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– À vos places !... comme un capitaine d’artillerie quand il commande le sacramentel : Canonniers !... à vos pièces !

En un clin d’œil chacun fut à son poste, prêt à verser à flots les liquides dans les cratères humains. Le tapage grandit et devint un inexprimable tumulte. Les mineurs arrivaient en débandade, et en proie à une émotion facile à concevoir. Aussitôt, les punchs flambèrent, et les champagnes détonèrent bruyamment. Une véritable salve accompagnée d’un feu d’artifice.

Puis, chacun se rua sur les victuailles solides et liquides.

De mémoire de digger, on ne vit pareille absorption. Et quels cris, quel fracas de propos interrompus, quel tintamarre ! C’était à qui parlerait sans même penser à écouter, tant chacun mettait de feu à raconter, avec mille variantes et d’après ses propres impressions, l’étrange épilogue de la scène nocturne.

Une seule chose avait manqué pour que la fête fût complète. La pendaison des accusés. Il est vrai que, en revanche, l’apparition des serpents, la fin terrible du bourreau volontaire, la mort probable de Master Will offraient une compensation. C’étaient là des événements assez inusités pour satisfaire, au moins présentement, aux exigences des plus difficiles. Naturellement, nul ne pensait à aller s’enquérir du sort des victimes. C’est à peine si l’absence de l’Ingénieur fut remarquée. On avait, pardieu ! bien autre chose à faire.

Quant aux accusés, étaient-ils bien réellement coupables ? Ils avaient d’ailleurs été très crânes, et la dignité de leur attitude avait vivement frappé ces irréguliers, excellents juges en matière de courage. Qu’ils aient été aussi la proie des serpents ou qu’ils aient réussi à s’échapper, il y avait gros à parier qu’on ne les reverrait pas de sitôt. Il était donc inutile de s’en occuper davantage.

On se mit en conséquence à boire de plus belle ; les cris retentirent avec une nouvelle intensité, et des refrains bachiques, vociférés sur tous les tons et dans tous les idiomes, complétèrent bientôt cette orgie. De temps en temps, un ivrogne congestionné à éclater glissait de son siège, battait de ses mains crispées l’air surchargé de miasmes et s’effondrait sous une table. Sa chute était saluée de rires bruyants et bientôt un ronflement sonore venait se mêler en faux-bourdon aux clameurs emplissant l’immense maison de toile. Il y avait en outre de ces terribles buveurs susceptibles de résister aux plus formidables excès. Ceux-là avaient besoin d’un nouvel excitant. Le publicain qui les contemplait d’un œil où brillaient à la fois l’admiration et une nuance d’attendrissement, apporta des cartes graisseuses et des tapis de drap, dont la trame disparaissait sous une couche indécise composée d’huile, de sirop et peut-être de sang. On joua un jeu d’enfer. Les tables raboteuses du bar sauvage autour desquelles se pressaient des joueurs de tous pays, portèrent des enjeux qui eussent fait le désespoir des beaux fils éparpillant follement leur fortune sous les girandoles de nos cercles en renom. Les vociférations s’apaisèrent peu à peu. On n’entendit bientôt plus que le claquement métallique des petites balances où se pesaient les mises et les mots techniques usités en pareil cas par les pontes.

De temps en temps, la sourde exclamation d’un mineur décavé, ou l’involontaire cri de joie poussé par un gagnant troublait ce demi-silence. Les diamants ruisselaient de toutes parts, et l’ardente convoitise de tous se lisait sur ces yeux luisants, sur ces visages crispés. Il suffisait de quelques minutes pour faire et défaire une fortune, et annihiler le dur labeur de longs jours de souffrances.

Les cachettes mystérieuses auxquelles avaient été confiées des trouvailles parfois opulentes étaient ouvertes sans plus tarder et tel qui venait de perdre en un moment les appointements d’un ambassadeur, disparaissait pendant une demi-heure pour reparaître le front plein de sueur, les mains terreuses, les poches pleines. Des expressions n’ayant rien d’évangélique se mêlaient parfois à cette technologie de joueurs, la même par tous pays.

Certains personnages d’une moralité plus que suspecte voulaient corriger les défaillances de la fortune.

– Vous trichez !... hurlait le volé.

