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» Vous avez encore avancé, et vous êtes maintenant à quelques portées de flèches de Motsé oa Barimos !

» Blancs ! Votre présence ici est une insulte pour nous, et un sacrilège pour nos dieux. Ce ne sont plus seulement les plumes et l’ivoire que vous voulez maintenant, mais encore les pierres enfouies par nos pères dans les cavernes où tonne la voix de nos divinités.

» Cela ne sera pas. Vous allez partir, abandonner le lieu où vous êtes, et vous retirer dans les pays du Sud.

» Blancs ! vous m’avez entendu. Partez ! il le faut ! je le veux.

Un large éclat de rire éclata dans l’assistance et suivit ce sauvage ultimatum proféré pourtant avec une incomparable dignité. Le charme était rompu. Les mineurs pensant avoir bon marché de cet homme qui ne recevait aucun renfort, et croyant avoir affaire à un fou, riaient à se tordre. Les lazzis d’un goût plus que douteux pleuvaient de toutes parts.

– Ma parole, il est à empailler pour une ménagerie.

– By god ! Il va bien, le compagnon. Abandonner comme cela une exploitation en plein rapport...

– Sous prétexte que nous gênons ses Manitous !

– Landlord ! donnez-lui donc un shelling.

– Payez-lui un verre de Cape-brandy, il aimera mieux cela.

Un incident déplorable dont les suites furent affreuses, interrompit soudain ces propos équivoques.

Le chien d’un revolver tourmenté sans doute par la main imprudente d’un ivrogne, s’abattit. Une détonation éclata, et la balle, par le plus malencontreux de tous les hasards, vint frapper à l’épaule le noir toujours immobile.

Cette blessure, reçue en pareil moment, le rendit furieux. Un frisson rapide le secoua de la tête aux pieds, puis, il pâlit comme pâlissent les nègres ; sa peau devint gris-de-cendre. Sans vouloir ni même pouvoir s’arrêter à cette pensée qu’il était victime d’un accident, il ne vit qu’une infâme lâcheté dans cette brutale et probablement involontaire violation du droit des gens.

Il poussa un cri terrible. Arrachant de son carquois une flèche empennée de blanc, il rougit cette plume au sang coulant de sa blessure et la lança sur le sol en criant :

– Blancs ! Je ne voulais pas la guerre. Mais vous avez blessé l’envoyé d’une grande nation, vous serez tous exterminés.

» Ici vont pleuvoir les flèches à plume rouge.

Puis, s’élançant d’un bond de tigre à travers les mineurs interdits, il disparut sans que nul eût osé s’opposer à sa retraite.

L’effet de sa menace ne fut pas long à se manifester. Quelques minutes s’étaient à peine écoulées que les hurlements qui avaient signalé l’arrivée du noir plénipotentiaire, recommencèrent avec une nouvelle intensité. Alors, la tente, éventrée en plus de cent endroits, livra passage à une légion de démons. Nus comme la main, couverts d’un épais enduit de graisse de buffle, excellente pour empêcher les prises de corps, armés de leurs petites flèches enduites du n’goua, le poison contre lequel il n’existe pas de remède, les sauvages africains se ruaient contre les blancs avec l’irrésistible élan de fauves attaquant leur proie.

– Tue !... Tue !... à mort !... criaient-ils dans leur langage guttural.

Puis, une grêle de flèches fendit l’air avec des sifflements sinistres.

Le publicain dont la clientèle et le mobilier se trouvaient du même coup menacés, s’était retranché derrière la table, lui servant de comptoir. C’était un intrépide compagnon que rien ne pouvait troubler. Un revolver de chaque main, il se préparait à ouvrir un feu d’enfer.

– Attention, camarades, fit-il sans manifester aucune émotion. Visez en plein poitrail et ne tirez qu’à coup sûr.

» Feu !...

Un véritable feu de peloton éclata soudain, enveloppant les combattants d’une flamme rouge et d’un nuage de poudre. Plusieurs noirs tombèrent, mais nul ne recula.

