de sa négociation, il se conforma rigoureusement aux prescriptions de Sam Smith et mit en œuvre toute sa finauderie de sauvage blanc pour éloigner le plus possible ses hôtes des environs du kopje Victoria. Il y réussit d’autant plus facilement que le hasard le servit à souhait. Des taillis entiers de mokoun couvraient le sol sur une assez vaste étendue, et les noirs, appréhendant avec juste raison pour leur animaux la présence de cet arbuste redoutable, acquiescèrent volontiers aux propositions du Boër et lui surent un gré infini de cette attention délicate dont ils appréciaient la valeur.

Tout en opérant cette retraite, Pieter se mit en devoir de sonder habilement les intentions du chef, relativement à une cession probable d’une partie du troupeau.

La réponse péremptoire qu’il reçut, augmenta encore sa convoitise tout en ne lui laissant aucun espoir. Les indigènes se refusaient absolument à vendre une seule tête de bétail.

Pieter dissimula son mécontentement et se dit en aparté :

– C’est bon. Ce qui n’est pas à vendre est toujours à prendre et dussé-je profiter de la nuit pour couper le cou à tous ces moricauds, j’aurai mon attelage.

VIII

L’orgie au désert. – Plus de travail. – Les victimes de Klaas. – Aux armes !... – Fanfaronnades. – Souvenir aux aventuriers de la Soñora. – Arrivée d’un parlementaire. – L’ultimatum. – « Blancs !... il faut partir. » – Conséquences terribles d’une violation du droit des gens. – Déclaration de guerre. – Les flèches à plume rouge. – Bataille. – Sombre épilogue d’une scène d’ivresse. – Vengeance de Pieter. – Réapparition de Caïman-le-mangeur-d’homme.

Après la brusque interruption des assises nocturnes tenues sous le banian, les Lyncheurs, mis en déroute par l’invasion des reptiles, s’étaient précipités pêle-mêle dans la direction de la tente où le publicain débitait ses drogues. Le digne négociant, en homme qui connaît ses habitués, s’était bien gardé, malgré l’heure avancée, de fermer boutique. Sachant par expérience qu’il y aurait, au cours des débats, beaucoup de paroles échangées, au besoin des horions, il pensait avec raison, que les jurés improvisés verraient leur soif chronique tourner indubitablement à l’état aigu. En outre, les émotions produites par le spectacle dramatique d’une pendaison en partie double exécutée à la lueur des torches, devraient immanquablement se répercuter à tous les estomacs et augmenter jusqu’aux extrêmes limites de l’impossible, les besoins habituels d’absorption.

Depuis longtemps blasé sur ces terribles scènes, grâce à une longue pratique des champs d’or et de diamants, l’empoisonneur du kopje Victoria était donc resté à son poste et avait conservé son personnel sous la main, en dépit des protestations élevées par les serviteurs qui voulaient prendre leur part de la fête du sang. Chacun avait dû, bon gré, mal gré, obéir, car le publicain, un robuste gaillard de cinq pieds dix pouces, taillé comme un boxeur, ne plaisantait pas. On s’était mis au travail en prévision de l’affluence de consommateurs. Des punchs énormes étaient prêts à être incendiés, des bouteilles d’un champagne innommé s’alignaient en bataille, au milieu de gobelets d’étain fraîchement fourbis. Les jambons, exhumés de leurs enveloppes de toile aux cachets multiples, arrivaient accompagnés d’une âcre senteur de fumure, avec les inévitables anchois cristallisés dans leur sel, pendant que dans l’officine, s’élaboraient les breuvages odorants et corrosifs pour l’absorption desquels les buveurs doivent posséder des estomacs en tôle d’acier.

Un brouhaha, lointain encore, se fit entendre. Le publicain dressa l’oreille et cria d’une voix de stentor :