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– Le bois ne manque pas ici. Il vous suffit d’arracher un morceau des ridelles.

– Cela peut se faire. Mais je ne possède même pas un couteau de cinq sous.

– Prenez cette hache. Bien qu’elle n’ait pas de manche, vous vous arrangerez de façon à l’utiliser quelque incommode qu’en soit le maniement.

» Quant à nous, mon cher Albert, la tâche qui nous incombe est plus difficile.

– En effet. Nous restons en présence d’une ouverture irrégulière, trouant une plaque de métal à laquelle il me semble bien malaisé de mettre une pièce.

– C’est une erreur, car je vais, avec ton aide, souder ici un morceau qui empêchera l’introduction d’une seule goutte d’eau.

– Tu dis bien souder... quand tu n’as ni un morceau d’étain, ni un fer de plombier, quand nous n’avons même pas de feu.

– Oh ! ce ne sont pas les seules choses qui nous manquent. Et pourtant, nous allons nous tirer d’affaire.

» Procédons avec ordre. J’ai avisé tout à l’heure un caisse remplie de saindoux. Bon, la voici. Remplis avec cette graisse une boîte à conserve. Il nous faudrait maintenant quelques fils.

– La bâche de toile couvrant le wagon va nous en fournir.

– Très bien. Voici les fils demandés. Je les tords comme une mèche et les empâte dans le saindoux. Cet appareil élémentaire doit nous procurer une veilleuse qui brûlera avec une flamme assez intense pour répondre à nos besoins.

» Zouga, as-tu toujours ton briquet et ton amadou ?

– Oui, chef, répondit le noir, étonné que l’Européen lui demandât s’il était nanti de ces objets constituant le vade mecum indispensable de tout indigène.

– Allume cette mèche.

Le Cafre fit, en quelques coups rapides, jaillir d’un silex une gerbe d’étincelles. L’amadou s’enflamma ; il l’entoura de quelques copeaux laborieusement enlevés par Joseph à un morceau de chêne, souffla sur le minuscule bûcher, qui bientôt prit feu à son tour.

Un instant après, la mèche imbibée de graisse flambait en crépitant avec une fumée parfaitement écœurante, d’ailleurs.

– Quelle horrible cuisine d’Esquimaux nous fais-tu donc là ? demanda Albert.

– Tu calomnies le saindoux du Boër. Mais c’est de l’encens, en comparaison de l’huile de phoque ou de baleine.

» Ah ! voilà qui est bien. Continuons nos préparatifs. La plaque sur laquelle madame de Villeroge a tracé les quelques mots indiquant sa direction, va nous servir à boucher cette déchirure qui nous donne tant de tracas.

» Il faut mettre cette pièce à plat sur l’ouverture. Elle déborde un peu de tous côtés. C’est parfait. Il ne nous reste plus maintenant qu’à la souder. Comme tu me le faisais observer fort judicieusement, nous n’avons pas d’étain. Je vais donc souder avec du plomb.

– Mais comment espères-tu le faire fondre ? As-tu même du plomb ?

– Le premier objet que j’ai trouvé en entrant, est ce petit sac rempli de balles calibre 8, servant sans doute à charger le roër de notre butor. J’ai précieusement mis ce sac de côté, car le contenu en vaut la peine.

» Tu as bien encore un mouchoir ?

– Un mouchoir ! Et pourquoi faire, grand Dieu !

– Pour fondre ces balles. J’ai par bonheur conservé cet objet de luxe. Nous perdrons moins de temps en opérant ensemble.

» Tiens, vois comme c’est simple. Je prends une balle, je l’enroule dans le tissu que je serre fortement de façon à obtenir une adhérence complète. Je tords en forme de queue l’excédent du mouchoir, et je présente à la flamme de ma veilleuse la sphère métallique dans son enveloppe de toile.

– Et la balle va fondre...

– En quelques minutes, sans même roussir le mouchoir.