– Hardi ! camarades, hardi ! criait le publicain qui apparaissait entouré de fulgurations.

Peine inutile. La furie des assaillants était à ce point terrible, que les mineurs ne pouvaient plus faire usage des armes à feu. Le temps leur manquait d’ailleurs pour recharger les revolvers dont ils avaient, en un instant, brûlé inconsidérément les cartouches.

Une bataille corps à corps s’engagea bientôt. Lutte sauvage et sans merci, toute à l’avantage des noirs dont les corps agiles se dérobaient aux étreintes les plus énergiques. Les diggers, pleins de terreur, s’aperçurent alors qu’ils étaient voués à une véritable extermination, et qu’ils ne devaient attendre ni trêve, ni merci.

Les Africains, obéissant aveuglément à une consigne, semblaient ne pas se préoccuper des coups de couteaux qui leur balafraient les membres ou leur ouvraient la poitrine. Trop rapprochés aussi pour se servir de leurs arcs, ils avaient saisi leurs flèches empoisonnées, et s’avançaient en les brandissant à la main, sans autre souci que de faire une piqûre légère qu’ils savaient devoir être mortelle à bref délai.

Les blancs plus épouvantés que jamais, en se voyant incapables de résister à une pareille alternative, essayaient de s’enfuir et quittaient précipitamment la tente dont les parois déloquetées laissaient apercevoir du dehors la plus invraisemblable scène de carnage. Peine inutile. Ils venaient buter dans une ligne sombre de guerriers symétriquement rangés sur le terrain découvert, au milieu duquel s’élevait l’établissement ruiné du publicain, et que leurs yeux éblouis ne pouvaient apercevoir. L’égorgement fatal, implacable, se continuait dans l’ombre, sans qu’il y eût possibilité de tenter la moindre résistance.

Cette atroce tuerie s’apaisa bientôt comme un incendie, faute d’aliments. Les diggers, massacrés ou agonisants, étaient étendus au milieu de flaques rouges, pêle-mêle avec les indigènes. Ces derniers, horriblement maltraités aussi, étaient restés maîtres du champ de bataille, mais à quel prix ! À peine si quelques combattants valides pouvaient se tenir debout.

Un homme de haute taille sortit alors du cercle d’ombre, et s’avança lentement vers le fond de la tente où se débattait le publicain dans les dernières convulsions de l’agonie. Il contempla d’un air satisfait ce spectacle épouvantable et fit entendre un sifflement strident.

– Pieter !... Pieter le Boër !... râla le publicain ! Au secours, gentleman ! je me meurs.

Pieter, c’était bien lui, sourit d’un air bestial. Il planta jusqu’au manche la lame de son couteau dans la poitrine du malheureux qui l’implorait, et grogna de sa voix brutale :

– Crève donc, pourceau !... Crevez donc tous comme des chiens.

Son sifflement était un signal. Un noir accourut.

– Caïman, reprit l’assassin, tes hommes sont là ?

– Oui, maître.

– Tu sais ce qu’ils doivent faire ?

– Caïman se souvient. Ses guerriers vont achever tous ceux qui respirent encore.

– Blancs ou noirs ?

– Oui. Et ceux qui sont vivants ?

– Tu en feras ce que tu voudras. Tu peux les tuer maintenant ou les emmener pour les engraisser et les manger.

» N’oublie pas qu’ils doivent tous périr.

IX

Un dicton normand. – Boërs et Boors. – L’esclavage en Afrique Australe. – Pillage et vol organisés. – Férocité des sauvages blancs. – Le plan de Pieter. – Diviser pour... voler. – Comment le Boër exploita les superstitions des Makololos. – Pirate noir et pirate blanc. – Le massacre. – Ni vainqueurs, ni vaincus. – Comment Caïman, dit le Mangeur d’hommes, perdit pour jamais le goût de la chair humaine. – Le vengeur de la dernière heure. – En retraite ! – L’Ingénieur. – Souvenir aux absents. – Pieter devenu chef de tribu. – Possesseur de l’attelage, il veut le wagon.