– Moi !... Vous en avez menti.

– Allons donc vous êtes bourré de portées.

» Landlord !... empoignez-moi ce rascal.

– Bas les pattes où je t’éventre, empoisonneur.

– Tout beau, disait le publicain de sa voix enrouée d’athlète dont les cordes vocales ont été éraillées par les boniments sur les tréteaux des foires ; tout beau, mon camarade.

» Je pourrais vous aplatir la face d’un coup de poing. Je préfère ceci...

Il mettait sous le nez du récalcitrant un revolver bull-dog et ajoutait, en goguenardant :

– Allons, à la porte ou remettez-moi les cartes qui matelassent votre poitrail.

» Dépêchons. Pas d’hésitation et pas de fausse sortie. Un revolver, c’est un coup de poing qui porte à vingt-cinq pas, et je réponds de mon coup.

Le voleur s’exécutait généralement et restituait les mises qu’il s’était indûment appropriées, puis, le jeu reprenait, jusqu’à ce qu’un nouvel incident du même genre se terminât de la même façon, à moins que le larron ne fit la mauvaise tête.

Ah ! pardieu, c’était bientôt fait. Une détonation aiguë éclatait. La cervelle du mécréant éclaboussait ses voisins, puis deux hommes de bonne volonté empoignaient le cadavre par chacun un bout et l’emportaient jusqu’à la porte. Les morts se comptaient seulement après la fête.

Il fallait un lendemain à cette orgie monstre. La nuit fut bientôt passée sans que les joueurs pensassent à se retirer. Le jour vint. Les buveurs ivres morts s’éveillèrent un à un, la bouche sèche, les membres brisés. Ils burent de plus belle et recommencèrent le plus naturellement du monde les excès de la veille. Ceux que l’ivresse avait surpris les poches pleines prirent la place des joueurs ruinés, et ces derniers, largement abreuvés par les gagnants, roulèrent à leur tour sous les tables. Il y eut une simple substitution, un chassé-croisé dont nul ne put ou parut s’apercevoir. Personne ne pensa à reprendre le travail ; les claims furent désertés et le chômage devint général.

Jamais depuis sa fondation, très récente il est vrai, le kopje Victoria n’avait présenté un pareil spectacle. Ces alternatives de pertes et de gains instantanés remplaçant l’âpre labeur exécuté dans les terres diamantifères, eurent une influence déplorable sur l’esprit des mineurs. Il suffit d’un simple mot, tombé incidemment des lèvres d’un ivrogne, pour affoler indistinctement ces hommes qui, jusqu’alors, avaient pour la plupart obéi à la loi du travail. L’un d’eux, dont le jeu avait nettoyé les poches jusqu’à siccité complète, insinua le plus naturellement du monde qu’il suffirait d’un bon coup, d’un seul, pour conquérir en un moment, et sans grande peine, une opulence fantastique. Un certain nombre parmi les mineurs n’étaient-ils pas partis l’avant-veille à la recherche de ce fastueux trésor dont chacun parlait et dont l’existence était affirmée de toutes parts ?

– Car, en somme, continua l’orateur, si nous avons plaisanté, au moment de leur départ, aux dépens de nos compagnons enthousiasmés, en leur prédisant un prompt retour au milieu de nous, nul n’est encore rentré au kopje, ce qui tenterait à prouver que leurs recherches ne sont pas aussi vaines que nous l’avons supposé tout d’abord.

Un incident imprévu donna, sans plus tarder, un démenti formel à cette péroraison, et arrêta les bravos retentissants qu’elle avait soulevés chez les buveurs en proie à la double surexcitation de l’alcool et de la cupidité.

Une dizaine de mineurs hâves, déguenillés, se soutenant à peine et paraissant succomber de fatigue et de besoin, pénétrèrent soudain sous la tente emplie d’un tumulte indescriptible. Leur entrée produisit une impression d’autant plus pénible, que trois ou quatre portaient à la poitrine des plaies béantes rougeoyant à travers des lambeaux de vêtements. Ils étaient en outre presque entièrement aveugles, à en juger par leurs paupières violacées, tuméfiées, clignotant péniblement devant les lumières obscurcies par d’épais flocons d’une fumée suffocante produite par l’horrible tabac des traitants.