» Quand le plomb sera en fusion, il suffira de diriger adroitement sa chute au point de jonction des deux feuilles que nous voulons faire adhérer l’une à l’autre.

Les prévisions du jeune homme se réalisèrent pleinement. Deux minutes s’étaient à peine écoulées, que le globe perdait sa forme. Une coulée argentée s’échappait du tissu, s’épanchait au bord de la plaque recouvrant l’ouverture, et obturait en se refroidissant une partie de la fissure.

– Bravo ! s’écria Albert avec une joie d’enfant, et en imitant la manœuvre de son ami.

» Il suffira de renouveler l’opération cinq ou six fois pour que l’imperméabilité soit complète.

» Mon cher Alexandre, permets-moi de te dire que ton procédé est tout bonnement étourdissant.

– Oh ! répondit modestement le jeune homme, c’est la simple application d’une petite expérience de physique amusante, dont j’ai eu le bonheur de me rappeler en temps et lieu.

» Eh ! bien, Joseph, où en êtes-vous, mon camarade ?

– C’est fini, monsieur Alexandre, et pas sans peine.

– Bon. Entourez ces chevilles avec quelques chiffons, et enfoncez-les à force dans les trous.

» Quant à nos déménageurs, ils ont vaillamment opéré. Le dray est presque vide.

– Et la coque parfaitement étanche, s’écria triomphalement Albert.

– Il nous reste à accomplir une dernière opération qui exigera autant de force que d’adresse.

– Tu veux dire la mise à flot du wagon encore suspendu sur ses roues à quelques centimètres de l’eau.

» Si nous avions une scie, il suffirait de couper les deux essieux qui sont en bois.

» Mais, continua Albert, il existe un autre moyen. Ces roues sont maintenues extérieurement par de simples clavettes. Ne serait-il pas possible d’enlever ces clavettes, puis, quatre d’entre nous s’armant chacun d’un levier pousseraient latéralement les roues de façon à les déboîter en même temps.

» Le cinquième commanderait la manœuvre.

– C’est le seul procédé possible, et nous allons le mettre en œuvre séance tenante.

Alexandre, en prononçant ces paroles, se trouvait presque en face de l’ouverture laissée béante par le retrait du panneau de l’arrière. Un sifflement aigu, aussitôt suivi d’un bruit sec, lui coupa la parole. Une balle venait de le frôler à l’épaule, et s’enfonçait dans la muraille de bois en faisant voler des éclats de tous côtés.

– Qui diable s’amuse à nous canarder ainsi ? dit-il de sa voix tranquille.

» C’est égal, je viens, encore une fois, de l’échapper belle.

XI

Le tempérament du voyageur. – Prédestination. – Oiseaux de passage. – Après le coup de feu. – Il faut en finir. – Ruse de guerre. – La proie et l’ombre. – Les travaux des assiégés. – Sous le feu de l’ennemi. – Manœuvre périlleuse. – Succès complet. – En bateau. – Précipitation. – Appareillage. – Sur le Zambèze. – Le Cafre en reconnaissance. – La piste à travers bois. – Au milieu de la clairière. – Foyer éteint. – Empreintes. – Course furieuse. – Imprudence.

Qu’il appartienne au monde des sciences, des arts ou de l’industrie ; qu’il soit géographe, ingénieur, naturaliste, colon ou artisan ; qu’il obéisse aux nécessités de l’existence, aux impulsions de la convoitise ou à celles de l’ambition, l’homme qu’un mystérieux besoin de migration entraîne vers les pays lointains subit une inéluctable destinée.

Il ne veut ni ne peut discuter et encore moins apaiser cette fièvre de départ, cette rage, de cosmopolitisme qui le pousse à travers l’inconnu. Tôt ou tard, suivant les circonstances, il se trouve sur le pont d’un steamer. La vapeur rugit emprisonnée dans son organisme de métal, le canon tonne, le pavillon flotte le long de sa drisse, le géant des mers, agité de sourdes trépidations, commence à s’ébranler, la dernière amarre est larguée. Adieu famille, affections, patrie.